Partager la publication "Projet Esther : réprimer la solidarité avec la Palestine aux États-Unis"
Tariq Kenney-Shawa, 15 avril 2025. Le projet Esther, lancé par la Heritage Foundation en octobre 2024, représente l’effort le plus éhonté à ce jour pour réprimer la défense des Palestiniens aux États-Unis, sous le prétexte de lutter contre l’antisémitisme.
Cela s’inscrit dans un mouvement autoritaire plus large de la politique américaine, qui s’intensifie sous le second mandat de Donald Trump, et qui utilise la censure, la guerre juridique et l’intimidation pour cibler le mouvement de solidarité avec la Palestine.
24 avril 2024 – Une étudiante de l’université du Texas est arrêtée lors d’une manifestation de protestation contre le génocide israélien à Gaza – Photo : Réseaux sociaux
Le projet Esther présente à tort les organisations pro-palestiniennes comme faisant partie d’un « réseau de soutien au Hamas » et utilise des outils juridiques et financiers pour criminaliser la défense de cette cause.
Le projet Esther constitue une attaque directe contre les principes démocratiques, servant à la fois de test et de modèle pour une répression plus large de la dissidence, des libertés civiles et des mouvements progressistes.
En réponse à cette attaque, les groupes pro-palestiniens devraient prendre les mesures suivantes :
- Renforcer la résilience du mouvement et la solidarité intersectionnelle pour contrer la fragmentation et l’isolement.
- Recadrer le plaidoyer antisioniste comme une question de droits humains et d’intérêt public fondée sur la justice et l’obligation de rendre des comptes.
- Renforcer les défenses juridiques en tirant parti des lois anti-SLAPP et en se préparant à la criminalisation en vertu des lois sur « le terrorisme et les agents étrangers ».
- Diversifier et sécuriser les sources de financement afin de résister aux campagnes de désengagement financier et de soutenir les efforts d’organisation.
- Documenter et dénoncer la répression afin de mobiliser le soutien du public et d’affirmer que la défense de la Palestine est essentielle à la lutte démocratique.
Introduction
Le 7 octobre 2024, un an après l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » du Hamas, la Heritage Foundation, une fondation conservatrice basée à Washington, a présenté le projet Esther comme sa dernière initiative en date et la plus éhontée pour écraser la solidarité avec les Palestiniens.
Présenté comme une initiative visant à lutter contre l’antisémitisme, le projet Esther vise exclusivement les voix et les groupes critiques à l’égard du régime israélien.
Il appelle à la collaboration entre les entités publiques et privées afin de recourir à la censure, à l’intimidation et à la guerre juridique pour délégitimer et démanteler les organisations qui défendent les droits des Palestiniens. Cependant, le projet Esther – et plus largement les efforts pro-israéliens visant à contrer la solidarité croissante envers la Palestine – n’ont pas commencé avec le génocide à Gaza.
Depuis des décennies, les sionistes et leurs alliés cherchent systématiquement à réprimer la dissidence citoyenne contre le soutien indéfectible des États-Unis au régime israélien en ciblant les individus et les groupes qui défendent les droits des Palestiniens.
Si les efforts visant à faire taire le militantisme pro-palestinien ne sont pas nouveaux, ils se sont considérablement intensifiés sous la présidence de Donald Trump. Peu après son entrée en fonction pour son second mandat, Trump a signé un décret élargissant la répression contre le militantisme pro-palestinien sous prétexte de lutter contre l’antisémitisme.
Son administration a intensifié la répression bipartisane en révoquant des visas étudiants, en arrêtant et en expulsant des militants et en renforçant la surveillance fédérale des universités afin de surveiller et contrôler l’organisation des campus, entre autres mesures.
Dearborn – Michigan, États-Unis, 14 octobre 2023 – Plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés pour protester contre l’occupation israélienne et le génocide en cours contre la population de Gaza – Photo : Viola Klocko
Dans ce contexte, le projet Esther est plus qu’une simple tentative désespérée de sauver un discours sioniste en ruine : il s’inscrit dans un mouvement autoritaire plus large de la politique américaine.
Partout dans le pays, les attaques contre la dissidence, la liberté d’expression et les communautés marginalisées redéfinissent la relation entre l’État et la société civile. La solidarité avec la Palestine est devenue le point de mire d’une vaste campagne visant à éroder les valeurs démocratiques, mettant en évidence la fragilité des droits que de nombreux Américains considèrent depuis longtemps comme acquis.
Cette note d’orientation situe le projet Esther dans le cadre plus large de la répression bipartisane contre la défense de la Palestine, conséquence de l’incapacité du mouvement sioniste à gagner le débat dans la sphère publique.
Elle soutient que cette répression n’est pas seulement une attaque contre les Palestiniens et le mouvement de solidarité, mais un test décisif pour la démocratie américaine.
Elle fournit également une feuille de route pour résister à ce virage autoritaire, en veillant à ce que la lutte pour la libération de la Palestine reste au cœur du combat plus large pour la justice et l’égalité.
Renforcement des opinions en faveur de la Palestine
Les discours pro-israéliens qui ont dominé le discours dominant aux États-Unis pendant des décennies se sont progressivement effrités ces dernières années, provoquant un changement de l’opinion publique et aggravant les inquiétudes des partisans d’Israël.
Alors que les médias grand public continuent de mythifier Israël comme une « démocratie assiégée » qui se défend contre le « terrorisme », ces discours sont de plus en plus contestés.
Les médias indépendants et les réseaux sociaux offrent aux Palestiniens de nouveaux moyens d’expression pour tenir leur propre récit et remettre en cause une propagande de longue date.
Dans le monde universitaire, les étudiants, les chercheurs et les militants qui défendent la libération de la Palestine remettent de plus en plus en question le discours pro-israélien qui dominait jusqu’à présent. Ce changement est particulièrement visible dans le mouvement étudiant national contre le génocide à Gaza, que l’establishment politique américain continue de réprimer.
De même, les victoires du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), qui vont du refus d’artistes et de musiciens de se produire dans les territoires de 1948 à la tentative de sociétés telles que Ben & Jerry’s de suspendre leurs ventes en Cisjordanie occupée, témoignent d’un changement culturel qui rend plus difficile pour les défenseurs d’Israël de justifier leur soutien inconditionnel à un régime largement considéré comme génocidaire.
Cette transformation de la conscience publique est précisément ce que redoutent le plus les partisans du régime israélien, car elle érode le soutien inconditionnel indispensable au maintien du projet colonialiste violent d’Israël. Compte tenu de l’enracinement profond du sentiment pro-israélien aux États-Unis, les changements actuels de l’opinion publique sur la Palestine sont frappants.
Si les sondages ne disent pas tout, ils offrent toutefois des informations clés sur l’évolution des tendances, qui ont des implications concrètes pour le plaidoyer et l’élaboration des politiques.
En moyenne, les Américains sympathisent toujours davantage avec les Israéliens qu’avec les Palestiniens. Cependant, le soutien au régime israélien s’effondre. Selon le sondage Gallup 2025, la sympathie pour Israël est tombée sous la barre des 50 % pour la première fois dans l’histoire des sondages, à seulement 46 %.
Un sondage réalisé par le même organisme a révélé que la sympathie envers les Palestiniens est passée de 25 % en 2021 à 33 % en 2025.
L’aggravation de la polarisation des partis et des divisions générationnelles a alimenté ces tendances. Gallup a constaté que 59 % des démocrates sympathisaient davantage avec les Palestiniens, tandis que seulement 21 % se rangeaient du côté des Israéliens. Il n’en va pas de même pour les sympathies républicaines, qui restent majoritairement pro-israéliennes, avec 75 % en faveur des Israéliens contre seulement 10 % en faveur des Palestiniens.
Cependant, un nombre croissant de commentateurs conservateurs de premier plan se montrent de plus en plus critiques à l’égard d’Israël et s’opposent désormais au soutien inconditionnel des États-Unis.
Parallèlement, le soutien croissant aux Palestiniens et les critiques de plus en plus vives à l’égard d’Israël parmi les jeunes Américains ont créé un fossé générationnel profond qui aura des implications importantes pour la future politique américaine.
24 avril 2024 – Manifestation à l’université du Texas – Photo : Réseaux sociaux
Une enquête réalisée en février 2024 par le Pew Research Center a révélé que 33 % des Américains âgés de 18 à 29 ans, tous horizons politiques confondus, sympathisaient davantage avec les Palestiniens, tandis que seulement 14 % se rangeaient du côté des Israéliens.
Ce résultat contraste fortement avec les 47 % des répondants âgés de 65 ans et plus qui sympathisaient davantage avec les Israéliens. Ce réalignement générationnel est ce que les alliés politiques les plus fidèles d’Israël aux États-Unis trouvent le plus inquiétant, comme en témoigne leur répression nationale contre le militantisme sur les campus.
Bien sûr, si les sympathies ne se traduisent pas toujours par des priorités politiques ou des décisions de vote, l’assaut contre Gaza a intensifié ces tendances, poussant davantage d’Américains à s’opposer au soutien de longue date de Washington à Israël.
Un récent sondage CBS News a révélé qu’environ 61 % des Américains de tous bords politiques s’opposent à une aide militaire supplémentaire des États-Unis à Israël.
Cela signifie qu’un nombre croissant d’Américains non seulement réévaluent leurs sympathies générales, mais remettent également de plus en plus en question l’utilisation par leur gouvernement de l’argent des contribuables pour soutenir et permettre les crimes de guerre israéliens.
Malgré la sympathie croissante pour les Palestiniens et le déclin du soutien à l’aide inconditionnelle à Israël, ces changements n’ont pas encore influencé la politique américaine.
En réalité, depuis octobre 2023, le soutien de Washington au régime israélien a atteint de nouveaux sommets, permettant activement le génocide en cours.
Pourtant, malgré le soutien accru des États-Unis, les défenseurs d’Israël restent préoccupés par le changement de l’opinion publique.
Ils craignent que la sympathie croissante envers les Palestiniens et le déclin du soutien à l’aide inconditionnelle à Israël, s’ils ne sont pas contrés, finissent par entraîner des changements politiques significatifs qui remettent fondamentalement en question la relation « spéciale » entre les États-Unis et Israël.
En réponse, les partisans d’Israël ont recours à des tactiques de plus en plus autoritaires pour faire taire la dissidence et réprimer la défense des droits des Palestiniens.
Une répression qui vient de loin
Les mesures de plus en plus autoritaires que nous observons aujourd’hui trouvent leur origine dans un héritage bipartisan qui s’étend sur plusieurs décennies. Pour exemple, les responsables politiques anti-palestiniens ont longtemps façonné les lois antiterroristes et la politique antiterroriste des États-Unis.
La première loi fédérale faisant référence au « terrorisme » est apparue dans la loi américaine sur l’aide à l’étranger de 1969, qui exigeait de l’UNRWA qu’elle veille à ce qu’aucune aide américaine ne parvienne à « tout réfugié recevant une formation militaire de la part d’un membre de la soi-disant Armée de libération de la Palestine ou se livrant à tout acte de terrorisme ».
Bien sûr, la loi ne donnait aucune définition claire du terrorisme. Néanmoins, elle désignait de facto les Palestiniens – en particulier les réfugiés – comme des auteurs présumés, ancrant ainsi un préjugé qui continue de façonner la politique américaine et le discours public à ce jour.
À chaque nouvelle version de ces lois « antiterroristes », une constante est restée : l’ambiguïté délibérée qui permettait au gouvernement fédéral de définir le « terrorisme » en fonction de ses objectifs.
L’association entre les Palestiniens et le terrorisme est devenue un préjugé législatif profondément ancré, qui a façonné un large éventail de lois et de politiques américaines visant à réprimer la défense des Palestiniens.
Cela inclut le recours aux lois sur le « soutien matériel », qui interdisent de fournir une aide financière, logistique ou autre à des organisations « terroristes » étrangères (FTO), afin de cibler des groupes humanitaires, tout en élargissant les programmes de surveillance qui qualifient les Américains d’origine palestinienne d’extrémistes ou de menaces pour la sécurité.
Le mouvement palestinien, des groupes de défense des droits des immigrants et des membres de la communauté se sont rassemblés à Newark, dans le New Jersey, le 28 mars 2025 pour protester contre la détention de Mahmoud Khalil – Photo : Sam Carliner, via Mondoweiss
Les administrations américaines successives ont utilisé à des fins politiques la législation issue de la loi contre le terrorisme et la peine de mort effective de 1996, du PATRIOT Act de 2001 et de précédents juridiques importants pour criminaliser l’aide humanitaire et la défense des Palestiniens.
Après les attentats du 11 septembre, les autorités fédérales ont de plus en plus recours à la législation antiterroriste pour restreindre les libertés civiles. Elles s’en sont servies pour surveiller et fermer des organisations accusées, souvent sans preuve, d’avoir des liens avec le terrorisme.
Ces mesures ont créé un environnement dans lequel la défense de la libération de la Palestine est non seulement rendue polémique, mais aussi de plus en plus présentée comme criminelle ou subversive.
Les groupes pro-israéliens ont également élargi leur arsenal juridique visant à réprimer la défense de la cause palestinienne. Par exemple, la définition de l’antisémitisme donnée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), adoptée par de nombreuses institutions et organismes gouvernementaux, assimile l’antisionisme à l’antisémitisme, réduisant ainsi au silence toute critique d’Israël.
La définition de l’IHRA ne reconnaît pas non plus les racines historiques profondes de l’antisémitisme dans la suprématie blanche occidentale. En conséquence, cette redéfinition de l’antisémitisme ne contribue guère à protéger le peuple juif. Au contraire, elle permet de réprimer la défense légitime de la libération de la Palestine et de restreindre la liberté d’expression.
Une autre facette de cette répression de la défense de la cause palestinienne est la vague de lois anti-boycott qui déferle sur les États-Unis.
Depuis 2014, des dizaines d’États américains ont promulgué des lois pénalisant les personnes et les entreprises qui boycottent ou refusent de s’engager avec des entités complices de l’occupation israélienne – dans le cadre d’un mouvement BDS plus large – leur interdisant souvent de faire des affaires avec l’État.
Par exemple, en 2022, la Cour d’appel du huitième circuit a confirmé une loi de l’Arkansas obligeant les entrepreneurs publics à s’engager à ne pas boycotter Israël. Cette décision érode les protections constitutionnelles en restreignant les boycotts, que la Cour suprême des États-Unis reconnaît comme une liberté d’expression politique garantie par le premier amendement.
Bien que les tribunaux fédéraux de plusieurs États aient invalidé ces mesures anti-boycott au motif qu’elles étaient inconstitutionnelles, les efforts plus larges visant à réprimer les initiatives BDS contre Israël se poursuivent, et l’administration Trump entend les porter à un niveau supérieur.
Projet Esther : lutter contre la dissidence, pas contre l’antisémitisme
Depuis leur retour au pouvoir en janvier 2025, Trump et ses alliés pro-israéliens ont intensifié leurs efforts pour réprimer le soutien aux droits des Palestiniens, adoptant des mesures de plus en plus autoritaires pour étouffer le militantisme et la défense de cette cause.
Contrairement à leurs homologues démocrates, qui justifient souvent ces mesures comme nécessaires pour lutter contre l’antisémitisme, les dirigeants républicains d’extrême droite recourent sans vergogne à des tactiques autoritaires, non seulement pour réduire au silence les défenseurs des droits des Palestiniens, mais aussi pour faire avancer un programme plus large visant à éroder les libertés civiles et à cibler la dissidence.
Le projet Esther illustre cette stratégie, en se concentrant sur une question où les engagements libéraux en faveur des droits civils et de la liberté d’expression vacillent régulièrement : la défense des droits des Palestiniens.
Le 7 octobre 2024, la Heritage Foundation a présenté le projet Esther comme une « stratégie nationale de lutte contre l’antisémitisme ».
Dans la pratique, cependant, ce projet confond l’antisionisme et la critique d’Israël avec l’antisémitisme, et utilise le pouvoir de l’État et des ressources privées pour démanteler le mouvement de solidarité avec la Palestine aux États-Unis à travers une campagne systématique d’intimidation, de définancement et de criminalisation.
L’un des piliers centraux du projet Esther consiste à redéfinir l’ensemble du mouvement de solidarité avec la Palestine comme un « réseau de soutien au Hamas », en qualifiant les organisations qui le composent d’« organisations de soutien au Hamas ».
A présent, le président américain a en tête de criminaliser les organisations anti-racistes aux États-Unis – Photo : réseaux sociaux
Ce faisant, il présente de manière efficace tout groupe défendant les droits des Palestiniens comme étant aligné sur le Hamas. Ce cadrage trompeur permet au projet Esther de déployer une stratégie à deux volets, combinant des tactiques de soft power et de hard power : l’une visant à discréditer le mouvement aux yeux du public, l’autre à criminaliser ses activités par le biais d’une guerre juridique et financière.
- Tactiques de soft power : en affirmant à tort que les organisations pro-palestiniennes sont liées au Hamas ou reçoivent des directives de ce groupe désigné comme organisation terroriste étrangère par le gouvernement américain, le projet Esther vise à discréditer, isoler et fracturer le mouvement aux yeux des Américains.
- Tactiques de hard power : désigner ces organisations comme soutenant le terrorisme menace leur capacité à collecter des fonds, à opérer légalement et à mener des actions de plaidoyer, neutralisant ainsi efficacement leur capacité à s’organiser.
En employant ces tactiques, les architectes du Projet Esther entendent exploiter la guerre financière, juridique et l’atteinte à la réputation pour discréditer le mouvement de solidarité avec la Palestine et anéantir ses activités.
- 1. Épuisement financier : En ciblant les sources de financement qui soutiennent des groupes comme Students for Justice in Palestine, American Muslims for Palestine et Jewish Voice for Peace, le Projet Esther vise à rendre les organisations de défense des droits des Palestiniens financièrement insoutenables pour les forcer à fermer ou à réduire drastiquement leurs activités.
Cette stratégie consiste notamment à faire pression sur les fondations donatrices et les institutions universitaires pour qu’elles retirent leurs financements et leur soutien, sous peine d’atteinte à leur réputation ou de poursuites judiciaires. - 2. Guerre juridique : Le Projet Esther cherche à instrumentaliser le système juridique afin de criminaliser la défense des droits des Palestiniens. L’initiative préconise l’utilisation des lois antiterroristes et anti-racket pour cibler les groupes et les individus qui organisent ou collectent des fonds pour des causes palestiniennes, en alléguant leur affiliation ou leur soutien à des groupes comme le Hamas.
Pour promouvoir ce programme, le Projet Esther déploie des poursuites judiciaires stratégiques visant à drainer les ressources des groupes pro-palestiniens sous prétexte de sécurité nationale. Ces tentatives incluent également l’expulsion de militants non-citoyens. En fin de compte, ces mesures visent à redéfinir le militantisme pro-palestinien comme non seulement illégitime, mais illégal. - 3. Atteinte à la réputation : Le Projet Esther vise à semer la méfiance et la division au sein du mouvement plus large pour les droits des Palestiniens. Reprenant les tactiques de l’ère McCarthy, la stratégie du Projet Esther prévoit des « recherches et enquêtes » visant à découvrir des « actes criminels » présumés au sein des organisations ciblées, impliquant des plans de surveillance et potentiellement d’infiltration de ces groupes pour recueillir des renseignements.
Ces opérations seraient suivies de campagnes publiques accusant des individus et des organisations de liens avec l’antisémitisme ou le sentiment anti-américain. Cette tactique rend difficile pour d’autres groupes de s’associer aux organisations ciblées sans risquer une atteinte à leur réputation ou des conséquences juridiques. Des organisations comme Canary Mission, qui divulguent des informations sur les étudiants, les travailleurs et les universitaires pro-palestiniens, jouent un rôle central dans cette campagne de « dénonciation et de honte ».
Ensemble, ces tactiques dures et douces de pouvoir visent à saper les progrès réalisés par le mouvement pro-palestinien pour faire évoluer l’opinion publique américaine. La guerre juridique cherche à délégitimer les actions de défense protégées par la Constitution, tandis que les campagnes de désinformation présentent le mouvement de solidarité avec la Palestine comme étant mû par une influence étrangère, occultant ainsi ses origines populaires.
Il est important de noter que si le Projet Esther cible les organisations et les individus défendant les droits des Palestiniens, son impact plus large impliquerait de remodeler la société américaine en éliminant les perspectives diverses du système éducatif, en étouffant les manifestations étudiantes et en éliminant tout discours critique sur le sionisme dans les espaces publics et universitaires.
En fin de compte, l’objectif du projet est de rendre la défense des droits des Palestiniens non seulement controversée, mais aussi illégale. En cas de succès, ses concepteurs disposeront d’un modèle pour élargir leurs cibles.
Il est crucial de considérer le Projet Esther non seulement comme une attaque contre le mouvement de solidarité avec la Palestine, mais comme une partie intégrante de l’offensive plus large de l’administration Trump contre la démocratie. The Heritage Foundation et d’autres puissants acteurs ultraconservateurs utilisent des initiatives comme le Projet Esther pour étendre et affiner de puissants mécanismes juridiques, qui ciblent depuis longtemps de manière disproportionnée les communautés marginalisées et les militants de gauche. Parmi ces mécanismes figurent :
- Loi sur l’enregistrement des agents étrangers (FARA) : Le Projet Esther préconise l’utilisation de la FARA pour enquêter sur les organisations et militants pro-palestiniens en tant que représentants d’intérêts étrangers, créant ainsi un dangereux précédent pour son utilisation plus large contre tout mouvement critique de la politique américaine.
- Loi sur les organisations corrompues et influencées par le racket (RICO) : En qualifiant les groupes de solidarité avec la Palestine de membres d’un soi-disant « réseau de soutien au Hamas », le Projet Esther pose les bases de poursuites en vertu de RICO, une stratégie qui pourrait tout aussi bien être utilisée comme arme contre les syndicats, les militants pour le climat et d’autres mouvements que l’extrême-droite cherche à démanteler.
- Cadres de lutte contre le terrorisme : Le lien faux et infondé établi entre le militantisme en faveur des droits des Palestiniens et l’association directe avec une organisation terroriste étrangère (OTE) sert à justifier une surveillance accrue, des poursuites judiciaires et une répression extrajudiciaire, renforçant ainsi les réglementations historiquement utilisées pour criminaliser l’activisme musulman, noir et autochtone.
- Lois sur l’immigration : En prônant l’expulsion des militants nés à l’étranger, le Projet Esther établit un précédent pour des mesures de répression de l’immigration encore plus larges contre les dissidents, notamment les réfugiés, les demandeurs d’asile et d’autres communautés vulnérables.
Au-delà de ces instruments de répression, le Projet Esther s’appuie sur des messages de peur et des campagnes de désinformation pour influencer les politiques.
Utiliser la peur comme un gourdin
Le Projet Esther est une initiative ancrée dans la désinformation, la peur et le fondamentalisme conservateur. Ses fondateurs lui ont donné le nom d’Esther, figure biblique célébrée dans la tradition juive pour avoir sauvé son peuple du génocide dans la Perse antique.
Mars 2024 – « Jusqu’à ce que la Palestine soit libre, personne d’entre nous ne sera libre. » Les étudiants participent à un rassemblement à l’Université de Caroline du Nord-Greensboro, organisé par « Students for Justice in Palestine ». Le die-in était en solidarité avec les Palestiniens de Gaza, exigeant la fin de la complicité américaine dans le génocide. Des manifestations se sont répandues dans le monde en réaction au lourd bombardement d’Israël à Gaza, qui a tué plus de 35 000 Palestiniens et blessé plus de 80 000 (à la date du 19 mai 2024) – Photo : Sharona Weiss / Activestills
En s’appropriant l’histoire d’Esther, l’initiative vise à établir un parallèle moral entre la survie historique des juifs et les programmes sionistes modernes, présentant les critiques d’Israël comme des menaces existentielles pour la sécurité des Juifs et utilisant cette rhétorique pour justifier des exigences de plus en plus autoritaires.
En réalité, les préoccupations pour la sécurité des juifs ne sont pas le moteur du Projet Esther ; c’est plutôt un programme nationaliste chrétien d’extrême-droite qui façonne ses objectifs. The Heritage Foundation aurait eu du mal à obtenir des organisations juives comme « partenaires » officiels.
Plusieurs organisations qui, selon elle, ont joué un rôle direct dans la création de l’initiative ont démenti ces allégations, notamment le Congrès juif mondial et la Coalition juive républicaine. Cela ne signifie pas que ces organisations hésitent à étouffer toute critique d’Israël.
Elles ont peut-être hésité à se joindre à une croisade partisane menée par des chrétiens évangéliques, ou ont-elles voulu revendiquer la responsabilité de la « guerre contre l’antisémitisme ». Quelles que soient leurs motivations, la question fondamentale est de savoir si le véritable objectif du Projet Esther est vraiment de combattre l’antisémitisme.
Si la lutte contre l’antisémitisme avait été l’objectif principal du Projet Esther, ses concepteurs auraient présenté un plan pour s’attaquer à la source de ses manifestations les plus violentes : l’extrême-droite. Cependant, le Projet Esther minimise explicitement les dangers de l’antisémitisme d’extrême-droite et ne mentionne pas la lutte contre la suprématie blanche.
Au lieu de cela, il dépeint l’antisémitisme comme une forme de discrimination qui émane uniquement de la gauche politique pro-palestinienne. Dans cette optique, il répertorie presque tous les démocrates ayant exprimé la moindre critique d’Israël, les qualifiant de membres d’un soi-disant « caucus du Hamas ».
Parallèlement, des républicains tels que Rand Paul et Thomas Massie, tous deux critiques virulents de la poursuite de l’aide militaire inconditionnelle à Israël, sont notablement omis.
Le rapport du Projet Esther, qui décrit sa stratégie de lutte contre l’antisémitisme, ne mentionne aucun républicain, malgré des cas évidents d’antisémitisme au sein du Parti républicain ces dernières années. Il n’a pas condamné l’invocation systématique par Trump d’une rhétorique antisémite, y compris les tropes de double loyauté suggérant que les Américains juifs qui votent pour les démocrates sont déloyaux envers Israël et leur foi.
Il omet également de mentionner Marjorie Taylor Greene, qui a voté contre la loi de sensibilisation à l’antisémitisme de 2023 (H.R. 6090), affirmant qu’elle contredisait « l’Évangile ».
Ces omissions révèlent ce que le Projet Esther est vraiment : un plan visant à réprimer la dissidence contre le soutien inconditionnel à Israël, à réduire au silence les défenseurs des droits des Palestiniens et à enraciner des programmes conservateurs extrêmes. Cela n’a rien à voir avec la lutte contre l’antisémitisme.
En instrumentalisant le traumatisme juif pour faire avancer son programme, le Projet Esther sape les véritables efforts de lutte contre l’antisémitisme en s’alignant sur les forces suprémacistes blanches qui ont historiquement représenté la plus grande menace pour les communautés juives.
En fait, utiliser le prétexte de la sécurité des juifs pour démanteler des protections démocratiques durement acquises, comme la liberté d’expression, ne fait que renforcer les stéréotypes mêmes qui alimentent l’antisémitisme.
Une attaque directe contre la démocratie
Le Projet Esther apparaît comme une extension du Projet 2025, un vaste programme d’extrême-droite dont Trump s’était initialement distancié pendant sa campagne de réélection, pour le mettre en œuvre par une série de décrets-loi à son retour au pouvoir. Le Projet Esther représente l’aboutissement naturel de la répression plus large de la solidarité palestinienne.
Il intervient également à un moment où certaines des forces suprémacistes les plus répressives des États-Unis s’apprêtent à resserrer leur emprise sur les sphères du pouvoir.
Tout comme la répression plus large de la solidarité palestinienne, le Projet Esther est en fin de compte une tentative de se réapproprier les récits qui ont longtemps justifié le soutien inconditionnel des États-Unis à Israël. Il reflète une réaction conservatrice plus large aux États-Unis, car de nombreux membres de la droite estiment que les récits et les mythes qui soutiennent leurs privilèges s’érodent dans une société de plus en plus diversifiée et politiquement consciente.
En un sens, le Projet Esther se présente comme une initiative tournée vers l’avenir, mais il s’agit fondamentalement d’une tentative réactionnaire de préserver le statu quo.
Les architectes du Projet Esther luttent désespérément contre le soutien croissant aux Palestiniens et les critiques croissantes à l’égard du régime israélien, deux conséquences du processus démocratique lui-même.
Piliers de la démocratie, l’échange ouvert d’informations et la liberté d’expression ont permis aux Palestiniens de partager leurs histoires, nourrissant ainsi un certain scepticisme envers le soutien inconditionnel continu des États-Unis au régime israélien. En s’efforçant de réduire au silence les groupes et les individus qui défendent les droits des Palestiniens ou critiquent la politique israélienne, les partisans d’Israël sapent activement le processus démocratique.
Face à l’appareil répressif déclenché par des initiatives comme le Projet Esther et à l’attaque plus large contre la solidarité palestinienne, la nécessité d’une action stratégique, unifiée et proactive n’a jamais été aussi grande. Vous trouverez ci-dessous des recommandations à l’intention des personnes et des organisations engagées dans la défense de la cause palestinienne et le respect des principes plus larges de justice, d’égalité et de liberté d’expression. Ces recommandations stratégiques visent à renforcer la défense de la cause palestinienne, garantissant résilience, unité et efficacité face à l’escalade de la répression.
Recommandations
Renforcer la résilience du mouvement et la solidarité intersectionnelle
La plus grande menace pour le plaidoyer pro-palestinien est l’isolement. La stratégie du Projet Esther vise à diviser le mouvement de solidarité avec la Palestine et à le dissocier des autres causes de défense des droits humains.
Pour contrer cette attaque, le mouvement pro-palestinien doit renforcer ses alliances et bâtir une coalition large et unie :
- Favoriser la solidarité intra-mouvement : établir des plateformes communes de communication et de soutien mutuel au sein du mouvement pro-palestinien afin de contrer les divisions et la méfiance.
- Mettre en avant l’intersectionnalité : forger des alliances avec les mouvements environnementaux, autochtones et de justice raciale, entre autres, afin d’élargir le soutien et de renforcer la constitution de coalitions.
- Souligner la menace pour les libertés constitutionnelles : présenter le Projet Esther comme une attaque directe contre les droits garantis par le Premier Amendement pour tous les Américains, et pas seulement les défenseurs des droits palestiniens, afin de galvaniser une opposition plus large aux attaques répressives contre la dissidence et les libertés civiles.
Gagner la guerre de l’information
L’opinion publique est un champ de bataille essentiel. Une communication efficace et un recadrage stratégique peuvent contrer la désinformation promue par les groupes sionistes :
- Recadrer l’antisionisme comme une question de droits humains et d’intérêt public : positionner l’opposition aux politiques israéliennes dans le cadre des principes universels de justice, d’égalité et d’utilisation responsable de l’argent des contribuables américains.
- Dénoncer la récupération du discours antisémite par la droite : démontrer comment l’amalgame entre critique d’Israël et antisémitisme sape les véritables efforts de lutte contre la haine et de protection des communautés juives.
- Documenter et dénoncer la répression : suivre et rendre publics les coûts humains et démocratiques du Projet Esther et d’initiatives similaires afin de constituer un argument convaincant en faveur de la solidarité.
Renforcer la défense juridique et accroître le financement
Des stratégies juridiques solides et des sources de financement diversifiées sont essentielles pour contrer les tactiques de guerre juridique utilisées par le Projet Esther pour museler la dissidence :
- Exploiter les lois anti-SLAPP : Utiliser les lois anti-SLAPP (poursuites-bâillons stratégiques contre la participation publique), conçues pour empêcher les poursuites visant à entraver la liberté d’expression, afin de protéger les militants et les organisations.
- Élargir et diversifier le financement local : Construire un réseau de petits donateurs et de soutiens internationaux pour garantir l’indépendance financière et atténuer l’impact des campagnes de définancement.
*****
A propos de l’auteur :
* Tariq Kenney-Shawa est chargé de recherche en politique américaine pour Al-Shabaka et co-animateur du cycle de laboratoires de politiques d’Al-Shabaka. Il est titulaire d’un master en affaires internationales de l’Université Columbia.
Plus d’articles de cet auteur
*****
15 avril 2025 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – MR (Ism-France) & Lotfallah