Partager la publication "Montpellier : L’interminable procès de l’apologie du terrorisme"
Le Poing, 3 décembre 2024. Le procès en appel du manifestant du 4 novembre 2023, saluant comme un « acte de résistance », « héroïque », l’attaque du 7 octobre par le Hamas, a duré près de six heures ce mardi 2 décembre. Soit d’interminables débats, au contenu forcément politique, au moment où est contestée la loi qui établit le délit d’« apologie du terrorisme »
Bis repetita. Comme cela s’était déjà produit lors du jugement en première instance d’Abdel L. (le 8 février 2024), il a fallu que la séance de son procès en appel débute par une pure affaire de voleur de poules, presque loufoque, traitant par le menu du ramassage de pignes de pin à des fins commerciales, sans autorisation des propriétaires des parcelles. Le mis en cause étant un sujet marocain, s’exprimant exclusivement en espagnol. L’avocat général lui-même en vint à s’étonner qu’un délit de cette nature parvienne jusqu’à ce niveau de juridiction.
Néanmoins, l’effet était produit. La question apparaissait dans pas mal d’esprits : comment un après-midi entier de débat sur la liberté d’expression, la nature d’actes de résistance, ou de terrorisme, l’explosion de l’antisémitisme, vient à cohabiter, devant une même cour, avec de pures affaires de droit commun (dont un inévitable procès lié au trafic de stupéfiants, lui aussi au rôle de l’audience de la Cour d’appel de Montpellier, ce lundi 2 décembre 2024) ?
La question vient d’être rappelée de manière fracassante dans l’actualité. Le groupe parlementaire de la France insoumise a prôné le retrait du délit d’apologie du terrorisme, du code pénal dans lequel il avait été introduit par une loi de 2014. Avec le niveau d’hystérie décomplexée dans lequel a sombré le débat politico-médiatique en France sous la gouverne de Vincent Bolloré, il a été facile de jeter en pâture à l’opinion l’épouvantail des amis terrifiants de Jean-Luc Mélenchon.
Ainsi a-t-on commodément mis sous le tapis l’interview, très troublante, de Marc Trévidic, le plus célèbre des juges français anti-terroristes, estimant récemment que cette loi a conduit à « de véritables abus ». Au moins six cents cas de poursuites contre des militants pro-palestiniens ont été relevés en France depuis le 7 ocotbre 2023. Le juge Trévidic en appelle au « courage politique » d’« oser faire machine arrière », en laissant cette incrimination là où elle se trouvait jusqu’alors, dans la loi générale et constitutive de la Démocratie française, traitant de la liberté de la presse. En 2014, les réseaux sociaux semblaient encore nouveaux. Or ils regorgeaient d’une propagande affolante, qui exaltait la barbarie des groupes djhiadistes en Syrie.
Aujourd’hui, le grand juge anti-terroriste constate qu’ « un simple tag en soutien à la Palestine vous fait risquer la prison » ; il indique que tout cela « lui a servi de leçon ». De son côté, l’ancien défenseur des droits, homme de droite, Jacques Toubon, pointe « un fiasco judiciaire », tandis que le Comité des droits de l’homme de l’ONU s’inquiète, lui aussi, d’un dévoiement de la notion d’apologie du terrorisme qu’il dit observer en France.
Ainsi imaginait-on que le procès en appel du Montpelliérain Abdel L. serait fortement marqué par ce contexte d’actualité. Lequel n’a finalement été évoqué qu’à la marge. C’est bien un nouveau procès, fouillé avec minutie, pour ne se terminer qu’au-delà de 22 heures, qui a été conduit, incriminant les propos tenus au micro, au terme d’une manifestation en soutien au peuple palestinien, sur le Plan Cabanes le 4 novembre 2023 (et non sur la Comédie, comme répété à l’envi pendant toute l’audience, avec tout l’impact dramatisant qui s’y rattache).
Abdel L. s’exprimait pendant sept minutes. Un montage d’une minute de ces propos est alors devenu viral sur Internet, relayé milieux d’extrême-droite, centré sur les moments où il salue l’attaque menée par le Hamas, comme « un acte de résistance », un acte « héroïque », dans lequel les Palestiniens démunis parviennent « à déjouer les dispositifs de l’une des armées les plus puissantes de la planète ». Il parle aussi d’un effet d’« aile de papillon » : cette notion aux confins du scientifique et du philosophique veut qu’un phénomène très limité au départ, puisse, par résonance de propagation, déboucher tout ailleurs sur des effets d’une intensité considérable.
Dans l’esprit de celui qui se présente comme un militant anti-raciste et décolonial, c’est cet effet papillon qu’il semble souhaiter, pour que maints peuples vivant l’oppression dans le sud global, puise dans les faits du 7 octobre le modèle de leur possible entrée en résistance. Ses sept minutes d’intervention embrassent donc une vision géo-politique assez générale, où l’intensité de la réaction de l’État israélien et ses alliés occidentaux s’explique, selon lui, par la nécessité qui est la leur d’étouffer pareille menace d’insurrection.
Tout cela avait déjà été amplement exposé lors du procès du 21 février. En trois fois moins de temps, Abdel L. était alors immédiatement déclaré coupable, et condamné à un an de prison avec sursis, trois années d’inéligibilité, le suivi d’un stage de citoyenneté, l’interdiction de se présenter en manifestation durant une année. Également son inscription au fichier des infractions terroristes, source, selon lui, de pressions policières intrusives, ou encore de blocage de ses comptes bancaires.
L’exposé de sa situation matérielle et morale a d’ailleurs constitué un moment lourd de l’audience, où une part, y compris psychologique, de dé-socialisation, sembla devoir constituer en soi un élément d’accusation. On ne saurait toutefois faire le reproche à la Cour de n’avoir pas examiné par le menu tous les tenants et aboutissants de l’affaire. Selon son président, il ne s’agit que de faire du droit, absolument pas de la politique. A quoi la défense rétorque que justement le Droit est politique, « élaboré qu’il est par le législateur, élu par les citoyens pour mettre en œuvre une politique ».
Pendant des heures ont été prises dans tous les sens les notions de terrorisme, de résistance, ce qui en est, ce qui en déborde, ce qui n’en est pas, comparaisons historiques à l’appui. Du côté des associations pro-israéliennes parties civiles, on en vint à produire le contenu de l’édition du Larousse de 1925, comme une source qui serait forcément neutre (!), lorsqu’elle définit alors la Palestine, comme « un état juif ayant Jerusalem pour capitale », et un drapeau blanc et bleu à étoile de David déjà très semblable à celui adopté en 1948 par l’État d’Israël naissant. « Oui, vous êtes juste en train dé décrire le processus de colonisation alors déjà en cours en Palestine » rétorque sobrement le prévenu.
Celui-ci s’est montré beaucoup plus aguerri que voici neuf mois, sans doute instruit par l’expérience. Il n’a cessé de marteler que son propos est d’inscrire la situation actuelle de la Palestine dans une large compréhension politique de sa situation de sujétion coloniale. Et comme il le faisait le 4 novembre, il n’y voit comme issue que « l’application du droit international, sur une terre où les mêmes droits seraient accordés à tous ». « Seule la justice peut ramener la paix. C’est ce courage politique qu’il faut prôner ».
Au-delà de quoi il reconnaît les exactions du 7 octobre « sur des civils non combattants », comme des « crimes de guerre » qu’il condamne, tout en estimant que de pareils drames « sont inévitables » tant que se maintient, sans solution, une « situation d’injustice extrême, qui produit le désespoir ». C’est à cet endroit de la démonstration que la Cour ne cesse de pointer une relativisation, qui voit de l’héroïsme dans le franchissement réussi de la barrière de sécurité, mais sans qu’on sache où poser une ligne de séparation claire avec des atrocités commises dans les heures qui suivent.
Il s’agirait d’obtenir une claire et ferme formulation qui condamne le terrorisme du Hamas. Ce que Abdel L. ne fait pas, en estimant que les notions de crimes de guerre sont judiciairement clairement établis, quand celle de terrorisme resterait « morale », fluctuante au gré de l’histoire, qui a vu dans les résistants de la seconde guerre mondiale, l’entourage de Nelson Mandela, l’actuelle direction algérienne, et en leur temps les dirigeants de certaines organisations sionistes, autant de terroristes.
La défense du prévenu a fait entendre la voix forte et troublante de Pierre Stamboul, fils du seul survivant français du groupe Manoukian, issu d’une famille largement décimée par la Shoah, affirmer « que ce ne sont pas des juifs qui ont été attaqués le 7 octobre, ce sont des occupants. Un crime de guerre a été commis, tout comme l’armée israélienne en commet depuis de longues années ». Puisqu’on le somme de définir ce qui s’est produit à l’automne dernier, il considère que « la bombonne de gaz a explosé ».
L’autre témoin cité ce jour était la journaliste Myriem Laribi, dont la famille a été victime directe du terrorisme islamiste des années 90 en Algérie. Elle aussi en appui du prévenu, a dénoncé « un deux fois, deux mesures, extrêmement blessant à l’encontre de certaines sensibilités. Seuls comparaissent devant les tribunaux des soutiens au peuple palestinien. De quoi le fils de Nicolas Sarkozy fait-il l’apologie, sans être le moins du monde inquiété quand il dit des Gazaouis : “exterminez-les tous” ? »En avertissant : « Les condamnations ne contribueront aucunement à atténuer les tensions ».
En face, les parties civiles ont strictement reconduit leurs arguments du premier procès. Lesquelles sont avant tout axées sur l’alerte concernant l’explosion du nombre d’actes antisémites en France même. Et ce sont des propos tels ceux tenus par Abdel L. qu’elles voient attiser ce phénomène. Une nouvelle fois, des groupements activistes tels que l’Union juive européenne, ou Avocats sans frontière se chargent elles-mêmes d’anihiler tous les préambules de la Cour pour tenir la politique hors l’enceinte judiciaire quand elles demandent de voir dans le militant Abdel L. celui qui arme aussi bien Mohamed Mehra que Coulibaly à l’Hyper-Casher, ces « nazislamistes » agissant en antériorité de plusieurs années.
De fait, si les débats ont duré près de six heures, c’est bien que toute l’audience fut saturée de politique. Quand l’avocat général, particulièrement économe de ses propos, a répété, qu’il en resterait sur le terrain « purement juridique », alors juste trois minutes lui auront suffi. Cela pour établir qu’il y a bien « présentation sous un jour favorable », des actes « de terrorisme » commis le 7 octobre. Cela à travers les notions d’héroïsme et de résistance, et la condamnation insuffisante des crimes prenant la suite de « l’exploit technique » du franchissement de la barrière. Un exploit purement technique ? Dénué d’implications politiques ?
Le verdict sera rendu le 3 février 2025.
Surce : Le Poing.net