« 30 secondes à Gaza » : Les archives artistiques qui résistent à la censure et dénoncent la brutalité de l’occupation à travers l’encre de Mohammad Sabaaneh

Ramona Wadi, 2 juillet 2025. – Dans la préface de « Journal du génocide : 30 secondes à Gaza », l’historien israélien Ilan Pappé offre un aperçu de l’expérience palestinienne du nettoyage ethnique et des déplacements forcés, de la Nakba au génocide en cours.

Cependant, c’est son observation de la permanence et de l’impermanence qui saisit le contenu du recueil de dessins du dessinateur palestinien Mohammad Sabaaneh.

Ilan note que les réfugiés palestiniens « étaient réticents à construire des maisons avec des matériaux permanents comme la pierre ». Sabaaneh, quant à lui, « utilise l’encre de Chine dans ses dessins car elle ne peut être effacée par l’eau, exprimant ainsi un sentiment de permanence ».

Nadia Naser-Najjab souligne davantage le concept de permanence dans la préface, où elle affirme que les dessins de Mohammad, contrairement aux brèves vidéos de Gaza publiées sur les réseaux sociaux, systématiquement effacées ou censurées, parlent du « droit à l’existence » des Palestiniens.

Mohammad lui-même explique, dans l’introduction du livre, que ses dessins visent à capturer l’expérience durable de la réalité actuelle de Gaza. Les « 30 secondes » du titre font référence à la durée de vidéos devenues tragiquement familières, souvent partagées par les Palestiniens qui subissent le génocide israélien à Gaza.

« Pouvez-vous imaginer ce que ressentent ceux qui vivent ces 30 secondes ? » demande Mohammad.

Il explique que ses dessins, qui représentent des moments de ces brèves vidéos, servent à « archiver des moments et des informations qui risquent d’être interdits plus tard ».

« Je veux à nouveau tenir ma main. »

L’art occupe une place particulière dans la mémoire. Les dessins cubistes de Mohammad, réunis dans cette collection, occupent une place unique dans la mémoire, les rendant difficiles à oublier. Chaque dessin est extrêmement chaotique, exigeant l’attention et la réflexion du spectateur, l’angoisse palpable qui y est représentée persistant longtemps, tandis que les légendes simples et plaintives interpellent directement l’humanité.

Ce dernier constat mérite d’être approfondi. Des décennies de déshumanisation des Palestiniens pour permettre au récit colonial de prévaloir ont conduit à la nécessité de plaider pour leur humanité – une aberration en soi. Sans la colonisation sioniste, serions-nous seulement en train de discuter de l’humanité des Palestiniens, ou la considérerions-nous comme acquise, comme c’est le cas pour d’autres peuples du monde ?

Les dessins représentent souvent des parents à la recherche de leurs enfants, des enfants à la recherche de leurs parents, et des parents s’accrochant à leurs enfants, alors même que les bombes israéliennes ravagent Gaza. La légende d’un dessin dit : « Oh mon Dieu ! Prends-les dans tes bras ! » Il représente une mère tenant son enfant tandis qu’une autre bombe tombe du ciel.

« Je veux aller avec mon père ! » s’écrie un autre enfant après le martyre de son père.

Un autre dessin est légendé ainsi : « Continuez à chercher… vous trouverez peut-être un enfant vivant sous les décombres. » L’émotion intense de l’image soulève la question : s’agit-il d’espoir ou de désespoir, et combien d’enfants gisent vivants sous les décombres, pour disparaître quelques instants plus tard ?

« Prends soin de ta sœur », lit-on sur une autre légende, accompagnant un dessin d’enfants ensevelis sous les décombres. Le thème de la responsabilité face à la mort imminente – ou même après – est omniprésent dans l’iconographie de Mohammad.

La résilience transparaît également dans ces dessins, certaines illustrations témoignant de la détermination du peuple palestinien à vivre et à rester à Gaza malgré le génocide en cours. En revanche, d’autres révèlent les conséquences brutales, comme des enfants amputés.

« Je veux à nouveau tenir ma main », peut-on lire sur une légende, une phrase simple qui nous force à reconnaître la terrible réalité : les enfants palestiniens qui ont perdu une main, ou les deux, aspireront toujours à un geste aussi élémentaire et inconscient.

Les dessins capturent également les désirs les plus simples – des parents promettant d’acheter une poupée à leur fille, de lui offrir un gâteau d’anniversaire ou simplement d’avoir assez à manger – tandis qu’une œuvre illustre l’angoisse des parents qui voient leurs enfants mourir de faim.

Ciblage délibéré de la jeunesse palestinienne

Tout au long du livre, il apparaît clairement que les enfants occupent une place centrale dans le recueil, soulignant le ciblage délibéré par Israël de la jeune génération palestinienne.

Deux dessins particulièrement poignants représentent un bébé arraché au ventre de sa mère après qu’Israël l’a tuée ; l’autre montre une mère poussant une charrette transportant le corps de son fils mort. Telle est la réalité des familles de Gaza aujourd’hui : des vides béants laissés par les massacres incessants d’Israël.

« Je veux simplement jouer », illustre un dessin, représentant une petite fille au milieu des décombres de sa maison familiale bombardée.

Un autre dessin, légendé : « Nous jouions simplement quand c’est arrivé », incarne un désespoir qu’aucun enfant ne devrait jamais ressentir.

Et pourtant, Israël force les enfants palestiniens de Gaza à définir et à défendre leur innocence face aux bombes qui les déchirent, tandis que la communauté internationale se montre complice.

Mohammad consacre également une série de dessins au récit du meurtre tragique d’Hind Rajab, une fillette palestinienne de cinq ans à Gaza, bloquée dans un véhicule pendant plusieurs heures alors que le Croissant-Rouge palestinien tentait de la secourir.

Entourée de ses proches morts dans le véhicule pris en embuscade, Rajab a également été tuée, ainsi que les travailleurs du Croissant-Rouge palestinien qui tentaient de la sauver.

La permanence à l’encre de Chine, alors qu’Israël anéantit les Palestiniens, peut sembler contradictoire, mais la vérité est que la liberté de créer est désormais également teintée du génocide israélien.

Article original en anglais sur The New Arab / Traduction MR

Interview de Mohammad Sabaneeh sur Paroles d’Honneur, à l’occasion de la sortie de son livre