Si le drapeau palestinien pouvait parler, que dirait-il ?

Aya Youssef, 12 juin 2022. Je suis le drapeau palestinien. Vous m’avez probablement déjà aperçu, brandi quelque part dans ce vaste monde, sur une fenêtre, une porte ou un bâtiment. Vous avez probablement vu les forces d’occupation israéliennes m’arracher dans divers endroits, sans raison.

Mes couleurs sont le rouge, le blanc, le vert et le noir. Chaque couleur symbolise quelque chose qui est lié à notre lutte palestinienne pour la liberté, dont je suis le symbole.

« Israël » me prend pour cible pour faire aboutir son projet de colonialisme de peuplement en Palestine. Chaque fois qu’elles me repèrent, les forces israéliennes me déchiquettent en morceaux ou me brulent. 

Où que je me trouve, que ce soit sur une fenêtre, dans les cours d’Al-Aqsa, sur la tombe ou le cercueil de quelqu’un, ou simplement tenu par quelqu’un qui scande « Free Palestine », je suis toujours une menace pour « Israël ».

D’où vient mon existence ?

Commençons par le fait que j’existe réellement. J’ai été reconnu pour la première fois par la communauté internationale en 2015, lorsque j’ai volé haut devant le siège de l’ONU après le vote de la résolution par l’Assemblée générale. 

Même si certains pays s’opposaient à mon existence même, la communauté internationale me reconnaissait pour la première fois. Lors de la session de vote, 119 pays ont approuvé la résolution me permettant d’être hissé, 45 pays se sont abstenus et 8 pays se sont opposés.

Ma longue histoire qui remonte à un siècle, à la révolte arabe contre l’Empire ottoman.

Sharif Hussein en a tracé les grandes lignes. Pendant la révolution arabe de 1916, mes couleurs étaient, de haut en bas : noir, vert et blanc, avec un triangle rouge. 

Le peuple palestinien m’a pris comme drapeau du mouvement national arabe en 1917. En 1947, le parti Ba’ath arabe m’a pris comme symbole de la libération et de l’unité de la nation arabe.

Le peuple palestinien m’a réadopté lors de la conférence palestinienne de Gaza en 1948. J’ai été reconnu par la Ligue arabe comme le drapeau du peuple palestinien, ce que l’OLP a confirmé lors de la conférence palestinienne d’Al-Quds en 1964.

Lors de la première réunion du Conseil national palestinien, le 28 mai 1964, le Conseil a défini mes couleurs comme suit : vert, blanc, puis noir avec un triangle rouge. 

En décembre 1964, le Comité exécutif de l’OLP a établi un système pour définir mes dimensions en remplaçant les couleurs noir et vert l’une par l’autre.

Le 15 novembre 1988, l’OLP m’a adopté comme drapeau de l’État palestinien.

Mes droits en tant que drapeau

Le 22 décembre 2005, l’Autorité nationale palestinienne a publié la loi d’inviolabilité n° 22, qui spécifie mes couleurs et les endroits où je peux être hissé, ainsi que les conséquences pour ceux qui violent la loi.

Je peux être hissé sur les bâtiments gouvernementaux, les aéroports, les bases militaires et les établissements et sièges officiels à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine.

Il est interdit de hisser tout drapeau sur les ministères, les institutions et les lieux publics.

Tout ça à cause d’un drapeau ?

Malgré les lois qui ont été clairement émises et énoncées, l’occupation israélienne m’a toujours considéré comme une menace. Pourquoi ? Pour la raison très simple que j’existe réellement. 

C’est très simple ; les Palestiniens, qui se battent pour chaque pouce de leur terre, m’utilisent face aux soldats israéliens comme moyen de résistance. 

Alors que les forces d’occupation israéliennes utilisent des balles réelles et en caoutchouc-acier, des bombes et des armes lourdes sur les Palestiniens, les propriétaires de la terre m’utilisent comme un moyen de dire : « nous sommes ici, et nous y serons toujours ». 

On peut se demander : que peut faire un seul drapeau face à la brutalité d' »Israël » ? Il a été prouvé qu’il peut faire beaucoup.

Depuis la « Marche des drapeaux »

En mai 2021, « Israël » a organisé sa « Marche des drapeaux », une provocation ultranationaliste au cours de laquelle des colons illégaux ont brandi le drapeau israélien et ont harcelé et attaqué des Palestiniens.

En juin 2021, après la « Marche des drapeaux », la Knesset israélienne a adopté en lecture préliminaire un projet de loi présenté par Eli Cohen, député du Likoud, visant à interdire le déploiement de « drapeaux ennemis », en référence à moi, dans toute la Palestine.

Après la première lecture préliminaire, la Knesset a voté le projet de loi avec 63 voix pour et 16 contre. Le projet de loi était principalement soutenu par le Premier ministre israélien Naftali Bennet. 

Pendant le vote à la Knesset, Cohen a dit à ceux qui s’opposaient au projet de loi « d’aller à Gaza ou en Jordanie ». 

Il a déclaré que « ceux qui se considèrent comme des Palestiniens sont invités à aller à Gaza ou en Jordanie. Je vous promets un financement pour le transport ».

D’un autre côté, lorsqu’on voit des extrémistes israéliens brandissant les drapeaux israéliens tout en attaquant brutalement des Palestiniens, le gouvernement israélien est d’accord avec cela. Mais quand un seul Palestinien essaie de me placer n’importe où près des Israéliens, c’est « trop provocateur ».

Aux funérailles d’Abu Akleh, j’étais une cible 

Il n’a pas suffi à « Israël » d’assassiner de manière horrible la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh, il a fallu que ses forces d’occupation attaquent les porteurs du cercueil lors de ses funérailles. 

Des scènes d’horreur ont dominé les funérailles alors que les forces israéliennes frappaient les porteurs de cercueils à coups de matraque et les obligeaient à lutter pour empêcher le cercueil de tomber.

Parce que je drapais le cercueil, il est devenu la cible principale de la police israélienne, à tel point que les porteurs du cercueil ont failli le faire tomber. 

Je suis devenu une cible principale de la police israélienne ; dès qu’ils me voient, ils essaient de m’enlever.

La police israélienne a même pris d’assaut la maison familiale de Shireen Abu Akleh le jour même de son assassinat, m’arrachant et demandant aux personnes en deuil d’éteindre toute musique patriotique diffusée en fond sonore.

La pastèque et moi : Une courte histoire de résistance  

« Si je peins une fleur avec ces couleurs, que ferez-vous ? »

« Elle sera confisquée. Même si vous peignez une pastèque, elle sera confisquée. »

Après la Naksa arabe en 1967, le gouvernement israélien a interdit d’afficher mes couleurs partout.

Me voir accroché dans un lieu public était considéré comme un crime. Tout Palestinien qui affichait mes couleurs, n’importe où et n’importe quand, était arrêté. 

J’étais obligé de me cacher du public, je n’avais pas le droit de me montrer où que ce soit, et j’étais réprimé avec mes camarades palestiniens. Ils me poursuivaient où que j’aille. Je suis devenu une véritable obsession pour les Israéliens ; un véritable cauchemar.

C’est pourquoi les Palestiniens ont trouvé un autre moyen de protester et de résister à l’occupation et à l’apartheid israéliens : les pastèques.

En 1980, les forces d’occupation israéliennes ont pris d’assaut un vernissage à la Galerie 79, à Ramallah, ont confisqué les peintures qui y étaient exposées et ont arrêté les artistes palestiniens : Sliman Mansour, Nabil Anani et Issam Badr. 

Mansour, dans l’une de ses interviews, a décrit comment le chef de la police israélienne les convainquait de ne pas faire d’art politique. « Pourquoi politisez-vous l’art ? Pourquoi ne pas peindre de jolies fleurs ou un personnage nu ? C’est beau. J’achèterai même vos toiles ». 

« L’officier a haussé la voix et a dit : « Même si vous peignez une pastèque, on la confisquera », » a déclaré Mansour.

« L’idée de la pastèque est donc venue, en fait, de l’officier, pas de nous ».

Un peintre bien connu de Gaza, Fathi Ghaben, a lui aussi été arrêté en 1984 pour l’une de ses peintures, qui montrait son neveu allongé sur le côté, succombant à une blessure après avoir été abattu par les forces d’occupation israéliennes. 

Le garçon portait un pull vert et blanc et un pantalon noir, couverts de sang rouge.

Ghabin a purgé 6 mois dans une prison israélienne pour cette œuvre d’art. 

En octobre 1993, quelques semaines seulement après la signature des accords d’Oslo entre « Israël » et l’OLP, le New York Times a rapporté que des jeunes gens avaient été arrêtés pour avoir tenu des moitiés de pastèque dans la bande de Gaza.

Dans le même article, une note de la rédaction indiquait, plusieurs mois plus tard, que le NYT ne pouvait pas confirmer ces affirmations, mais qu’un responsable israélien n’avait pas nié que de telles arrestations avaient eu lieu. 

Les pastèques sont réapparues en 2021 

Pendant les expulsions forcées qui ont eu lieu dans le quartier de Sheikh Jarrah en 2021, suivies par l’agression de 11 jours de la bande de Gaza, des pastèques palestiniennes ont commencé à apparaître dans des peintures, des illustrations, des bannières, des fresques et des t-shirts sur les plateformes de médias sociaux.


hanan.alsagoff sur Instagram : Résistance, la pastèque et le keffieh

En raison des politiques de censure des plateformes, les activistes pro-palestiniens ont commencé à poster des pastèques en guise de solidarité avec le peuple palestinien, puisqu’elles portent les mêmes couleurs.

En parlant de solidarité…

De nombreux Palestiniens et militants pro-palestiniens m’ont tenu, brandi et porté. Par exemple, Nooran Hamdan, diplômée palestinienne, a courageusement brandi le drapeau palestinien à l’université de Georgetown et a refusé de serrer la main du secrétaire d’État américain Antony Blinken qui était présent à la remise des diplômes.

Le rappeur égyptien Wegz a montré sa solidarité avec la cause palestinienne en s’enveloppant de mes couleurs avec la Koufiyya lors de sa dernière performance à Paris.

Alors, pourquoi moi ?

Moi, le drapeau palestinien, je suis toujours le symbole de la résistance et de la ténacité palestiniennes, malgré les tentatives désespérées et ratées de m’éliminer. Je suis enraciné au tréfonds de chaque personne qui croit que la Palestine est effectivement occupée par une entité oppressive, coloniale, impériale et hégémonique. 

Je suis gravé dans le cœur de chaque enfant palestinien qui tente de résister aux bulldozers, aux balles et aux bombes israéliennes.

Je suis présent à chaque enterrement organisé à cause des crimes israéliens. 

J’existe sur chaque pouce de la terre palestinienne, et chaque tentative de m’effacer ne fait que prouver la puissance et la justesse de la cause palestinienne. 

Je serai toujours là pour chaque Palestinien sous l’occupation israélienne, tout au long de la résistance. 

Article original en anglais sur Al-Mayadeen / Traduction MR