Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 395 / 11 mai (1) – Les femmes de Gaza nourrissent la faim par la patience

Brigitte Challande, 13 mai 2025. C’est le thème de l’atelier de soutien psychologique pour les femmes dont Abu Amir nous envoie le compte rendu le 11 mai : aborder cette réalité quotidienne implacable pour y faire face.

« Au cœur de la tragédie qui assiège Gaza de toutes parts, où les repas sont devenus des vœux inaccessibles et où les soupirs des mères s’élèvent au-dessus du silence des tentes vides, une séance a été animée par les équipes de l’UJPF dans le cadre de leurs programmes de soutien psychologique et social pour les femmes déplacées. « Les femmes de Gaza nourrissent la faim par la patience ». Trente femmes du camp d’Al-Israa, au centre de Gaza, y ont participé. Des visages épuisés par la faim, des cœurs habités d’une patience que les mots peinent à décrire. Cette rencontre, une convocation collective d’une douleur si enracinée qu’elle ne se dit pas : elle se vit, jour après jour, bouchée après bouchée, larme après larme.

Les premières minutes ont été consacrées à des exercices de respiration profonde et de relaxation physique, dans l’espoir d’atténuer les tensions mentales refoulées. Car la faim ne résidait pas seulement dans les ventres, elle habitait aussi les nerfs, les corps, et la mémoire.

« Nous sommes ici pour parler de ce qui nous fait le plus mal, de ce que nous ne disons jamais… de la faim. »

Ce n’était pas une conversation ordinaire, mais une lente mise à nu d’une plaie béante. Après quelques instants de silence et de soupirs lourds, les récits ont commencé à s’échapper des lèvres tremblantes, comme un flot de douleur longtemps retenue.

Une mère: « Une nuit très froide, nous n’avions qu’un demi-pain. Je l’ai partagé en quatre, et j’ai pris… l’air. »

Une autre femme « Mon fils m’a demandé : ‘Maman, il y a du pain ?’ Je lui ai dit : dors, mon chéri, tu verras le pain dans tes rêves. » réalité quotidienne implacable.

La séance s’est élargie pour inclure des partages d’images et de scènes vécues autour de la faim. Une participante a raconté le jour où elle a fait bouillir de l’eau, simplement pour faire croire à ses enfants qu’un repas arrivait. Elle a continué à faire bouillir l’eau jusqu’à ce qu’ils s’endorment d’épuisement. Une autre a parlé d’une gomme à mâcher partagée entre trois enfants pour calmer leurs pleurs. « Même le goût est devenu un rêve »

Entre chaque histoire, l’animatrice posait des questions : « Quand la faim t’a-t-elle brisée ? »,« Qu’est-ce qui t’a aidée à surmonter ce moment ? », « Comment as-tu soulagé la douleur de tes enfants ? », « D’où te vient cette patience ? »

Un autre moment fort a été l’activité « Le son de la faim », où les femmes ont été invitées à décrire le son de la faim chez leurs enfants. L’une a dit : « Ce n’est pas un pleur, c’est une longue plainte, comme un sifflement de vent. » Une autre : « Mon fils ne pleure pas, il me regarde seulement. Ce regard crie sans bruit. » Ces mots brisaient le cœur, mais en même temps, semblaient rassembler les mères dans une étreinte invisible.

Ensuite, les participantes ont réalisé un exercice collectif intitulé « Cercles de patience ».

« Je tiens bon parce que… » « Parce que ma fille a besoin de moi », « Parce que si je m’effondre, personne ne tiendra la maison », « Parce que la faim ne tuera pas ma dignité », « Parce que je suis une femme de Gaza, et les femmes de Gaza ne cèdent pas. »

À la fin de la séance, on a demandé aux femmes de respirer à nouveau, cette fois en répétant intérieurement les mots : « Je suis forte… Je ne suis pas seule. »

Elles sont restées assises en cercle, les yeux fermés, respirations apaisées, âmes lourdes mais solides comme si, en cette seule séance, la faim avait perdu une bataille face à la vérité de cet instant.

Cette séance a incarné une autre forme de résistance à Gaza : une résistance sans armes ni slogans, mais faite de mains qui vident des casseroles, de bras qui bercent des enfants affamés, et d’un courage muet qui façonne du pain spirituel pour éviter l’effondrement. Ce fut un espace de confession, mais aussi un espace de guérison – une façon de rappeler que la faim n’est pas qu’une question de nourriture, mais une bataille pour la dignité, un combat pour la survie, un repère humain qui devrait secouer les consciences du monde.

Face à une crise humanitaire écrasante, les ateliers de soutien psychologique deviennent aussi vitaux que l’eau et la nourriture. Ils offrent aux femmes un espace pour crier sans vacarme, pleurer sans s’effondrer, et affronter la faim avec les ressources cachées de leurs cœurs. C’est un moment de répit dans un temps d’effondrement, une bulle de vie dans un quotidien qui étouffe l’âme.

Nous avons également reçu plusieurs messages de maris nous demandant, avec sincérité, de multiplier ces séances, tant ils ont constaté un changement positif chez leurs épouses.

« Elles sont revenues plus calmes, plus fortes, plus résilientes. »

Comprendre que le soutien psychologique des femmes, en temps de guerre et de faim, n’est pas un luxe, mais une nécessité, une justice différée, un hommage à celles qui tiennent la ligne de front… envers et contre tout. »

Photos et vidéos ICI.


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.

*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.

Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268)

Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)

Partie 393 : 10 mai. Partie 394 : 11 mai.

Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFPAltermidi et sur Le Poing.