Partager la publication "Les Palestiniens de Gaza luttent pour récupérer leurs morts avec peu d’aide, à peine des marteaux"
Abdel Qader Sabbah, 22 octobre 2025 — Après qu’une frappe aérienne israélienne sur la maison de Vivian Al-Har a tué toute sa famille à peine deux semaines avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, lors de l’offensive militaire israélienne sur Gaza-ville, les corps défigurés et démembrés de son mari, de ses quatre filles, de son fils et de son beau-frère ont été retirés des décombres et enterrés. Le corps de son fils aîné reste coincé sous les décombres.

Vivian Al-Har, une Palestinienne dont le fils repose sous les décombres de sa maison après qu’une frappe aérienne israélienne a tué toute sa famille, est assise dans un cimetière détruit de la ville de Gaza. Le 20 octobre 2025. (Capture d’écran d’une vidéo d’Abdel Qader Sabbah, à voir sur l’article original.)
« Je suis seule, je suis la seule survivante de la famille. Je n’ai ni fils, ni filles, ni mari, ni personne », a déclaré Al-Har à Drop Site, en larmes. Il n’y a aucun équipement. Tous les étages se sont effondrés sur mon fils ; il n’y avait aucun outil et personne n’a pu le sortir. Mon fils et le fils de mon voisin vivent dans la même maison, et personne ne peut les atteindre. Nous avons beau avoir fait appel à la défense civile, il n’y a aucun service. Il n’y a rien à Gaza.
Selon la Défense civile de Gaza, environ 10.000 Palestiniens tués par Israël sont toujours ensevelis sous les décombres, Israël empêchant les ressources et l’équipement nécessaires à leur récupération. Parmi ces corps figurent quelques prisonniers israéliens tués pendant la guerre, qui ont attiré l’attention des médias internationaux et des responsables américains et israéliens dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu.
« Tout le monde ici se concentre sur le retour de ces corps auprès de leurs familles afin qu’ils puissent bénéficier d’une sépulture décente », a déclaré le vice-président américain J.D. Vance lors d’une conférence de presse en Israël mardi. Cela dit, c’est difficile. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Certains de ces otages sont ensevelis sous des tonnes de décombres, et pour certains, personne ne sait où ils se trouvent. Vance n’a pas mentionné les milliers de Palestiniens gisant également sous les décombres. Il n’a pas non plus mentionné les corps des Palestiniens enterrés dans des cimetières rasés et détruits par l’armée israélienne.
Al-Har a dit qu’en arrivant au cimetière situé en face de l’hôpital baptiste Al-Ahli, où repose le reste de sa famille, elle a eu du mal à le reconnaître. « Je suis venue ici pour voir mon [autre] fils. Je l’ai enterré, mais je ne sais pas où il est. J’ai continué à chercher », a-t-elle raconté. Autour d’elle, le cimetière était dévasté, couvert de pierres tombales brisées et de terre arrachée. « Tout le monde est venu et personne ne savait où se trouvait la tombe de son enfant. Les restes sont déchirés, les gens sont démembrés et personne ne connaît la tombe de son enfant », a-t-elle déclaré. « Les morts sont torturés, les vivants sont torturés. »
Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, 432 corps ont été retrouvés à Gaza, selon le ministère de la Santé. « La question des personnes disparues sous les décombres et de la récupération des corps des martyrs est très complexe. Ce dossier est l’une des tâches les plus ardues auxquelles la Défense civile est actuellement confrontée », a déclaré Mahmoud Bassal, porte-parole de la Défense civile, à Drop Site. « Nous parlons de 71.000 tonnes de déchets dispersés dans différentes zones de la bande de Gaza », a-t-il ajouté. « La question du matériel lourd est désormais cruciale pour gérer cette situation, tout comme la nécessité de faire entrer à Gaza des spécialistes, des experts dotés des compétences et des aptitudes nécessaires, afin d’aider les équipes de la Défense civile à mener à bien cette mission humanitaire extrêmement difficile… Si la situation reste telle qu’elle est, dans les conditions actuelles, nous ne pourrons pas mener les opérations de récupération. Même avec quelques pièces d’équipement lourd, il faudrait encore beaucoup de temps pour extraire les corps des décombres. »
Lundi, à Gaza-ville, des foules de différents quartiers se sont rassemblées sur d’importants tas de décombres pour tenter de briser d’énormes dalles de béton à l’aide de simples marteaux, à la recherche des corps. Un corps ensanglanté a été récupéré et transporté dans une couverture jusqu’à une ambulance qui attendait.

Des Palestiniens de Gaza tentent d’extraire des corps sous les décombres. 20 octobre 2025. (Vidéo d’Abdel Qader Sabbah, à voir sur l’article original.)
« C’est un problème qui nous a profondément choqués : le deux poids, deux mesures et l’immense attention accordée par les organisations internationales à la recherche des corps des prisonniers israéliens, alors que, dans les faits, 10.000 Palestiniens sont portés disparus sous les décombres », a déclaré Bassal. « C’est un être humain, et c’est aussi un être humain, et les deux ont le droit d’être enterrés humainement. Mais l’occupation israélienne, il ne fait aucun doute, et le système international aussi, ont du mal à comprendre cela et à comprendre le concept d’humanité.»
On compte également un nombre inconnu de Palestiniens à Gaza qui sont tout simplement portés disparus, leurs familles ignorant s’ils ont été tués ou enlevés par l’armée israélienne et emprisonnés. Obeida, le fils de 16 ans d’Amina Salem Abu Mousa, a disparu le 29 mai alors qu’il se rendait dans un prétendu centre de distribution d’aide géré par la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), près du corridor de Netzarim, au sud de Wadi Gaza, et n’est jamais revenu. « Je n’ai plus de nouvelles de lui et personne ne m’a rien dit à son sujet. Je ne sais pas s’il est mort, est tombé en martyr, a été emprisonné, arrêté, ou s’il a été abattu et dévoré par les chiens. Je ne sais pas. Je veux juste que quelqu’un me dise quelque chose à son sujet », a déclaré Abu Mousa à Drop Site.
« Plus de 2.600 Palestiniens ont été tués par les troupes israéliennes et les mercenaires américains sur ou à proximité des sites d’aide ou des convois de camions depuis le début des opérations de la GHF à Gaza en mai. Il est parti parce qu’on lui avait dit qu’il y aurait de l’aide, une distribution. Alors, il a pris ses papiers d’identité et est venu nous apporter l’aide. On mourait de faim, on n’avait plus de farine, plus de nourriture. Tout était fermé, tous les endroits étaient fermés. Il n’y avait rien à manger, rien du tout », a-t-elle raconté. « Il y est allé, comme les autres, comme les jeunes hommes, comme les femmes, comme les autres qui sont partis. Ses frères sont revenus, ses voisins aussi, mais lui n’est pas revenu. Il n’est toujours pas revenu. »
Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu au début du mois et le démantèlement des sites du GHF, Abu Mousa se rend chaque jour sur le site poussiéreux de Netzarim pour chercher son fils. « Je viens ici juste pour voir et sentir son odeur. Pour savoir où il est. J’ai besoin que quelqu’un me rassure. C’est lui qui m’a tenu compagnie à la maison, qui m’a aidée, qui m’a tout apporté. J’avais l’impression que la maison était vide sans lui. Ma maison est vide sans lui », a-t-elle confié. « Des témoins oculaires ont déclaré qu’il avait été blessé et que l’armée l’avait emmené. Je veux savoir si l’armée l’a emmené et où. L’a-t-elle enterré ? L’a-t-elle détenu ? J’ai besoin de savoir. J’ai le droit de savoir où est mon fils. »
Israël a détenu des milliers de Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie au cours des deux dernières années, doublant ainsi la population carcérale palestinienne à plus de 11.000. Dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu, près de 2.000 prisonniers palestiniens, dont 1.700 de Gaza, ont été libérés au début du mois en échange des 20 prisonniers israéliens encore en vie. Selon le ministère de la Santé, Israël a également restitué les corps de 165 Palestiniens en échange des corps de prisonniers israéliens décédés. Certains corps portaient des traces de torture et d’exécution : les mains et les pieds liés, ou les yeux bandés. Les corps ont été renvoyés à Gaza avec des numéros au lieu de noms, ce qui a contraint le ministère de la Santé à publier en ligne des photos des corps décomposés pour que les familles puissent identifier leurs proches. Seules une vingtaine d’entre eux ont été identifiés à ce jour. Au moins 135 corps étaient détenus à Sde Neiman, un camp de prisonniers du désert du Néguev, tristement célèbre pour les abus et les tortures extrêmes infligés aux détenus, ont déclaré des responsables de la santé au Guardian. Des photos et des témoignages fuités du site montrent des détenus palestiniens enfermés dans des cages, les yeux bandés et menottés, enchaînés à des lits d’hôpital et contraints de porter des couches.
« Voici comment les corps des prisonniers de Gaza ont été restitués : les yeux bandés, ligotés comme des animaux et portant des traces de tortures et de brûlures graves », a écrit le Dr Munir al-Bursh, directeur général du ministère de la Santé, sur les réseaux sociaux. « Ils ne sont pas morts naturellement ; ils ont été exécutés alors qu’ils étaient attachés, un crime de guerre exigeant une enquête internationale urgente et la responsabilisation des auteurs.»
Sharif Abdel Kouddous et Jawa Ahmad ont contribué à ce rapport.
Article original en anglais sur Drop Site News / Traduction MR