Partager la publication "L’entité sioniste n’a jamais été préparée à une guerre d’usure"
Robert Inlakesh, 25 août 2024. Le 22 août, le général de brigade israélien Yitzhak Brik a écrit un article pour Haaretz, dans lequel il prédisait l’effondrement du régime sioniste d’ici un an si la guerre se poursuivait. Alors qu’il devient désormais clair que l’entité occupante traverse une crise existentielle, ce que reconnaissent certains responsables israéliens, il est important d’examiner les problèmes sous-jacents qui ont rendu cette situation inévitable.
L’entité sioniste avait vendu au monde l’idée qu’elle était le régime militaire le plus puissant d’Asie occidentale, qu’elle se vantait d’une suprématie indéniable dans ses capacités d’armement et que ses racines étaient inébranlables. Cependant, comme l’a déclaré le secrétaire général du Hezbollah libanais, Seyyed Hassan Nasrallah, en 2006 : l’entité sioniste est comme une toile d’araignée.
Si l’on considère presque toutes les guerres dans lesquelles l’entité sioniste a été impliquée, elles ont eu lieu brièvement à l’intérieur des frontières de la Palestine occupée ou dans les pays voisins, à l’exception de celle de 1948. Même les attaques brutales contre Gaza en 2008/9, 2012 et 2014 se sont tous réduites à un échange de tirs relativement limité, où aucune des deux parties n’a été obligée d’engager tout ce qu’elle avait dans la bataille.
La réalité est que les Israéliens s’étaient préparés avec les capacités d’armement nécessaires pour pulvériser des nations entières et la technologie requise pour faire face à des menaces de projectiles limitées, tout en se vantant d’une armée qui, combinée aux soldats de réserve, pouvait représenter une force de plus de 500.000 personnes. Sur le papier, armé d’un arsenal nucléaire, le régime sioniste était capable de dissuader son opposition et même d’attirer des collaborateurs de tout le monde arabe et musulman séduits par ses pouvoirs matériels et son influence.
Une défaite inévitable
Il faut comprendre le régime sioniste dans son contexte. Émergeant comme un mouvement colonialiste de peuplement dirigé par des Juifs irréligieux d’Europe qui cherchaient à reproduire l’expérience d’autres Européens persécutés ou économiquement défavorisés, le sionisme est apparu comme la réponse à la « question juive ».
Sans entrer dans trop de détails, les Européens ont historiquement attaqué, tué, nettoyé ethniquement et anéanti des pans entiers de populations qui n’étaient pas d’accord ou n’adhéraient pas à leurs croyances religieuses dominantes ou à leurs marqueurs culturels/ethniques d’identification. L’une des méthodes d’évasion, pour certains de ces peuples persécutés, ou ceux qui étaient économiquement défavorisés, était de se rendre dans les colonies des nations dominantes. Si nous prenons l’exemple britannique, ceux qui avaient peu de chances de réussir dans leur mère patrie ont eu la possibilité de se rendre en Inde ou dans ce qui était alors la Birmanie, par exemple, et d’y gagner de petites fortunes. Dans un tel environnement, où la colonisation n’était pas un gros mot, mais plutôt la norme, l’idée de se rendre dans un pays occupé pour y inventer une nouvelle vie et même fonder un État n’était pas du tout mal vue. En fait, si l’on jette un œil aux débuts du sionisme, c’est l’empereur français Napoléon Bonaparte qui le premier a recommandé la création d’un État juif en Palestine. Napoléon est également l’homme à qui l’on attribue la naissance du nationalisme.
Ainsi, pour les premiers sionistes, l’idée de se rendre dans un pays étranger pour y créer un État pour leur groupe minoritaire européen était l’une des nombreuses options évidentes qui se présentaient à eux. À l’époque de Théodore Herzl et d’autres figures fondatrices du mouvement sioniste, c’était l’époque de la pseudo-science raciale et de la philologie orientaliste, où une doctrine ethno-suprématiste darwinienne pernicieuse était si répandue qu’il était tout simplement accepté comme un « fait » que les non-Européens soient des êtres inférieurs.
Cela dit, les habitants autochtones de la Palestine n’étaient pas épargnés par ce racisme, et donc les tuer, les occuper, les expulser et leur imposer de nouvelles formes de gouvernance n’étaient pas considérés comme un véritable problème. À cette époque, il y avait aussi un petit segment de juifs d’Europe qui avaient réussi à amasser une grande richesse économique et qui bénéficiaient du système capitaliste. La famille Rothschild et d’autres décidèrent donc que la vision de Herzl pour le peuple juif, à savoir s’installer dans une nation étrangère et créer une nouvelle nationalité, était la meilleure voie à suivre.
Bien sûr, certains juifs européens ne soutenaient pas cette idée. Pourtant, de toute évidence, ces voix n’ont pas fini par gagner le débat sur la réponse à apporter à la question juive.
Par conséquent, le projet de colonisation sioniste a poursuivi à toute vapeur son objectif initial de s’emparer de la Palestine. Ce faisant, il cherchait à créer « le nouveau juif » culturellement, physiquement et linguistiquement dans un État qui lui serait exclusivement destiné. Au début, les dirigeants de ce mouvement étaient presque entièrement laïcs et la plupart des premiers partis politiques sionistes étaient quasi socialistes dans leur vision.
Mais les sionistes se sont heurtés à un énorme problème : le monde a soudainement changé. Bien que les événements de la Seconde Guerre mondiale, avec l’extermination massive des juifs et leur enfermement dans des camps de travail forcé, aient convaincu la population juive européenne dans son ensemble que le sionisme était justifié, quelque chose d’autre est également sorti de la Seconde Guerre mondiale. Alors que le pouvoir de ce que nous appelons l’Empire d’Occident passait de la France et de la Grande-Bretagne aux mains des États-Unis, l’ère coloniale commença à s’effondrer et les Nations Unies élaborèrent leurs documents juridiques fondateurs, établirent leurs organes de régulation internationale et de nouveaux États-nations furent rapidement créés.
Si la création d’« Israël » en 1948, par le nettoyage ethnique de la Palestine, s’est produite à un moment où la vérité pouvait être cachée et où le crime contre l’humanité pouvait être ignoré, ce n’était que le début pour l’entité sioniste. Le problème auquel ils ont été confrontés à partir de ce moment-là était que le peuple palestinien n’a jamais oublié qui il était, n’a jamais abandonné et n’a jamais cessé de résister et était entouré de nations qui étaient liées à sa cause d’autodétermination sur un plan idéologique.
Cette idée de la cause palestinienne était profondément ancrée dans le cœur des Arabes et des musulmans, non seulement parce que beaucoup d’entre eux avaient également souffert aux mains des sionistes et/ou de leurs soutiens occidentaux, mais aussi parce qu’ils avaient réussi à transcender le dogmatisme basé sur des idéologies politiques. La cause palestinienne n’a jamais eu de pays spécifique, mais elle a survécu à l’effondrement du nationalisme arabe socialiste en Égypte, elle est restée vivante après la défaite des groupes marxistes et nationalistes, sans jamais faiblir même après l’effondrement de l’Union soviétique. Quelle que soit la gravité des défaites militaires, que ce soit en 1967 ou en 1982, la résistance palestinienne a continué à prendre différentes formes.
Les Israéliens pensaient que les accords d’Oslo [1993-1995] permettraient de faire taire les Palestiniens, que s’ils obtenaient une Autorité nationale palestinienne dans les territoires occupés de 1967, ils continueraient simplement à voler plus de terres en silence et à concentrer le peuple palestinien dans des enclaves de plus en plus petites.
Si l’opinion publique israélienne s’est peut-être intéressée à la question palestinienne pendant un certain temps, en particulier pendant la deuxième Intifada [2000-2005], lorsque la résistance armée a mené de fréquentes attaques, après cela, la question est devenue dans une certaine mesure sans importance. Si l’on suit les cycles électoraux, au cours de la dernière décennie, dans l’entité sioniste et si l’on examine leurs débats politiques internes, on constate que la question de savoir si la Palestine deviendrait un État n’était pas au cœur des débats et si une telle question se posait, elle n’était pas considérée comme la question principale pour la majorité des Israéliens.
Ce qui s’est passé pendant la période post-Oslo était en fait un processus de pourriture et de déclin au niveau national pour les sionistes. Il y a d’abord eu l’essor du Likoud, le parti de Benjamin Netanyahou, considéré comme l’héritier idéologique du mouvement sioniste révisionniste qui s’était inspiré du fascisme italien. L’idéologie agressive promue par Netanyahou a commencé à prendre le dessus sur l’opinion publique israélienne, entraînant l’effondrement du Parti travailliste, autrefois puissant, dans les sondages.
En 2005, avec le retrait des colons israéliens de leurs colonies de Gaza, un nouveau monstre a également commencé à se former, aidé en cela par Netanyahou. Alors que la société israélienne s’orientait de plus en plus vers l’extrême-droite, le sionisme religieux a pris de l’ampleur, mené par un mouvement de colons violent et agressif en Cisjordanie.
Cette montée de la religiosité, combinée à une doctrine politique d’extrême-droite, a finalement abouti au gouvernement de coalition actuel que dirige aujourd’hui le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Cela a fini par conduire à l’affrontement entre l’extrême-droite religieuse et l’extrême-droite plus laïque, culminant avec les manifestations de rue de masse qui ont eu lieu à « Tel Aviv » et dans d’autres villes occupées jusqu’en octobre 2023. La version laïque du sionisme d’extrême-droite, à laquelle beaucoup de ceux qui se disent libéraux adhèrent, a commencé à entrer en conflit avec les partisans de la coalition de Benjamin Netanyahou, accusés de tenter de renverser le système judiciaire israélien et de judaïser le pays.
Pourquoi tout cela est important
Depuis le début de l’entité sioniste, le problème était que les sionistes n’ont pas réussi à exterminer et à nettoyer ethniquement tous les Palestiniens et qu’ils n’ont pas réussi à tuer la cause. Comme l’a admis l’historien israélien Benny Morris : l’idée de transfert [nettoyage ethnique] est « inévitable et inhérente au sionisme ». En fin de compte, la seule réponse que l’entité sioniste ait jamais eue vis-à-vis de ce qui devait être fait avec le peuple palestinien était une combinaison d’extermination, de nettoyage ethnique et de soumission.
Alors que les Israéliens n’ont pas eu à mener de guerre contre un pays quelconque depuis 1973, seulement des guerres contre des mouvements de résistance, ils ont développé ce qu’ils appellent leur « capacité de dissuasion » pour porter des coups massifs et concentrés contre des groupes comme le Hezbollah et le Hamas lorsqu’ils le jugeaient bon. Si vous regardez les exercices militaires israéliens lorsqu’ils se préparent à des conflits avec le Hamas ou le Hezbollah, ou dans certains cas à une guerre sur plusieurs fronts, il est toujours admis que la guerre se terminera dans quelques semaines, ou au maximum quelques mois.
Lorsque le 7 octobre s’est produit, la réponse du régime, selon le modèle habituel, était à bien des égards prévisible. Ils ont utilisé une puissance de feu inimaginable pour pulvériser les villes et les camps de réfugiés, ont massacré des civils, avant d’entrer avec leurs troupes au sol dans des blindés, évitant de s’engager dans des combats de rue et s’appuyant sur leur technologie. Ils pensaient que cette stratégie médiévale de force maximale fonctionnerait et les voilà 11 mois plus tard sans avoir atteint un seul de leurs objectifs.
Ils n’avaient jamais prévu qu’une guerre avec la résistance à Gaza durerait aussi longtemps, tout comme ils n’auraient pas pu prévoir le blocus du Yémen dans la mer Rouge ou le Hezbollah tirant continuellement et quotidiennement sur leur position dans le nord de la Palestine occupée. Sans aucun moyen de remporter une victoire plausible, tous les problèmes de l’entité sioniste ont commencé à faire surface.
Les Israéliens ont fini par comprendre qu’il n’y aura pas d’« Israël » sans l’élimination du peuple palestinien de l’équation, que l’on considère la situation d’un point de vue démographique à long terme ou d’une perspective de résistance implacable.
Ensuite, il y a la société israélienne, qui est profondément divisée sur ce à quoi devrait ressembler son régime ethno-suprémaciste et sur le système juridique qu’elle souhaite lui donner.
Un autre problème est que leur économie, leur société et leur armée ne sont pas préparées à une longue guerre d’usure sur plusieurs fronts : des centaines de milliers de colons sont déplacés à l’intérieur du pays, leur industrie est morte dans le nord, le port d’Eilat est en faillite, leur industrie touristique est anéantie, environ un million de colons auraient quitté le pays, plus de 46.000 entreprises ont fait faillite, les investisseurs se retirent, des contrats de plusieurs milliards de dollars sont abandonnés, l’inflation s’installe, leur monnaie se dévalue et la liste est longue.
Mais qu’en est-il de leur puissante armée de 500.000 hommes ? Le coût d’un si long appel de réservistes est un problème, mais le plus gros problème est leur volonté de servir et leur épuisement, en plus d’une formation inefficace. Pour citer l’article de Haaretz écrit par Yitzhak Brik :
« Israël s’enfonce plus profondément dans la boue de Gaza, perdant de plus en plus de soldats au fur et à mesure qu’ils sont tués ou blessés, sans aucune chance d’atteindre l’objectif principal de la guerre : faire tomber le Hamas. Le pays galope vraiment vers le bord du gouffre. Si la guerre d’usure contre le Hamas et le Hezbollah continue, Israël s’effondrera d’ici un an. »
La vérité est que la substance la plus authentique de l’idéologie sioniste est maintenant exposée au monde entier, une entité coloniale raciste qui n’est en désaccord que sur ce à quoi ressemblera son régime ethnique exterminateur et sur la manière dont elle se débarrassera de la population indigène. Bien qu’une telle entité criminelle meurtrière ait pu s’en tirer avec ses ambitions il y a plus de 100 ans, elle a commencé trop tard et n’a pas réussi à vaincre les Palestiniens. Aujourd’hui, avec des armes modernes, les Israéliens tentent de terminer leur projet sioniste, mais dans un monde qui ne l’accepte pas et à une époque où les smartphones nous offrent la possibilité de suivre leurs actions génocidaires avec des mises à jour minute par minute.
Ils n’ont pas su regarder la réalité en face et se sont plutôt consumés dans leur propre sentiment de sécurité, croyant que leur cupidité ne pouvait connaître de limites. La résistance les a choqués et maintenant le monde entier peut voir la réalité s’il le souhaite. Cette guerre d’usure était inévitable et ils ont déjà perdu.
Le public israélien vivait dans un certain nombre d’illusions, des sortes de bulles mondiales façonnées par leur capacité illimitée à se tromper eux-mêmes, où ils pouvaient simplement continuer à vivre comme d’habitude tout en détruisant un groupe national tout entier. En ce sens, d’une certaine manière, des gens comme le ministre israélien de la Sécurité Itamar Ben-Gvir, que nous qualifions tous d’extrémiste, sont en fait plus honnêtes que le reste de la société israélienne lorsqu’il s’agit de la situation dans laquelle ils vivent. Ces colons admettent devant le monde entier que la seule façon de continuer à maintenir leur privilège dans un régime d’apartheid est de tuer et d’expulser continuellement des innocents, car la guerre de l’entité sioniste n’a jamais été contre le Hamas ou le Hezbollah, elle est contre les Palestiniens et contre quiconque ose remettre en question leur « droit » à maintenir leur suprématie aux dépens de la population indigène des terres qu’ils occupent.
Croire qu’ils pourraient simplement continuer à tourmenter les Palestiniens indéfiniment et que rien ne serait fait et qu’ils pourraient perpétuellement causer des souffrances dans les nations qui les entourent, tout en ne planifiant que des confrontations limitées qui ne leur coûteront pas grand-chose, démontre l’arrogance folle de l’entité coloniale. Cela explique également pourquoi ils se comportent d’une manière beaucoup plus extrêmiste maintenant en tant que société, car ils commencent à se rendre compte que le monde d’avant le 7 octobre ne reviendra jamais et que la seule façon de maintenir leur régime raciste est de mener un conflit sans fin.
Article original en anglais sur Al Mayadeen / Traduction MR