Partager la publication "La politique de reconnaissance et l’effacement de la Palestine : Comment l’Occident utilise la reconnaissance pour contourner la question palestinienne et imposer une légitimation d’Israël"
Jwan Zreiq, 11 juillet 2025. Ces derniers mois, plusieurs gouvernements occidentaux ont déclaré reconnaître symboliquement un État palestinien. Mais ces gestes interviennent dans un contexte de siège, de déplacement et d’occupation militaire, ce qui soulève la question suivante : qu’est-ce qui est reconnu exactement, et à quel prix ?
Aujourd’hui, la Palestine n’est pas souveraine. Elle n’a aucun contrôle sur ses frontières, son espace aérien ou ses ressources naturelles. Son peuple vit sous une occupation militaire qui régit tous les aspects de la vie quotidienne, qu’il s’agisse des restrictions de mouvement, des démolitions de maisons ou du refus de fournir des services essentiels.
Dans ce contexte, la reconnaissance fonctionne moins comme une justice que comme du théâtre politique. Elle permet aux puissances occidentales de prétendre des progrès dans leur politique à l’égard de la question palestinienne sans dénoncer les systèmes d’oppression des Palestiniens.
La reconnaissance symbolique est devenue un outil pratique pour répondre de façon biaisée aux revendications politiques palestiniennes : reconnaître un État sur le papier tout en évitant de se prononcer sur des décennies de violence, de dépossession et de blocus.
Cette dérobade n’est pas nouvelle. En 1917, la Grande-Bretagne a publié la déclaration Balfour, promettant que la Palestine – qu’elle ne possédait pas – serait un « foyer national pour le peuple juif ». La lettre du ministre des Affaires étrangères Arthur Balfour à Lord Rothschild a marqué le début officiel d’un projet de dépossession, où la souveraineté palestinienne a été écrasée par les intérêts impériaux.
La reconnaissance d’aujourd’hui perpétue cet héritage : des puissances étrangères définissent l’avenir d’un peuple sans son consentement.
Dans le même temps, les Palestiniens et leurs alliés sont pressés sans relâche d’affirmer le « droit à l’existence » d’Israël. Mais il ne s’agit pas d’une question neutre, mais d’un piège politique destiné à discipliner le discours et à limiter les demandes de justice.
Prenons l’exemple de Zohran Mamdani, membre de l’Assemblée de l’État de New York et candidat démocrate à la mairie de New York, à qui l’on a demandé à plusieurs reprises, lors d’un forum public, d’affirmer qu’Israël était un État juif. Il a refusé de soutenir un État fondé sur une suprématie ethnique ou religieuse, insistant au contraire sur l’égalité des droits pour tous, quelle que soit leur origine.
Ce principe à lui seul a déclenché une tempête : attaques médiatiques, accusations d’antisémitisme et menaces personnelles.
Pourquoi cette question n’est-elle posée qu’aux Palestiniens et à leurs défenseurs ? Pourquoi doivent-ils affirmer la légitimité d’un État construit sur leur dépossession ?
Il est peut-être temps de retourner la question : les dirigeants israéliens – et leurs alliés occidentaux – pensent-ils que la Palestine a le droit d’exister ? Condamnent-ils l’apartheid et l’occupation qui façonnent la vie des Palestiniens depuis près d’un siècle ?
Les gouvernements reconnaissent la Palestine tout simplement parce que la reconnaissance est politiquement commode. C’est un moyen de répondre à la pression internationale sans changer de politique. Aucune sanction n’est imposée à Israël. Aucune demande de levée du siège de Gaza. Aucun effort pour arrêter l’expansion des colonies ou faire respecter les droits des réfugiés.
Ce type de reconnaissance est creux. Elle réduit la tragédie palestinienne à un « contentieux ». Elle ramène un système de domination raciale à une question de frontières et non de pouvoir. En fait, la reconnaissance est devenue une sorte de cessez-le-feu diplomatique – qui réduit le vacarme sans arrêter la violence qui le provoque. Elle est souvent enveloppée dans le langage bien connu de de la « solution à deux États ». Mais ce cadre ne correspond plus à rien. Il n’y a qu’un seul pouvoir qui contrôle toutes le territoire entre le fleuve et la mer – un système d’apartheid basé sur la séparation, le contrôle et la domination.
Israël contrôle le ciel, les frontières, l’eau et les déplacements des Palestiniens. Il applique des systèmes juridiques distincts. S’accrocher à l’illusion de deux États revient à nier l’évidence.
La Palestine que le monde « reconnaît » aujourd’hui n’est pas celle des réfugiés, ni des villes comme Haïfa et Jaffa. C’est un fragment réduit, coupé de l’imagination politique qui a maintenu la Palestine en vie longtemps après son effacement des cartes.
Dans cette optique, la Palestine doit être docile : dépouillée de son droit au retour, de sa revendication de son territoire et de sa résistance au colonialisme de peuplement.
Le rejet de ce type de reconnaissance n’est pas un rejet de la diplomatie. C’est un refus d’accepter des réparations symboliques. Les Palestiniens ne demandent pas à être vus. Ils réclament la liberté. Un État ne signifie rien s’il ne peut pas protéger son peuple, ouvrir son ciel ou enterrer ses morts sans autorisation. Il ne signifie rien s’il est construit sur des décombres et le déni des droits de sa population.
La reconnaissance doit suivre un changement radical de la situation sur le terrain : la fin de l’occupation, la levée du siège, le droit au retour.
Le monde ne reconnaît pas la Palestine. Il reconnaît son effacement.
À propos de l’auteur :
Jwan Zreiq est une écrivaine et chercheuse palestinienne basée en Jordanie. Elle possède une formation en développement de produits numériques, et son travail explore les intersections entre l’identité, la résistance, la langue en tant qu’outil de réappropriation anticoloniale, et les systèmes de pouvoir à travers des essais personnels et politiques.
Source : Institute for Palestine Studies