Partager la publication "Lettre ouverte à Mathieu Lefèvre, député du groupe Renaissance, concernant Salah Hamouri"
Walid Atallah, 4 février 2023. Monsieur le Député, votre déclaration (*) – question au gouvernement et plus particulièrement au ministre de l’Intérieur du mardi 31 janvier dernier, appelle certaines remarques et mises au point.
Vous vous réjouissez d’abord de l’annulation – sous vos pressions, celles du Ministre de l’intérieur et des représentants du Conseil représentatif de la communauté juive de Lyon (Crif local), du grand rabbin de Lyon et de Claude Bloch, survivant du camp d’extermination d’Auschwitz – d’une conférence organisé le 1er février par la ville de Lyon, portant sur la situation des territoires palestiniens occupés 30 ans après les accords d’Oslo et à laquelle devait participer, entre autres invités, notre compatriote franco-palestinien Salah Hamouri.
Vous fustigez aussi les villes en France qui ont mis à l’honneur Salah Hamouri durant sa période de captivité en Israël pour des faits considérés comme « terroristes » par ce dernier, mais jamais prouvé, de tentative d’assassinat sur le rabbin Ovadia Youssef, chef du parti israélien Shas aujourd’hui décédé.
Vous dites aussi « qu’on ne met pas impunément à l’honneur un homme dont les liens avec une organisation classée comme terroriste par l’union européenne sont avérés ». Vous dénoncez une « tentative de réhabilitation de cet individu » par des personnes, dont certaines sont présentes, selon vos dires, dans les rangs de l’Assemblée nationale…
Pour finir, votre question est : « Quelles mesures le gouvernement compte-t-il prendre afin de protéger les Français en général et les citoyens juifs en particulier des actions qu’il pourrait entreprendre sur le sol français comme de l’apologie de la haine qu’il pourrait y diffuser ? »
Monsieur le député, quelles preuves pouvez-vous apporter des faits considérés comme « terroristes » par l’Etat d’Israël ? Avez-vous lu le dossier « confidentiel défense » de l’Etat d’Israël, que seuls les services de renseignements israéliens ont constitué et peuvent consulter ? Même les avocats de Salah Hamouri n’ont pu le consulter.
Quelles preuves pouvez-vous apporter des liens « avérés », selon vos termes, entre Salah Hamouri et une organisation considérée comme « terroriste », en l’occurrence le FPLP ? Là aussi, avez-vous lu le dossier confidentiel défense des services de renseignements israéliens que même les avocats de Salah Hamouri n’ont pu consulter ? Faites-vous partie des services de renseignements israéliens pour prétendre d’une manière certaine et sans équivoque ces choses-là ?
Vous vous adressez à la représentation nationale française, lieu de décision de la souveraineté nationale de la France ; avec quelles preuves, Monsieur le Député ?
Mieux, vous vous adressez à Monsieur Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur de la France ; ce dernier a t-il des preuves à adresser à la représentation nationale ? Ou sont-ce là des allégations mensongères fabriquées par l’Etat d’Israël et reprises par le représentant du peuple que vous êtes ? Ces mêmes allégations sont reprises par les soutiens de l’Etat d’Israël ici en France. Quelles preuves possède le Rabin de Lyon ou le CRIF de Lyon cité plus haut ?
Ensuite, Monsieur le député, vous demandez dans votre question à Monsieur le Ministre de l’Intérieur, quelles mesures il compte prendre « contre des actions que Salah Hamouri pourrait entreprendre sur le sol français… Vous ne supposez pas, vous êtes sûr. Là aussi, avez-vous des preuves des actions qui se préparent ? Là aussi, les services de renseignements israéliens vous ont-ils donné des preuves ou est-ce que le Ministre de l’Intérieur a des preuves d’éventuelles préparations d’actions ? Faites-vous partie des services de renseignements israéliens ?
Vous présumez de la dangerosité d’un homme sur la foi de déclarations infondées de l’Etat d’Israël alors qu’il se trouve en France où, normalement, le droit pour tous est inscrit dans la loi avec pour référence la constitution française et avec comme fille légitime la présomption d’innocence.
Cette dernière est-elle encore la règle pour tous ou allez-vous condamner sans jugement et sans preuves un homme sur la base d’allégations et peut-être demander son arrestation et son placement en détention préventive-administrative, comme l’ont fait les autorités israéliennes ?
Monsieur le député, êtes-vous encore l’un des représentants du peuple de France ou de l’Etat d’Israël et sa politique envers le peuple palestinien depuis sa création en 1947 /1948 ?
Le dernier volet de votre déclaration, Monsieur le député, concerne feu le rabbin Ovadia Youssef, grand rabbin sépharade d’Israël et chef du parti israélien Shas, qui, selon vous, a été la cible d’une tentative d’assassinat de la part de Monsieur Salah Hamouri.
Pourquoi n’avez-vous pas présenté le rabbin Ovadia Youssef (d’origine irakienne), son parti le Shas et le contexte Israël-Palestine ?
Ayant été le grand rabbin sépharade (juifs d’Orient) d’Israël, il était l’une des grandes références du judaïsme au sein du grand rabbinat d’Israël, qui est l’autorité suprême du judaïsme, reconnue par la loi en Israël, donc il était autant une autorité religieuse que morale.
Le parti Shas fondé en 1984 est composé de juifs sépharades (orientaux) orthodoxes pour la Thora. C’est donc un parti religieux se basant sur le fait qu’Israël est un État juif pour ses seuls citoyens juifs, comme le stipule la loi fondamentale (qui sert de constitution à l’Etat d’Israël). Il refuse donc l’instauration d’un Etat laïc et du mariage civil. Il se définit aussi comme un parti sioniste, adhérent ainsi au principe de la colonisation de la Palestine occupée sur la base du slogan « la Palestine, une terre sans peuple, pour un peuple sans terre », c’est-à-dire la négation des Palestiniens et de leurs droits sur leur terre historique.
Cette terre, Monsieur le député, trois fois sainte pour les trois religions monothéistes, dont les Palestiniens juifs, chrétiens et musulmans sont jusqu’à aujourd’hui les héritiers depuis plusieurs millénaires, pratiquant une coexistence pacifique. D’ailleurs, une partie de la tradition talmudique a été rédigée en Palestine, par des rabbins palestiniens, et les écoles religieuses palestiniennes juives étaient voisines des écoles religieuses palestiniennes chrétiennes et musulmanes.
Le grand rabbin Ovadia Youssef est donc aussi un responsable politique israélien qui prône la continuité de l’occupation et la colonisation de la Palestine et spécifiquement de la ville de Jérusalem, avec son lot de répression et de nettoyage ethnique commencé en 1947 / 1948 avec la création de l’Etat d’Israël et l’expulsion d’une partie des Palestiniens à cette date-là (la Nakba – Catastrophe).
Voilà la réalité en Palestine occupée, Monsieur le député.
Parce que l’occupation depuis 1947 / 1948 est un crime de guerre, parce que la colonisation est un crime de guerre, parce que le bombardement des populations civiles comme à Gaza avec du napalm blanc est un crime de guerre, parce que l’emprisonnement des populations civils, dont des femmes et des enfants, est un crime de guerre, parce que la torture est un crime de guerre, parce que l’annexion des terres (Jérusalem en 1967) est un crime de guerre, parce que le blocus de Gaza est un crime de guerre.
Vous ne parlez pas de tous ces crimes de guerre en Palestine occupée, Monsieur le député, ni le CRIF de Lyon, ni le rabbin de Lyon…
Dans ce contexte, Monsieur le député, quel est le sens moral de l’action du grand rabbin Ovadia Youssef (photo ci-dessus), qui, en homme gardien de la foi juive, doit appliquer les dix commandements qui sont entre autres :
Tu ne tueras pas – Tu ne voleras pas – Tu ne porteras pas de témoignage mensonger contre ton prochain – Tu ne convoiteras pas la maison ou la femme de ton prochain – Tu ne convoiteras rien de ce qui est à ton prochain …
Le grand rabbin Ovadia Youssef, grand rabbin d’Israël, responsable moral, spirituel et politique d’un parti politique israélien approuvant l’occupation et la colonisation de la Palestine n’a-t-il pas enfreint, comme un grand nombre de rabbins israéliens, le fondement même de sa propre foi et de la vôtre, Monsieur le député si vous croyez en Dieu ?
Ne faut-il pas dénoncer cette injustice, Monsieur le député, et dire qu’il y a un bourreau : l’Etat colonial et d’Apartheid Israël, et une victime, le peuple palestinien ?
Ne faut-il pas dénoncer ceux qui se prétendent des hommes de foi et qui soutiennent l’une des pires entreprises coloniales de l’histoire de l’humanité ?
Pour ma part, en tant que Palestinien, je me refuse à considérer la religion juive ou les juifs comme étant coupables de cette entreprise coloniale parce que plusieurs millénaires de coexistence entre les religions en Palestine et au Moyen-Orient prouvent qu’une autre voie est possible, et beaucoup de juifs dans le monde refusent l’occupation. Si d’autres font une autre interprétation, c’est la faute aux hommes politiques qui, pour des intérêts matériels, soutiennent l’Etat colonial Israël, et votre rôle en tant que député est de soutenir d’abord la vérité.
Est-ce que par exemple vous reprendriez à votre compte les paroles du grand rabbin Ovadia Youssef qui dit en 2000 (source Libération) : « Les six millions de malheureux juifs qu’ont tués les nazis ne l’ont pas été gratuitement. Ils étaient la réincarnation des âmes qui ont péché et ont fait des choses qu’il ne fallait pas faire. »
Ou encore en 2001 (source BBC News) : « Ovadia Youssef a appelé à l’« annihilation » des Arabes. »
En encore en 2005, après l’ouragan Katrina, il déclare : « Là-bas, ce sont des Nègres. Les Nègres ont-ils apporté la Torah ? Yallah, un ouragan s’est abattu sur eux et les a noyés, parce qu’ils n’ont pas de dieu ». Il qualifie Barak Obama d’« esclave », que « marcher entre deux femmes, c’est marcher entre deux ânes » ou que : « le jour où Shulamit Aloni, femme politique israélienne, mourra, il faudra organiser un festin. »
« Puisse Dieu envoyer un fléau aux Palestiniens, ces enfants d’Ismaël, ces vils ennemis d’Israël. » (Courrier international)
En octobre 2010, (journal Haaretz, 2 oct. 2010) il estime que « Les goyims [non juifs] n’ont de place dans le monde que pour servir le peuple d’Israël ». Il ajoute que « avec les gentils, ce sera comme toute personne, ils doivent mourir, mais [Dieu] leur donnera longévité. Pourquoi ? Imaginez que l’âne de quelqu’un meurt, ils perdraient leur argent. C’est son servant. C’est pourquoi il a une longue vie, pour bien travailler pour ce juif. »
Ces propos ont été dénoncés entre autres par l’Anti Defamation League aux USA.
Et vous, Monsieur le Député, allez-vous dénoncer ces propos comme l’engagement du grand rabbin en faveur de l’occupation des territoires palestiniens ?
En l’occurrence non, et tout ce que vous trouvez à faire, c’est de charger la barque de notre compatriote Salah Hamouri sur de fausses allégations.
Savez-vous, Monsieur le député, que la résistance à l’occupation est selon l’ONU légitime ?
Savez-vous Monsieur le député que le soutien à l’occupation et la colonisation est considérée en France comme de l’apologie de crime de guerre ?
Ce qui m’inquiète, Monsieur le député, c’est que vous faites de la défense de l’Etat colonial et d’Apartheid votre cause première. Ce même Etat qui, se drapant du religieux, bafoue les principes de laïcité qui fondent l’Etat de droit de la République française et plus que tout, utilise le génocide des juifs pendant la seconde guerre mondiale afin de justifier des crimes de guerre en Palestine occupée et amalgame la lutte contre l’antisémitisme à la lutte contre la pire idéologie coloniale, le sionisme.
Quels principes avez-vous, Monsieur le député, sinon d’avoir vendu les principes de la République française dont, normalement, vous devez défendre l’ambition de souveraineté comme votre collègue Habib Meyer qui lui, de par son allégeance complète à l’Etat colonial Israël, défend les intérêts israéliens au sein du parlement français.
D’autres comme Monsieur Badinter – ancien garde des sceaux et artisan de l’abolition de la peine de mort en France et l’un des fondateurs de la Cour pénale internationale – avait adressé une contribution à cette cour début 2020 disant : « La Cour pénale internationale (CPI) n’a pas juridiction sur les crimes prétendus avoir été commis en Cisjordanie, incluant Jérusalem Est et la bande de Gaza… » (article paru dans Le Club Mediapart du 20 février 2020).
Comment Monsieur Badinter peut-il ignorer, par exemple, le rapport Goldstone sur la guerre contre Gaza en 2014 indiquant qu’il y a eu crime de guerre voire contre l’Humanité à Gaza ?
Comment peut-il ignorer les rapports de l’ONU sur l’occupation et surtout la colonisation dans les territoires occupés dont Jérusalem indiquant que des crimes de guerres y sont commis ?
Il est clair qu’il protège et défend le Premier ministre israélien Nethanyahu, le boucher de Gaza, qui applique tous les jours la même peine de mort aux Palestiniens dans les territoires occupés.
Monsieur Badinter se disqualifie totalement par rapport à ses valeurs et son histoire.
Toutes ces pratiques sont condamnables, pitoyables et irresponsables parce que vous poussez et encouragez au conflit les membres de la communauté juive en France contre les Palestiniens, mais vous vivez tranquillement en France et manipulez les faits à votre guise.
A l’heure ou Benjamin Netanyahu, le boucher de Gaza, l’ami de la France selon Messieurs Darmanin et Macron est en visite officielle, il est évident qu’un long chemin sera nécessaire afin que le peuple palestinien recouvre ses droits nationaux sur sa terre historique, la Palestine de la mer au Jourdain.
Walid Atallah, Membre de l'Association des Palestiniens en Ile-de-France