Aucun État n’a un « droit à l’existence » inhérent, pas même Israël

Moncef Khane, 5 novembre 2024. La citation « Répétez un mensonge assez souvent et il devient la vérité », attribuée au ministre de la propagande d’Adolf Hitler, Joseph Goebbels, résume ce que la psychologie moderne a prouvé : que les déclarations répétitives peuvent submerger notre pensée critique au point d’accepter des faussetés comme des vérités évidentes. En d’autres termes, le lavage de cerveau fonctionne.

Le secrétaire général de l’ONU, Trygve Lie, et son assistant exécutif, Andrew Cordier, vérifient leurs listes après le vote sur le plan de partage de la Palestine par les délégués de l’Assemblée générale au Queens Museum à New York, le 29 novembre 1947 [Archive : AP/Matty Zimmerman]

L’idée selon laquelle « Israël a le droit d’exister » en est un exemple. C’est une déclaration si souvent affirmée par les dirigeants et les médias, principalement occidentaux, qu’elle semble correcte. Et s’il s’agit d’un « droit », il doit être ancré dans la loi.

Ainsi, lorsque le président français Emmanuel Macron aurait déclaré lors d’une réunion du Conseil des ministres du 15 octobre que « M. Netanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU », en référence à la résolution 181(II) de l’Assemblée générale des Nations Unies de 1947, il a suggéré que l’existence d’Israël découlait d’un acte juridique international, qui lui conférait donc une légitimité – le soi-disant « droit à exister ». Cette idée fausse, souvent partagée, est une déformation des réalités historiques et juridiques.

Pour commencer, l’idée d’un « droit à exister » inhérent à un État est fallacieuse. Conceptuellement ou juridiquement, aucun droit naturel ou légal de ce type n’existe – pour Israël ou tout autre État – car la création d’États-nations n’est pas ancrée dans le droit international. Les États-nations sont le résultat, en fin de compte, d’une proclamation de ceux qui prétendent représenter l’État nouvellement formé.

Une fois proclamé, le nouvel État et son gouvernement peuvent (ou non) être formellement reconnus par d’autres États et gouvernements. Le nouvel État existe donc en raison d’un fait politique et non d’un acte juridique – c’est-à-dire non pas parce qu’il a un « droit » à l’existence.

Alors que la théorie juridique « constitutive » considère qu’un État n’existe que s’il est reconnu par d’autres États, la théorie « déclaratoire » considère qu’un État existe même en l’absence de reconnaissance diplomatique. Dans la pratique, cependant, une large reconnaissance diplomatique reste nécessaire pour qu’un État proclamé puisse fonctionner comme une entité juridique et politique à part entière, bien que le cas exceptionnel de Taiwan semble contredire ce postulat.

En ce sens, la résolution 181(II) de l’ONU « Futur gouvernement de la Palestine » n’a pas créé l’État d’Israël. Au lieu de cela, elle a proposé un plan de partition de la Palestine occupée par les Britanniques en trois entités : un « État juif », un « État arabe » et Jérusalem sous un régime international spécial.

Avant le vote, les États-Unis ont exercé une pression intense sur certains pays en développement ainsi que sur la France pour qu’ils votent en faveur de la résolution. Mais, fait remarquable, les États-Unis eux-mêmes étaient également menacés, comme le rappelle le président Harry Truman dans ses mémoires : « Je ne pense pas avoir jamais subi autant de pression et de propagande à l’encontre de la Maison Blanche que dans ce cas précis. La persistance de quelques dirigeants sionistes extrémistes – motivés par des motivations politiques et se livrant à des menaces politiques – m’a perturbé et agacé. »

Après avoir retardé le vote de quelques jours pour obtenir le soutien nécessaire, l’Assemblée générale a adopté la résolution par une faible marge de deux voix le 29 novembre 1947. Le plan de partage de la Palestine de l’ONU, qu’elle a présenté, n’a jamais été approuvé par le Conseil de sécurité et n’est donc jamais devenu contraignant en vertu du droit international. Mais même s’il l’avait été, le Conseil de sécurité – tout comme l’Assemblée générale – n’aurait pas pu créer Israël car aucun des deux n’a la compétence juridique en vertu de la Charte des Nations Unies pour « créer » un État.

Six mois après le vote du plan de partage, l’État d’Israël a été proclamé par David Ben Gourion, le chef de l’Agence juive pour la Palestine. Cet acte politique a été le point culminant de l’immigration juive en Palestine avant et après la Seconde Guerre mondiale, ainsi que du nettoyage ethnique et de la violente campagne d’accaparement des terres menée par les milices sionistes, notamment la Haganah, le gang Stern (Lehi) et l’Irgoun, qu’Albert Einstein a qualifié dans une lettre de 1948 d’« organisation terroriste, d’extrême droite et fanatique ». Toutes ces organisations ont agi de concert pour mettre en œuvre le plan Dalet, conçu par l’Agence juive pour la Palestine et que l’historien israélien Ilan Pappé qualifie de « plan directeur de nettoyage ethnique ».

Le plan de partage a été rejeté par les cinq États arabes qui étaient membres de l’ONU à l’époque et par d’autres gouvernements, principalement parce qu’il était considéré comme une violation des droits inaliénables des Palestiniens (de toutes confessions) à l’autodétermination en vertu de l’article 55 de la Charte des Nations Unies.

D’un point de vue juridique, cette opinion est toujours valable aujourd’hui, car le droit à l’autodétermination des peuples coloniaux est une norme impérative du droit international coutumier, acceptée par la communauté internationale comme un principe juridique fondamental auquel aucune dérogation n’est autorisée. Il s’agit d’une norme juridique fondamentale stipulée dans l’article 1 de la charte, qui définit les objectifs des Nations Unies.

A la veille du vote, le ministre irakien des Affaires étrangères, Fadhel al-Jamali, signataire de la charte, a déclaré devant l’Assemblée générale : « Le partage imposé contre la volonté de la majorité du peuple mettra en péril la paix et l’harmonie au Moyen-Orient. Non seulement le soulèvement des Arabes de Palestine est à prévoir, mais les masses du monde arabe ne peuvent être contenues. Les relations arabo-juives dans le monde arabe vont considérablement se détériorer. Il y a plus de Juifs dans le monde arabe hors de Palestine qu’en Palestine. (…) En bref, quiconque pense que le partage de la Palestine réglera le problème de la Palestine se trompe. La partition créera une douzaine de nouveaux problèmes dangereux pour la paix et les relations internationales. Il vaut bien mieux laisser la Palestine tranquille que tenter d’imposer une solution qui portera des fruits amers. »

Les mots d’Al-Jamali étaient prémonitoires. Bien qu’Israël n’ait pas été créé par l’ONU comme le croit Macron, la communauté internationale est encore sous le choc d’une injustice historique faite aux Palestiniens de toutes confessions, y compris aux Palestiniens juifs. Avant et après l’Holocauste, les sionistes avaient promis aux colons juifs européens et nord-américains un refuge sûr en Palestine, mais cette promesse s’est avérée vaine.

Depuis sa création, l’État d’Israël est hypermilitarisé et en état de guerre permanent. Il n’aura aucune perspective de paix tant que son occupation des territoires palestinien, syrien et libanais ne prendra pas fin, que ses frontières ne seront pas délimitées et que sa quête d’un « Grand Israël » biblique ne sera pas formellement abandonnée.

La propagande répétée n’annule pas le droit international, selon lequel aucun État n’a un « droit » inhérent à l’existence, mais les peuples ont un droit inaliénable à l’autodétermination. Une puissance occupante n’a pas de droit inhérent à l’autodéfense contre le peuple qu’elle soumet, mais le peuple sous occupation a un droit inhérent à l’autodéfense contre ses occupants, comme l’a décidé la Cour internationale de justice.

Les puissances qui pourraient faire la différence, au premier rang desquelles les États-Unis, semblent incapables ou peu disposées à réparer un tort historique et à considérer ces principes du droit international avec lucidité. Même face à un génocide en cours qu’ils favorisent, tant militairement que diplomatiquement, ils sont incapables ou peu disposés à retirer leurs œillères politiques et même à écouter leur propre opinion publique. Pire encore, ils préfèrent désormais risquer une conflagration régionale et même une frappe nucléaire par un régime israélien génocidaire. Espérer que cela n’arrivera jamais n’est pas une stratégie pertinente.

Article original en anglais sur Al Jazeera / Traduction MR

L’auteur : Moncef Khane est un ancien fonctionnaire des Nations Unies dont la carrière s’étend sur plus de 30 ans dans les domaines des droits de l’homme, des affaires politiques, du maintien de la paix et des missions politiques spéciales, de l’Assemblée générale et du Conseil économique et social, ainsi que du Cabinet du Secrétaire général Kofi Annan. Il a été membre de la Kennedy School of Government de l’Université Harvard et de l’Institute for the Study of Diplomacy de l’Université de Georgetown. Il est titulaire d’une maîtrise de la Fletcher School of Law and Diplomacy et de la Kennedy School of Government.