Les Palestiniens de Masafer Yatta menacés de nettoyage ethnique

5 mai 2022. Clôturant 23 ans de procès, la haute Cour du régime sioniste vient de donner le feu vert à l’expulsion des villages du secteur de Masafer Yata, dans les collines du sud d’Hébron. Au moins 2.400 Palestiniens indigènes sont maintenant menacés d’expulsion imminente. A quelques jours de la commémoration de la Nakba de 1948, cette décision résonne de façon glaçante, et est la preuve, s’il en était besoin, que le nettoyage ethnique de la population palestinienne n’a jamais cessé. Pour comprendre le combat des Palestiniens de cette région, nous traduisons cet article publié par +972Magazine le 14 mars 2022, qui explique leur situation.

Une Palestinienne à côté d’une maison détruite par des bulldozers israéliens dans le village de Khirbet al-Halawah, dans la zone de tir 918, dans les collines du sud d’Hébron, le 3 février 2016. (Oren Ziv/Activestills)

Qu’est-ce que Masafer Yatta ?
Masafer Yatta est une zone rurale de la Cisjordanie occupée, dans la région des collines du sud d’Hébron. Située dans la “zone C”, elle est entièrement sous contrôle militaire et civil israélien. Il y a 20 hameaux palestiniens dans cette zone, avec d’anciennes structures troglodytes construites dans la roche et des maisons plus récentes construites au cours des dernières décennies, à mesure que les communautés se sont développées.

Pourquoi fait-elle l’actualité en ce moment ?

Le 15 mars, la Cour suprême d’Israël tiendra une audience décisive qui pourrait déterminer l’avenir de huit des 20 communautés palestiniennes résidant à Masafer Yatta. Plus de 1.000 Palestiniens vivant dans ce qu’Israël appelle la “zone de tir 918” sont menacés d’expulsion, ce qui constituerait l’un des plus grands déplacements de Palestiniens depuis des décennies.

Si le tribunal approuve l’expulsion de ces huit communautés, il s’agira d’un précédent juridique majeur qui permettra de statuer sur d’autres cas de communautés palestiniennes vivant dans des zones de tir en Cisjordanie.

Des enfants de Jinbeh, village palestinien de Cisjordanie occupée, regardent l’armée israélienne effectuer un exercice, le 3 février 2020. (Keren Manor/Activestill.org)

Attendez, c’est quoi une zone de tir ?

Depuis les années 1970, Israël a désigné quelque 18 % de la Cisjordanie occupée comme zones de tir pour l’entraînement militaire, à l’intérieur desquelles l’armée interdit totalement la présence de civils. Près de 40 communautés d’éleveurs palestiniens, y compris à Masafer Yatta, se trouvent dans ces zones, avec une population totale de plus de 6.200 personnes. De nombreux hameaux palestiniens existaient dans ces zones avant les fermetures militaires.

Les autorités israéliennes ont menacé ces communautés de démolir leurs maisons et de détruire leurs moyens de subsistance agricoles au motif qu’elles n’ont pas de permis de construire, qu’il est effectivement impossible d’obtenir. Certaines des familles palestiniennes ont été déplacées à plusieurs reprises pour de courtes périodes afin de faire de la place pour l’entraînement militaire.

Qu’est-ce que la zone de tir 918 ?

Au début des années 1980, Israël a déclaré une nouvelle zone d’entraînement militaire dans la région de Masafer Yatta, d’une superficie de 3.000 hectares (30.000 dunams) dans laquelle se trouvent 12 villages palestiniens : Jinbeh, Al-Mirkez, Al-Halaweh, Halat a-Dab’a, Al-Fakheit, A-Tabban, Al-Majaz, A-Sfai, Megheir Al-Abeid, Mufagara, A-Tuba et Sarura.

La décision d’allouer ces terres à l’armée a été prise par le ministre de l’Agriculture de l’époque, Ariel Sharon, avec l’intention explicite de transférer les communautés palestiniennes de la région. Lors d’une réunion du Comité ministériel pour les affaires de colonisation en juillet 1981, Sharon (qui deviendra plus tard le Premier ministre israélien) a fait valoir qu’en raison de “l’expansion des villageois arabes des collines”, Israël avait “intérêt à étendre et à élargir les zones de tir là-bas, afin de garder ces zones, qui sont si vitales, entre nos mains.”

Y a-t-il déjà eu des expulsions à Masafer Yatta ?

Pendant plusieurs années après la déclaration de la zone de tir, la vie des résidents palestiniens de Masafer Yatta n’a pas beaucoup changé. Puis, en 1999, l’armée israélienne a expulsé quelque 700 résidents au motif qu’ils “vivaient illégalement dans une zone de tir” et n’étaient pas des résidents permanents de la région. En réponse à un appel de l’Association pour les droits civils en Israël (ACRI), la Cour suprême a émis une injonction provisoire en vertu de laquelle les résidents ont été autorisés à retourner dans leurs villages jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise par le tribunal.

Y a-t-il eu des développements depuis lors ?

L’injonction provisoire du tribunal a plus ou moins maintenu le statu quo à Masafer Yatta au cours des deux dernières décennies. De multiples audiences ont eu lieu pendant cette période, et l’État a maintenu sa position en faveur de l’expulsion des résidents palestiniens en continuant à faire valoir qu’ils n’étaient pas des résidents permanents dans la zone lorsque la zone de tir a été déclarée, et qu’ils n’ont donc aucun droit sur le terrain.

Des manifestants marchent à A-Rakeez, dans la région de Massafer Yatta, au sud d’Hébron, en direction de l’avant-poste d’Avigail, une semaine après que Harun Abu Aram, 24 ans, ait reçu une balle dans le cou alors qu’il tentait d’empêcher les soldats israéliens de confisquer le générateur d’un voisin. Le 8 janvier 2021. (Keren Manor/Activestills)

En 2012, Israël a envoyé une position actualisée à la cour, indiquant qu’il prévoyait d’expulser 8 des 12 villages de la zone de tir. Les habitants de ces 8 villages, situés dans la partie sud de la zone de tir, risquent d’être expulsés de force dans le cadre de l’affaire judiciaire à venir.

Dans ses tentatives continues d’expulser les villageois, l’État a notamment proposé un “compromis” qui aurait permis aux villageois de travailler la terre à l’intérieur de la zone de tir uniquement les week-ends, les fêtes juives et pendant 2 mois non consécutifs par an. Les habitants ont rejeté ces propositions, affirmant que cela limiterait leur capacité à vivre de l’agriculture et de l’élevage au point qu’il leur serait impossible de maintenir leurs moyens de subsistance.

Ce qu’Israël essaie de faire est-il légal ?

Non, pour de multiples raisons. Selon le droit international, et comme le précisent les traités auxquels Israël est partie, il est illégal d’utiliser un territoire occupé à des fins qui ne servent que l’occupant et non la population occupée. En outre, le droit international interdit le transfert forcé de la population occupée.

L’État a également affirmé que l’une des raisons pour lesquelles il a besoin du terrain de Masafer Yatta est de former des soldats en vue d’une éventuelle guerre au Liban. Mais ici, le droit international stipule qu’une telle utilisation militaire de terres occupées ne peut se faire que pour les besoins directs de gestion ou de sécurité du territoire occupé lui-même, ce qui rend l’objectif déclaré d’Israël concernant le Liban également illégal.

Un vieux Palestinien affronte la police des frontières israélienne lors d’une marche à A-Rakeez, dans la région de Massafer Yatta, au sud d’Hébron, le 8 janvier 2021. (Keren Manor/Activestillls)

Il est important de noter qu’Israël est pleinement conscient de ses violations du droit international à cet égard. En fait, avant de diriger la Cour suprême israélienne, Meir Shamgar a écrit en 1967, en tant que procureur militaire en chef, que l’expulsion des Palestiniens de leurs maisons pour créer des zones de tir était illégale au regard du droit international :

« Selon nous, une population civile ne devrait pas être expulsée de ses terres afin de créer une zone d’entraînement pour l’armée israélienne. Ceci tant pour des raisons politiques et humanitaires que pour des raisons liées aux dispositions du droit international. L’article 49 de la Convention de Genève, à laquelle Israël est partie, interdit explicitement le transfert forcé de civils en territoire occupé, sauf dans les cas où des raisons militaires impératives le nécessitent. Dans notre cas, il n’est pas possible de prétendre que des raisons militaires nécessitent incontestablement l’évacuation des zones désignées comme zones d’entraînement, et qu’à ce titre, le transfert forcé de la population de ces zones constituerait une violation des termes du traité susmentionné. »

Quelles pressions les autorités israéliennes ont-elles exercées sur les habitants de Masafer Yatta ces dernières années ?

Bien qu’il n’y ait pas eu d’expulsion directe depuis 1999, les habitants de Masafer Yatta ont subi des pressions incessantes pour quitter la zone de leur propre chef. Depuis 2006, l’organisation de défense des droits humains B’Tselem a documenté la démolition de plus de 64 structures résidentielles (abritant 346 personnes) et de 19 structures non résidentielles dans ces communautés. En avril 2020, il y avait encore 455 ordres de démolition actifs pour des structures dans la zone de tir 918, soit la quasi-totalité des structures de la région.

L’armée israélienne utilise également cette zone pour s’entraîner (sans tirs à balles réelles, tant que l’affaire est en cours), ce qui cause des dommages aux terres et aux biens des Palestiniens. Par exemple, en février 2020, l’armée a organisé un important exercice militaire à l’extérieur du village de Jinbeh, l’un des hameaux voués à la démolition.

Quel impact les colons israéliens ont-ils sur les résidents palestiniens locaux ?

Les habitants de Masafer Yatta sont depuis longtemps victimes de l’empiètement des avant-postes de colonies illégales et de la violence des colons. Certaines parties des avant-postes de Mitzpe Yair, Avigayil et Havat Ma’on sont en fait situées à l’intérieur de la zone de tir 918, cette dernière ayant été étendue pas plus tard qu’au printemps dernier.

Des colons israéliens agressent des résidents palestiniens et des militants de la solidarité lors d’une attaque contre une récolte d’olives dans la ville de Surif, dans le sud des collines d’Hébron, en Cisjordanie, le 12 novembre 2021. (Shay Kendler)

Les Palestiniens qui vivent à Masafer Yatta décrivent une intensification des attaques des colons. Parmi les agressions et les actes de vandalisme qui se produisent régulièrement lorsque les colons descendent dans les villages palestiniens depuis les avant-postes, l’année dernière a été marquée par des incidents particulièrement audacieux. Par exemple, le 1er juin 2021, des colons ont brûlé une année entière de foin destiné à nourrir les moutons d’une famille palestinienne de Tuba.

Le 29 septembre, des dizaines de colons masqués ont lancé un pogrom à Mufagara, au cours duquel ils ont agressé un berger palestinien et égorgé trois de ses moutons avant de se rendre dans le village armés de fusils, de gourdins et de pierres. Alors que les colons semaient la pagaille à l’intérieur du village, envoyant notamment un enfant de trois ans à l’hôpital avec une fracture du crâne, l’armée israélienne était présente mais n’est pas intervenue. Cette attaque en particulier a marqué une escalade, même pour une communauté qui s’était habituée à ce que ses enfants aient besoin de la protection de l’armée contre la violence des colons lorsqu’ils se rendent à l’école et en reviennent chaque jour.

Que peuvent faire les gens pour tenter d’arrêter les expulsions ?

Une liste de ressources relatives à Masafer Yatta est disponible sur le site de la campagne #SaveMasaferYatta, où vous pouvez également vous inscrire pour recevoir des mises à jour sur la lutte contre les expulsions.

Malgré l’expansion incessante du projet de colonisation israélien, il existe de nombreux exemples d’autres communautés palestiniennes gravement menacées de déplacement et/ou de destruction qui sont toujours debout grâce à une combinaison d’organisation de la base et de pression internationale – qu’il s’agisse de Sheikh Jarrah, Susiya ou Khan al-Ahmar.

Article original écrit par Ben Reiff, Maya Rosen, Natasha Roth-Rowland et Yuval Abraham pour +972mag / Traduction MR

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