Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 400 / 16 mai – Un génocide à l’ère de l’impuissance mondiale"
Brigitte Challande, 17 mai 2025. Abu Amir continue d’écrire et de décrire Gaza entre feu et silence mais dans une dignité qu’aucune bombe ne saurait briser. Son message du 16 mai.
« Depuis l’aube du jeudi 15 mai 2025 jusqu’au matin du vendredi 16 mai, la bande de Gaza a connu un nouveau chapitre de tueries et de destructions, dans une offensive israélienne sans fin.
Plus de 136 Palestiniens ont été tués en seulement 24 heures, dans des bombardements aériens et terrestres qui ont touché chaque recoin de la bande, du nord au sud. Des quartiers entiers ont été rasés, et les camps de déplacés n’ont pas été épargnés, avec des dizaines de femmes et d’enfants tués à Khan Younès, Jabaliya et Beit Lahia, alors que leurs familles tentaient de se protéger sous des tentes de fortune face à une machine de guerre qui ne distingue ni cible militaire, ni enfant endormi. Le nombre de blessés dépasse 152, dont beaucoup sont dans un état critique, tandis que les hôpitaux sont débordés au-delà de leur capacité, sans fournitures médicales basiques, ni respirateurs, ni poches de sang.
La situation humanitaire dans la bande a atteint un niveau de détérioration sans précédent. Les hôpitaux, qui continuent de fonctionner malgré les bombardements directs, sont désormais incapables de fournir les soins nécessaires. Le personnel médical s’effondre d’épuisement, les patients gisent dans les couloirs, certains reçoivent des soins à même le sol. Les familles ayant survécu aux bombardements affrontent une autre mort, lente et cruelle : la faim et la soif. Plus d’un million et demi de déplacés vivent sans abri sûr, entassés dans des écoles surpeuplées et des camps dépourvus des nécessités de base. L’eau leur parvient une fois par semaine, lorsqu’elle est disponible, tandis que les denrées alimentaires essentielles n’ont pas été acheminées depuis des mois.
Malgré cette dévastation, Israël poursuit ses frappes, ciblant maisons, mosquées, hôpitaux, centres d’accueil et journalistes. Le nombre de journalistes tués depuis le début de l’agression s’élève à 217, dans une tentative manifeste de faire taire la voix palestinienne et d’effacer la vérité.
Les zones résidentielles de Gaza-ville, du nord de la bande, de Khan Younès et de Rafah sont devenues inhabitables : l’odeur de la mort plane sur les ruines, et les habitants ne peuvent même plus enterrer leurs morts à cause des bombardements incessants et des dangers de déplacement.
Sur le plan diplomatique, les initiatives égyptiennes et qataris, sous médiation américaine, se poursuivent dans le but d’obtenir un accord de cessez-le-feu global. Mais la situation reste complexe, notamment face à l’insistance d’Israël sur une série de conditions « sécuritaires » visant à imposer une capitulation politique et militaire à Gaza sans contrepartie réelle.
Voici les principales exigences israéliennes :
- Garanties sécuritaires : Israël exige la mise en place de dispositions de terrain garantissant l’arrêt durable des combats et des tirs de roquettes, notamment via des zones tampons à l’intérieur de Gaza, un contrôle strict des frontières et des tunnels, et la restriction de la présence des factions armées près des frontières.
- Rétention des prisonniers : Israël refuse d’inclure une libération de prisonniers dans l’accord, souhaitant conserver les détenus palestiniens sans échange, alors que la résistance veut inclure ce dossier dans tout futur accord.
- Désarmement de la résistance : Israël conditionne tout cessez-le-feu au démantèlement des capacités militaires des factions, y compris les roquettes, les tunnels et les ateliers de fabrication — une exigence perçue comme une reddition inacceptable par la résistance palestinienne.
- Exil de dirigeants de la résistance : Israël a posé, directement ou par l’intermédiaire de médiateurs, des conditions visant à éloigner certains dirigeants politiques et militaires de Gaza, afin de créer un vide organisationnel dans le mouvement, ce que la résistance rejette catégoriquement.
Ces conditions n’ont rien d’humanitaire : elles visent à maintenir la mainmise israélienne sur les aspects vitaux de la vie à Gaza, sans lever le blocus, ni mettre fin à l’occupation, ni reconnaître les droits fondamentaux des Palestiniens. Israël cherche une « calme absolu » sans contrepartie, tout en maintenant la machine de guerre active, en empêchant l’entrée de l’aide humanitaire, et en imposant une strangulation politique, économique et sécuritaire sur le territoire.
En Israël, la pression politique et populaire sur le gouvernement de Netanyahu s’intensifie. Les Israéliens vivent dans une alerte constante, les abris sont pleins dans les villes du centre et du sud, et les protestations s’étendent, notamment de la part des familles des soldats captifs, qui réclament un arrêt des hostilités et leur retour. Cette situation s’accompagne d’une crise économique marquée : chute des investissements, effondrement du tourisme, explosion des dépenses militaires et de sécurité — le tout sans vision politique de sortie, ce qui accroît le sentiment de désespoir dans la rue israélienne.
En arrière-plan, de nombreux analystes israéliens et internationaux estiment que la prolongation de la guerre à Gaza est liée à l’avenir politique du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Il est largement admis que Netanyahu refuse de mettre fin à la guerre car une sortie sans « victoire claire » signifierait la fin de sa carrière politique. L’échec de la guerre, l’incapacité à atteindre ses objectifs, et les nombreuses critiques sur la gestion gouvernementale depuis le 7 octobre menacent de le faire tomber aux prochaines élections, voire de provoquer l’éclatement de sa coalition. Netanyahu est accusé d’utiliser la guerre pour prolonger la durée de vie de son gouvernement et éviter la justice, notamment avec les affaires de corruption encore en cours contre lui. La poursuite de la guerre lui fournit une couverture politique et maintient l’unité intérieure autour du « chef en état d’urgence », malgré la grogne croissante et les appels internationaux à un cessez-le-feu et à des élections anticipées.
Au cœur de cet enfer continu, on ne peut ignorer le rôle du monde, par son silence et sa complicité. Les massacres commis à Gaza ne sont pas le fait d’Israël seule, mais le résultat d’un partenariat implicite — ou explicite — avec des gouvernements occidentaux et arabes qui ont choisi de se ranger du côté du bourreau, ou de se réfugier dans un silence honteux, ou de prétendre à l’impuissance. Comment un esprit rationnel peut-il concevoir que le monde entier — avec ses organisations, ses alliances, ses armées, ses grandes puissances — soit incapable de forcer Israël à cesser le feu, ou à laisser entrer un repas ou une bouteille d’eau pour des enfants qui meurent lentement ? Est-il logique que deux millions d’êtres humains soient livrés à la famine, que les convois humanitaires soient bloqués, pendant que les sommets se tiennent et que l’on récite des communiqués de condamnation stériles ?
Ce qui se passe à Gaza est un génocide, documenté par le son et l’image, et le monde le regarde sans réagir, offrant même une couverture politique et diplomatique à sa poursuite. Certaines capitales fournissent au bourreau des armes, d’autres lui offrent une légitimité, d’autres encore détournent simplement le regard des cadavres et des ruines. Quant aux régimes arabes qui prétendent défendre la « première cause », ils ont préféré le silence au nom de leurs intérêts étroits, abandonnant Gaza à une mort solitaire. Ce silence complice est plus dangereux que les bombes elles-mêmes, car il donne au tueur un sentiment d’impunité et réduit la victime à un simple chiffre dans les bulletins d’information.
Les masques sont tombés. Plus aucun discours creux ne saurait convaincre un enfant qui a perdu son père sous les décombres. Le monde, avec ses institutions et alliances, n’a pas seulement échoué à protéger les Palestiniens : il a activement participé — par son silence, sa complicité, ses lenteurs — à leur massacre. Les bombes qui pleuvent sur Gaza n’explosent pas seulement depuis les avions, mais aussi depuis le froid calcul du monde, et depuis les positions de honte qui seront gravées dans la mémoire humaine comme un effondrement moral retentissant que l’Histoire n’oubliera pas.
Gaza, aujourd’hui, n’est pas seulement un champ de bataille : c’est un théâtre d’extermination quotidienne, dont le silence meurtrier du monde entier est complice — un monde qui se contente de compter les morts et d’exprimer une « profonde inquiétude ».
Pourtant, les Gazaouis, malgré l’hémorragie, continuent de résister, avec un peu d’eau, du pain sec, et une dignité qu’aucune bombe ne saurait briser. »
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268) Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.