Israël a verrouillé la mémoire de Kafr Qasem depuis bien trop longtemps

Ramona Wadi, 3 juin 2022. La Cour d’appel militaire d’Israël a décidé que les documents relatifs au massacre de Kafr Qasem, qui s’est produit en 1956, pouvaient désormais être déclassifiés. En février 2017, l’historien israélien Adam Raz, de l’Institut Akevot pour la Recherche sur le conflit israélo-palestinien, a déposé une demande auprès des archives des forces de défense israéliennes (FDI), ainsi qu’auprès de la Cour d’appel militaire israélienne, pour avoir accès à des documents classifiés concernant le procès de Kafr Qasem.

Le massacre de Kafr Qasem a eu lieu le 29 octobre 1956, juste une demi-heure avant l’entrée en vigueur du couvre-feu imposé au village. Les Palestiniens qui n’étaient pas encore rentrés chez eux ont été pris en embuscade et tués, car la directive n’a pas eu le temps d’être communiquée correctement. Israël a imposé une interdiction des médias qui a été bravée par Tawfiq Toubi, du parti communiste, qui a préparé des communiqués de presse en anglais, arabe et hébreu pour les diffuser. Il a fallu 25 jours pour que la communauté internationale soit informée du massacre de Kafr Qasem.

Seul le colonel Issachar Shadmi a été inculpé pour Kafr Qasem, mais uniquement pour des détails techniques de procédure – celui d’avoir outrepassé son autorité en donnant des ordres de couvre-feu, tâche qui n’était assignée qu’au gouverneur militaire. La condamnation de Shadmi a été aussi farfelue que le procès – une amende symbolique équivalente à un dixième de livre israélienne. Dans une interview accordée à Haaretz, Shadmi a révélé : « On m’a dit que je pouvais m’opposer aux juges qui avaient été nommés, si je n’avais pas confiance en eux. » Des officiers supérieurs de Tsahal l’ont également rassuré, au préalable, en lui disant qu’il ne faisait que participer à un procès spectacle.

En 2018, le parquet militaire israélien a refusé la demande, déclarant que « toute déclassification des transcriptions des audiences du « procès de Kafr Qasem » allant au-delà de ce qui est déjà accessible au public porterait atteinte à la sécurité nationale et aux relations étrangères et, dans des cas spécifiques, porterait également atteinte à la vie privée et à la sécurité des personnes – avec un niveau élevé de certitude qui exclut légalement la déclassification. »

Monument commémoratif à Kafr Qasem, en Palestine 48, en souvenir du massacre de 1956 [Utilisateur: Avi1111 / Wikipedia].

Un autre argument avancé par le procureur militaire israélien était que les documents n’étaient demandés que pour les recherches privées de Raz et son intérêt pour l’affaire, ce qui a poussé Raz à demander à Esawi Frej, député et résident de Kafr Qasem qui a régulièrement appelé à la reconnaissance des atrocités commises contre les Palestiniens du village, comme témoin pour faire émerger la vérité sur le massacre.

S’exprimant sur le procès en 2018, Raz avait déclaré : « J’ai été surpris de découvrir qu’il est plus facile d’écrire sur l’histoire du programme nucléaire israélien que sur les politiques d’Israël à l’égard de ses citoyens arabes. »

Les documents déclassifiés seront rendus publics à la fin du mois de juillet de cette année, après qu’il ait été jugé que la déclassification ne porterait pas atteinte à la sécurité de l’État ou aux relations extérieures, ce qui a amené Raz à se demander quelle différence cela aurait fait si les documents avaient été rendus accessibles il y a cinq ans, lorsque la demande a été déposée.

Kafr Qasem est un autre épisode de l’histoire sioniste du nettoyage ethnique des Palestiniens de leur terre, mais un épisode qu’Israël s’est efforcé de soustraire à l’attention du public. La justice pour Kafr Qasem ne sera très probablement pas rendue, mais il faut politiser l’ouverture des archives au-delà de la recherche afin d’attirer l’attention sur l’importance de la mémoire historique palestinienne et la nécessité de la décolonisation.

Article original en anglais sur Middle East Monitor / Traduction MR

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