Partager la publication "La double injustice du réchauffement planétaire en Palestine occupée : un génocide climatique ?"
Emad Moussa, 2 septembre 2021. Qualifié d’ « alerte rouge pour l’humanité », le récent rapport des Nations unies sur le climat prévient que bon nombre des phénomènes météorologiques graves et sans précédent observés ces dernières années sont irréversibles et risquent de s’aggraver.
En appelant les nations à agir immédiatement pour réduire les émissions de CO2, le rapport a également révélé les disparités socio-économiques entre les nantis et les démunis. L’injustice climatique affecte le monde à la fois en termes d’effets disproportionnés du changement climatique sur différents groupes de personnes et de la capacité de ces personnes à les combattre.
La Palestine, partie au traité de Paris sur le climat depuis 2016, est l’une des nations les plus fragiles sur le plan socio-économique et institutionnel, et à ce titre, elle accuse un retard important en matière de préparation adaptative et procédurale pour lutter contre les effets du changement climatique.
Contrairement à d’autres nations, cependant, la fragilité de la Palestine n’est pas simplement le produit d’une mauvaise gestion ou de ressources limitées. Elle est en grande partie le résultat de sept décennies de colonialisme sioniste. La vulnérabilité climatique palestinienne fait donc partie intégrante de la lutte politique globale avec Israël.
Le Moyen-Orient devrait être particulièrement touché par les effets du changement climatique. En août, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a prédit que les températures dans le sud et l’est de la Méditerranée devraient augmenter plus fortement et 1,5 à 2 fois plus vite que la moyenne mondiale, entre 2,2 et 5,1°C selon un scénario d’émissions réaliste. Les taux de précipitations annuelles diminueront également de 20 % d’ici 2050.
Si l’avenir semble sombre pour toutes les populations de la région, il l’est particulièrement pour les Palestiniens.
Bien qu’Israël et la Palestine partagent techniquement la même zone géographique et soient susceptibles de connaître le même sort écologique, les deux nations diffèrent radicalement dans leur niveau de préparation à l’adaptation au changement climatique.
En guise de mesure d’adaptation et conformément à l’accord de Paris sur le climat, Israël s’apprête à réduire ses émissions de carbone de 85 % d’ici le milieu du siècle, a déclaré le Premier ministre Naftali Bennett.
Mais même s’il s’agit d’une approche positive, en théorie, pour les Palestiniens géographiquement adjacents, il existe des sections, sinon la plupart, des organes officiels israéliens qui considèrent le changement climatique uniquement comme un dilemme de sécurité nationale, à l’instar de la gestion récente de Covid-19 par Israël.
Pour eux, l’atténuation du changement climatique se résume à une diminution des ressources qui pourrait donner naissance à des États défaillants et, selon le <i>Times of Israel</i>, à des « extrémistes islamiques » et à des « groupes criminels » qui utiliseraient la nourriture et l’eau comme armes de contrôle.
La réponse toute faite et souvent tentée serait d’enfermer le collectif israélien derrière des barricades et des murs.
Mais la sécurisation du changement climatique – bien que compréhensible dans des limites raisonnables – se fera probablement aux dépens des Palestiniens.
Pour maintenir la stabilité politique et atténuer l’effet de la diminution des ressources naturelles, Israël aura recours au renforcement de son contrôle sur les terres et les populations palestiniennes, en accélérant le vol de leurs ressources naturelles, notamment l’eau et les terres agricoles.
Dans ce cas, l’injustice climatique pour les Palestiniens devient une oppression climatique. Le mot « injustice » indique le résultat spontané d’un déséquilibre socio-économique, tandis que le mot « oppression » désigne un acte prémédité de privation.
En l’état actuel des choses, Israël repose sur un système de ségrégation qui accorde des privilèges à ses citoyens et exclut les Palestiniens, tout en donnant simultanément à l’État israélien le « droit » d’utiliser les ressources palestiniennes pour le bien-être et le luxe de ses citoyens.
Par exemple, alors que les colons israéliens de la Cisjordanie occupée jouissent d’une eau abondante pour la boisson et les piscines, les Palestiniens continuent d’être contrôlés par l’ordonnance militaire 158 de 1967 d’Israël, qui interdit la construction de toute installation/développement hydraulique sans un permis des autorités israéliennes, presque impossible à obtenir.
Une partie de l’eau qu’Israël vole aux Palestiniens est revendue à l’Autorité palestinienne, un fait ironique qui correspond parfaitement à la réalité de la domination coloniale sioniste.
Cette économie de l’eau à contre-courant provoque de graves pénuries d’eau et des effets dévastateurs sur les cultures, qui représentent non seulement l’épine dorsale de l’économie palestinienne mais aussi la principale source de sécurité alimentaire qui pourrait contribuer à atténuer l’impact du changement climatique.
En outre, Israël détruit continuellement les cultures d’arbres dans toute la Cisjordanie, et confisque des terres fertiles sous des prétextes de sécurité ou à titre de mesures punitives, en particulier dans la vallée du Jourdain, le grenier à blé de la Palestine.
Tout cela se produit alors qu’Israël utilise continuellement les régions de Cisjordanie pour traiter les déchets israéliens, y compris les déchets dangereux.
À Gaza, la situation est plus extrême. Quatre-vingt-dix-sept pour cent de l’eau de Gaza est impropre à la consommation humaine et la majorité des Gazaouis sont contraints d’acheter de l’eau minérale pour survivre.
La couverture végétale qui existait autrefois dans la bande de Gaza a aujourd’hui considérablement diminué, en raison de la croissance rapide de la population et de la destruction par Israël de dizaines d’hectares de cultures et d’agrumes en les rasant pour créer des tampons de sécurité – principalement dans les zones fertiles proches de la frontière – ou en bloquant les exportations agricoles.
La doctrine sécuritaire d’Israël à Gaza fait en sorte que les Palestiniens soient au bord d’une grave crise humanitaire, sans jamais franchir la ligne. Pourtant, presque personne dans les institutions officielles israéliennes ne semble très préoccupé par les conséquences lorsque Gaza, qui a épuisé presque toutes ses ressources, y compris la masse terrestre, atteint le point d’effondrement écologique complet.
En effet, la fragmentation géographique et la socio-économie fragile des Palestiniens affaiblissent leur capacité à lutter contre le changement climatique. Cependant, il est impératif de se rappeler que la transformation des Palestiniens en sujets totalement dépendants, dépourvus des moyens de fonctionner par eux-mêmes ou d’établir un État indépendant, est un élément fondamental du colonialisme sioniste.
En fabriquant et en perpétuant cette privation collective, Israël ne met pas seulement l’accent sur une hiérarchie raciste et coloniale, mais, pire encore, il prive les Palestiniens des moyens fondamentaux de se défendre contre le changement climatique.
Priver un groupe de moyens d’autodéfense contre le changement climatique peut équivaloir à commettre un génocide climatique.
Article original en anglais sur The New Arab / Traduction MR pour ISM
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