Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 397 / 13 mai – Distribution de vêtements aux enfants des agriculteurs du camp d’Al-Fajr

Brigitte Challande, 14 mai 2025. Le 13 mai, jour où D. Trump est à Ryad pour une visite au Moyen-Orient dont on attendrait la nouvelle d’un répit « d’un cesser le feu à Gaza et de l’entrée de l’aide humanitaire » en même temps qu’Israël continue de bombarder jusqu’à plus soif, les équipes continuent d’agir et de rendre compte.

« Une petite joie au cœur du brasier : quand Gaza revêt ses enfants de vie à nouveau

Dans la bande de Gaza, la vie ne ressemble plus à aucune autre. Ici, le temps s’est figé au rythme des explosions, suspendu à chaque flash d’actualité qui pourrait annoncer soit une accalmie, soit davantage de sang. Dans ce territoire assiégé, la souffrance est devenue la langue commune, les visages ne connaissent que la fatigue, et les cœurs battent au rythme d’une attente qui ne finit jamais. Une attente stérile, mais qui ne quitte jamais les âmes.

Depuis le début de l’agression israélienne, il y a plus de dix-neuf mois, Gaza vit sous les flammes. Les avions ne quittent pas son ciel, le blocus ne desserre jamais son étau, et les nouvelles de mort sont constantes. Pourtant, malgré cet enfer sans trêve, les cœurs des habitants de Gaza s’accrochent à la moindre lueur d’espoir, aussi fragile soit-elle. Depuis la remise de l’otage américain par le Hamas, hier, les regards se figent sur les écrans et les cœurs tremblent, espérant l’annonce d’un cessez-le-feu ou d’une trêve qui rendrait à la région un peu de silence nocturne ou de paix à l’aube.

Dans les rares cafés encore debout, sous les tentes, dans les maisons en ruines et les camps de déplacés, une question se chuchote partout : « Une trêve est-elle proche ? ». Ici, nul n’attend de grandes promesses ni de miracles politiques — seulement un répit face à la mort. Que passe un jour sans bombardement, que les enfants dorment sans cris, que Gaza se réveille sous un soleil non obscurci par la fumée.

Mais en réalité, la trêve reste incertaine, les nouvelles sont contradictoires, et l’attente devient de plus en plus cruelle. Dans les camps de déplacés disséminés à travers toute la bande, cette attente prend des formes douloureusement visibles. Nous visitons régulièrement ces camps et rencontrons des gens qui ont tout perdu, sauf leur regard tourné vers l’horizon. Aujourd’hui, dans le camp Al-Fajr, à Al-Mawasi, à l’ouest de Khan Younès, le tableau était celui d’une véritable épopée de patience humaine.

Ce camp abrite plus de 500 familles, principalement des agriculteurs déplacés de force d’Abou Taïma, Khuza’a et ‘Abasan après l’intensification des bombardements sur leurs terres. Ici, pas de maisons, mais des tentes de nylon et de tissu usé, qui ne protègent ni de la chaleur, ni des éclats d’obus. Les enfants sont pieds nus, les visages jaunis par la malnutrition, les regards perdus dans un vide profond, comme s’ils tentaient de graver dans l’air un sens à une vie disparue.

À notre arrivée, les enfants nous ont accueillis avec un mélange de méfiance et d’espoir. Leurs petits yeux observaient avec inquiétude, mais laissaient entrevoir un désir de nouveauté capable de briser la monotonie de la faim et de la peur. Dès que les équipes de l’UJFP ont commencé à distribuer des vêtements d’été, les visages ont changé, des youyous discrets se sont élevés de la part de quelques mères, et des rires timides ont percé le long silence pesant.

Voir les enfants choisir leurs vêtements ressemblait à une danse de vie au milieu de la mort. Ils essayaient des chemises et pantalons sur leurs corps frêles, les montraient fièrement à leurs camarades, échangeaient des sourires, comme s’ils retrouvaient, ne serait-ce qu’un instant, une enfance volée depuis longtemps. Un enfant a serré un bout de tissu contre lui comme s’il s’agissait d’un trésor, un autre courait de joie avec une chemise colorée, tandis qu’une petite fille tournoyait sur elle-même, dans une sorte de danse sur les ruines de la douleur.

Au total, 340 pièces de vêtements ont été distribuées. Mais ce n’étaient pas de simples habits — c’étaient des passeports vers un monde d’enfance oublié, des instants de joie dans un camp misérable. Un enfant a chuchoté : « Puis-je dormir avec cette chemise ? », comme si la porter devenait un symbole de bonheur qu’il ne voulait plus quitter. Ils nous regardaient avec reconnaissance, touchaient les habits, les inspectaient comme s’ils découvraient des objets venus d’un autre monde.

Mais le plus beau moment fut de voir les mères arborer des expressions de satisfaction rare, des sourires chaleureux qui dissipaient un peu la grisaille du déplacement. Certaines ont poussé des youyous, comme si, pour une seconde, l’appel à la vie l’avait emporté sur la voix de la mort. Ces femmes, venues de familles d’agriculteurs simples et dignes, ne demandent pas grand-chose : elles ont appris la résilience, ont vécu sur une terre généreuse malgré la dureté. Il leur suffit de voir leurs enfants habillés proprement, sourire sincèrement, ressentir un peu d’espoir. Dans ces youyous, on entendait une prière silencieuse, une fatigue que les mots n’auraient pu décrire, mais qu’un regard empreint de gratitude révélait clairement.

Cette initiative ne s’est pas arrêtée au camp Al-Fajr. Elle s’est étendue à plusieurs autres camps du sud, où s’entassent les familles d’agriculteurs déplacés de Khuza’a, Abou Taïma et ‘Abasan. Elle a touché les cœurs avant les tentes, semant des sourires sur des visages privés de joie depuis des mois, réveillant dans les âmes la conviction que le bien est encore possible, même par une fenêtre étroite.

À Gaza, l’enfant naît au son des explosions, grandit dans les files d’attente pour l’aide humanitaire, vit sous une tente, et ne connaît pas la sérénité. Et pourtant, un seul instant de joie, comme un vêtement neuf, suffit à nous rappeler qu’ils restent avant tout des enfants. Que sous les décombres, un cœur continue de battre.

Gaza attend, comme ces enfants dans leurs tentes, comme ces mères adossées à des murs d’illusions, comme ces vieillards qui regardent le ciel en silence. Elle attend une trêve, une nouvelle, un miracle. Elle attend que la nuit redevienne nuit, sans crainte, que le pain cesse d’être un rêve, le médicament un souhait, et le rire un luxe.

Mais jusqu’à ce que ce jour arrive, Gaza continuera à saigner de ses plaies, et à partager les restes de sa joie avec les enfants qui lui restent. Elle continuera, comme toujours, à faire jaillir la vie des cendres de la mort. »

Photos et vidéos ICI.


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.

*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.

Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268)

Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)

Partie 393 : 10 mai. Partie 394 : 11 mai. Partie 395 : 11 mai (1). Partie 396 : 12 mai.

Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFPAltermidi et sur Le Poing.