Emad Moussa, 27 juillet 2021. En juillet 2000, le président de l’OLP, Yasser Arafat, et le premier ministre israélien, Ehud Barak, se sont bousculé, l’humeur joviale, pour savoir qui franchirait le premier la porte de la résidence de campagne du président, Camp David (1). Un public plein d’espoir en Israël, dans les Territoires palestiniens et dans le monde entier a interprété les gestes des dirigeants comme le signe de négociations sans heurts qui aboutiraient à une solution permanente au conflit israélo-palestinien.
Mais en réalité, l’atmosphère entre les deux dirigeants était loin d’être enjouée, et les négociations étaient loin d’être fluides.
Selon le New York Times, Arafat et Barak ont apparemment déployé toute leur panoplie de bluffs et d’acrobaties, de rhétorique et de raison pour inventer, adopter et rejeter des solutions créatives pour mettre fin au conflit.
Lorsque les négociations ont échoué, chaque partie a immédiatement blâmé l’autre, donnant des interprétations contradictoires et intéressées de ce qui s’était passé derrière les portes closes. Barak a accusé Arafat d’avoir refusé un « accord généreux », tandis qu’Arafat a accusé Barak et l’ancien président américain Bill Clinton d’avoir fait pression sur lui, entre autres, pour qu’il renonce à Jérusalem et au droit de retour, qui représentent tous deux la colonne vertébrale de la lutte palestinienne.
L’échec du processus de paix
L’échec de Camp David II a depuis placé les relations israélo-palestiniennes sur une trajectoire descendante rapide qui n’a fait que s’accentuer au fil des ans. Chaque partie, bien sûr, a vécu et filtré les effets secondaires à travers ses propres récits et attentes. En raison de l’asymétrie du pouvoir, ce sont les Palestiniens qui ont subi les conséquences les plus graves : expansion spectaculaire des colonies, restrictions accrues des déplacements, campagnes d’arrestations intenses, chantage financier et blocus de Gaza, entre autres.
Pourtant, les dirigeants palestiniens actuels de Ramallah, sous la direction de Mahmoud Abbas, continuent de faire l’éloge du processus de paix disparu depuis longtemps, tout en restant confinés dans un espace géographique qui n’a fait que se restreindre depuis la signature des accords d’Oslo au milieu des années 1990.
Le décalage est scandaleux, mais pour les acolytes et les apologistes d’Abbas, le mot clé est toujours « pragmatisme » – une absurdité défensive qu’Edward Said a qualifiée de « nauséabonde » dans son livre « The End of the Peace Process« .
Que le terme « nauséabond » soit ou non approprié, le sentiment général est probablement exact. Il reflète non seulement le manque de réalisme et d’objectifs clairs de l’Autorité palestinienne, la folie de répéter sans cesse les mêmes stratégies et de s’attendre à des résultats différents, mais aussi le niveau d’aveuglement volontaire qui a conduit l’AP à agir réellement et efficacement comme l’auxiliaire d’Israël.
Dans un sens, l’AP a reproduit le cas historique classique d’une autorité sous occupation, dépourvue d’autonomie significative et servant l’oppresseur même auquel elle prétend s’opposer.
Le fossé générationnel palestinien
Mais oubliez les récits de loyauté et de trahison ; le décalage ici a également – de manière assez brutale – créé un schisme sociétal, non seulement en termes de polarisation politique, mais surtout en termes de fossé générationnel important.
Pour les Palestiniens qui, enfants, s’amusaient de voir les deux dirigeants se pousser amicalement dans l’embrasure de la porte, et ceux qui étaient trop jeunes pour s’en souvenir ou qui sont nés après, c’est-à-dire la génération post-Oslo, la perception de l’histoire est différente.
Le fossé entre la génération d’Oslo : les dirigeants, et la génération post-Oslo : les dirigés, est énorme. Soixante-neuf pour cent des Palestiniens ont moins de 29 ans, alors que l’âge moyen au sein du comité exécutif de l’OLP – et par extension, de l’AP – est de 65 ans, et ne cesse de s’accroître.
Les Palestiniens de la génération du millénaire et de la génération Z sont confrontés à un leadership bien ancré qui est en place depuis les années 1980. Les jeunes ne partagent donc pas les valeurs de leurs dirigeants et ne sont pas d’accord avec leurs méthodes de gestion de la cause palestinienne. Ils sont particulièrement peu impressionnés par l’adhésion cynique de l’AP au soi-disant processus de paix avec Israël.
Les jeunes Palestiniens n’ont jamais connu, et encore moins bénéficié, de ce que l’on a rétrospectivement – mais naïvement – appelé « les années d’espoir » qui ont précédé et suivi le processus de paix d’Oslo et qui promettaient un semblant d’État palestinien. Ils ont plutôt appris à connaître Camp David et l’ensemble du processus d’Oslo qui lui a donné naissance principalement à travers ses conséquences négatives : le renforcement de l’occupation, une série d’Intifada et de guerres, la détérioration de la situation économique et un leadership déconnecté et corrompu.
Leur vision du monde d’Oslo, pour le dire autrement, ne concerne pas le processus de paix en soi, mais ce qu’il en est resté. Et ce qui en est resté est largement perçu comme préjudiciable à la cause palestinienne.
On s’accorde largement à dire que le semblant de souveraineté palestinienne créé par Oslo il y a 26 ans reste vide – peut-être de plus en plus – parce que les structures mêmes qui l’ont établi l’ont simultanément sapé. Cette forme de souveraineté permet à Israël de maintenir son contrôle sur les Palestiniens tout en confiant la responsabilité de leurs affaires socio-économiques à l’AP. En d’autres termes, une occupation gratuite et quelque peu durable.
En interne, le sentiment général est qu’une génération entière a été laissée de côté, tant sur le plan économique qu’institutionnel. Des années d’élitisme de l’AP ont créé des conditions économiques désastreuses et restreint les droits politiques et humains, tandis que les responsables de l’AP et leurs partenaires commerciaux bénéficiaient d’avantages économiques et construisaient des maisons de luxe à Ramallah et Amman.
Presque tout dans ce système d’Oslo est conçu pour pousser les Palestiniens à l’échec. Les chercheurs israéliens Kotef et Amir soulignent que, imbriqué avec une série de délimitations cachées et changeantes – le système d’Oslo « fait des Palestiniens les transgresseurs aléatoires de règles qui leur sont invisibles. » La réaction des Palestiniens à ces règles fait d’eux des sujets indisciplinés et, à ce titre, justifie la poursuite de l’occupation.
Oslo a créé une hiérarchie des bénéficiaires dans la société palestinienne, plaçant la jeune génération – celle qui n’est pas affiliée à la « vieille garde » et qui est actuellement la principale victime de l’occupation – au bas de l’échelle.
Israël ne se serait pas satisfait d’un système équitable. Il devait être élitiste et répressif, conformément au cours de l’histoire du colonialisme de peuplement.
Pour ceux qui sont prêts à s’engager rétrospectivement dans un débat sur Oslo, une conclusion finale est que l’asymétrie de pouvoir entre Israël et les Palestiniens a rendu Oslo non pertinent. Il pourrait même s’agir d’une forme de capitulation, présentée comme un pari entre égaux.
(1) Voir la vidéo :
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Article original en anglais sur The New Arab / Traduction : MR pour ISM