Le revirement de la France sur l’immunité de Netanyahu devant la CPI : un « mensonge » et un « double standard »

Élodie Farge, 28 novembre 2024L’affirmation de la France selon laquelle le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu peut bénéficier d’une immunité d’arrestation internationale après un mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) a suscité de vives critiques de la part d’importantes organisations de défense des droits de l’homme, d’avocats et de dirigeants politiques.

Cette fillette de Gaza a plus de dignité que tous les collaborateurs du régime génocidaire de Tel Aviv. Les Palestiniens se passeront de leur aide pour libérer leur pays.

Interrogé à la radio française sur l’éventualité d’une arrestation en France du Premier ministre israélien, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot a évoqué d’éventuelles « questions d’immunité » pour « certains dirigeants » prévues par le Statut de Rome, qui a créé la CPI.

« C’est en définitive à l’autorité judiciaire de décider », a déclaré M. Barrot.

Dans un communiqué publié plus tard mercredi, le ministère des Affaires étrangères a déclaré que la France respecterait ses obligations internationales et coopérerait pleinement avec la CPI, mais a ajouté que le Statut de Rome régissant la CPI prévoyait qu’un État ne pouvait être tenu d’agir « d’une manière incompatible avec ses obligations en vertu du droit international concernant les immunités des États non parties à la CPI ».

Israël n’est pas signataire de la CPI et affirme quil ne peut être tenu responsable en vertu du Statut de Rome.

Le Quai d’Orsay a ajouté que « de telles immunités s’appliquent au Premier ministre Netanyahu et aux autres ministres concernés et devront être prises en considération si la CPI devait nous demander leur arrestation et leur remise ».

Cette déclaration représente un revirement par rapport à la réaction initiale française à la décision de la CPI la semaine dernière d’émettre des mandats d’arrêt contre Netanyahu et son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis contre les Palestiniens à Gaza depuis octobre 2023.

Jeudi dernier, la France avait réitéré son engagement à respecter les décisions de la Cour. Selon le Statut de Rome, les 124 États parties, dont tous les membres de l’UE, ont désormais l’obligation légale d’arrêter les deux hommes et de les remettre à la Cour.

Bien que lon puisse affirmer que Netanyahu, en tant que Premier ministre en exercice, a droit à l’immunité devant les tribunaux nationaux, les règles des tribunaux internationaux rejettent sans équivoque limmunité des individus relevant de leur juridiction, ont déclaré des experts à Middle East Eye la semaine dernière.

« Un double standard préjudiciable »

C’est la première fois qu’un membre de la CPI soutient que M. Netanyahu est couvert par l’immunité en tant que chef de gouvernement en exercice car Israël n’est pas membre de la CPI.

La France n’a jamais soulevé publiquement la question de l’immunité du président russe Vladimir Poutine et de l’ancien chef d’État soudanais Omar el-Béchir – qui ont fait l’objet de mandats d’arrêt de la CPI pour, respectivement, le crime de guerre de déportation d’enfants ukrainiens et les crimes contre l’humanité au Darfour – bien que ces pays ne soient pas des États parties de la CPI.

Pour les spécialistes, la position française ne tient pas.

« Les chefs d’État ne bénéficient pas de l’immunité devant la CPI, qu’ils appartiennent à des États parties ou à des États non parties », a déclaré Giulia Pinzauti, professeur de droit international à l’université de Leiden, à MEE la semaine dernière.

La secrétaire générale d’Amnesty International, Agnès Callamard, a déclaré sur X que la déclaration de la France « va à l’encontre des obligations fondamentales de la France en tant qu’État membre de la CPI ».

« L’un des principes fondamentaux du statut de la CPI est que nul n’est au-dessus de la loi, y compris les chefs d’État recherchés, tels que Vladimir Poutine ou Benjamin Netanyahu. Ce principe a été confirmé par une décision de la Chambre d’appel de la Cour dans une jurisprudence qui est contraignante pour tous les États membres », a-t-elle expliqué.

« La position de la France est profondément problématique. Plutôt que de déduire que les personnes inculpées par la CPI peuvent bénéficier d’une immunité, la France devrait confirmer expressément qu’elle accepte l’obligation légale sans équivoque prévue par le Statut de Rome d’exécuter les mandats d’arrêt, et affirmer que toutes les personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI seront arrêtées et remises à la Cour si elles se trouvent dans la juridiction de la France », a souligné M. Callamard.

Pour la directrice France de Human Rights Watch (HRW), Bénédicte Jeannerod, la position française est « choquante ».

« La diplomatie française a-t-elle mal lu l’article 27 du Statut de Rome, qui stipule clairement qu’il n’y a pas d’immunité pour les crimes les plus graves dans le cadre de la CPI ? »

« Ils l’ont apparemment lu différemment en ce qui concerne Poutine. Deux poids deux mesures préjudiciables », a-t-elle ajouté.

La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) a également qualifié cette décision de « honte totale ».

« Les mandats d’arrêt de la CPI ne sont pas négociables », écrit la FIDH dans un communiqué, ajoutant que la position française « sape dangereusement » le droit international « à un moment où nous en avons un besoin urgent« .

« De tels propos sont inacceptables et ne correspondent pas à la rigueur et à la compétence attendues de la diplomatie française », a déclaré la Ligue des droits de l’Homme (LDH), organisation membre de la FIDH en France.

« Il n’était pas question d’immunité pour M. Poutine : ce double standard nuit à la réputation de la France, notamment vis-à-vis des pays du Sud ».

L’avocat et militant politique français Juan Branco a expliqué sur X que les immunités relatives aux chefs d’Etats tiers mentionnées à l’article 98 du Traité de Rome « ne sont pas applicables dans notre pays ».

« Il n’y a, aujourd’hui, en droit français et selon ses propres juges, aucune incompatibilité entre nos obligations internationales et l’exécution du mandat d’arrêt visant M. Netanyahu », écrit-il.

« Il est inconcevable que le service juridique du Quai, parmi les plus réputés au monde, n’ait pas averti le ministre que la Cour d’appel de Paris avait, le 26 juin 2024, jugé que les immunités personnelles et fonctionnelles des chefs d’État et de gouvernement étaient sans objet en ce qui concerne la commission de crimes sanctionnés par le droit international coutumier, dont évidemment tous ceux visés par le Statut de Rome. »

En juin dernier, la cour d’appel de Paris a validé un mandat d’arrêt contre Bachar al-Assad, accusé par les juges d’instruction français de complicité de crimes contre l’humanité pour les attaques chimiques meurtrières d’août 2013 attribuées au président syrien. Cette décision a modifié de manière décisive la jurisprudence française sur l’immunité des chefs d’Etat en exercice, reconnaissant pour la première fois que l’immunité personnelle d’un chef d’Etat en exercice n’est pas absolue.

L’accord derrière l’accord

Selon M. Branco, la position de la justice française est « sans ambiguïté » et impose à la France d’exécuter le mandat d’arrêt émis par la CPI à l’encontre de M. Netanyahu.

« La déclaration du Quai d’Orsay – qui engage l’ensemble du ministère – est clairement le résultat d’une pression politique maximale », a-t-il ajouté.

Mercredi, les médias israéliens Haaretz et Maariv ont suggéré que la déclaration de la France sur l’immunité éventuelle de M. Netanyahu était liée aux négociations menées avec Israël pour qu’il accepte un cessez-le-feu au Liban.

Ces derniers mois, M. Macron s’est fortement impliqué pour mettre fin aux combats entre Israël et le Hezbollah. Fin septembre, Paris et Washington ont proposé aux Nations unies un plan de cessez-le-feu de 21 jours, qui a été publiquement rejeté par Netanyahu.

Une source israélienne a déclaré à Haaretz que selon l’entourage du Premier ministre, le gouvernement français aurait accepté de publier cette déclaration uniquement à la lumière d’un ultimatum israélien et de la menace ⌈israélienne⌋ de laisser la France en dehors du processus et du mécanisme de négociations de cessez-le-feu.

Tout en mettant en garde contre la véracité de cette « pirouette », comme l’a qualifié, le journal hébreu a ajouté qu' »une explication plus probable est que la France a offert cela comme une gâterie, sachant que Netanyahu place souvent ses intéts personnels au-dessus de ceux de l’État ».

Selon le site d’information américain Axios, le président américain Joe Biden a appelé Macron vendredi pour lui faire part de la colère de Netanyahu après avoir entendu la première réaction du Quai d’Orsay concernant l’application de la décision de la CPI. M. Macron se serait ensuite entretenu avec M. Netanyahu.

« La France a accepté de prendre des mesures pour améliorer ses relations avec Israël, et Israël a accepté que la France joue un rôle dans la mise en œuvre de l’accord [de cessez-le-feu] », a déclaré un fonctionnaire américain à Axios lundi.

Déclaration dénoncée comme « honteuse »

En France, plusieurs personnalités politiques, principalement de gauche, ont vivement critiqué l’annonce du ministère des Affaires étrangères et la possibilité d’un accord en coulisse avec Israël pour renforcer la position de Paris sur la scène diplomatique internationale.

La présidente du parti écologiste, Marine Tondelier, a qualifié la déclaration du ministère de « honteuse ».

« La France se plie une nouvelle fois aux exigences de Benjamin Netanyahu en le préférant à la justice internationale. C’était sûrement le ‘deal’ pour que la France soit citée dans le communiqué officiel annonçant le cessez-le-feu au Liban publié conjointement par la France et les Etats-Unis hier », écrit-elle sur X.

Tondelier a dénoncé « une erreur historique, une erreur très, très grave ».

« Nous mettons à mal la justice internationale et le système multilatéral que nous avons patiemment construit pendant des décennies. Mais aussi, tout simplement, ce qui reste de notre crédibilité internationale. C’est tragique », a-t-elle ajouté.

Manuel Bompard, coordinateur du parti de gauche France (LFI), a adopté un jeu de mots après avoir partagé un article titrant que « »Netanyahu jouit d’une immunité”, selon la diplomatie française ».

« N’est-ce pas plutôt de l’impunité ? » a-t-il demandé sur X.

« La complicité du gouvernement dans le génocide des Palestiniens est totale », a tweeté le député LFI Louis Boyard.

Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction Éléa Asselineau