Khalil Harb, 29 octobre 2024. Les manœuvres diplomatiques menées par Washington et d’autres capitales occidentales, aux côtés de l’immense ambassade américaine à Beyrouth, reposent sur un postulat erroné : le Liban est fracturé et vulnérable, mûr pour une sorte de « palestinisation ».
Cette illusion a enhardi le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui croit qu’avec le soutien diplomatique indéfectible des puissances occidentales – notamment de l’envoyé américain d’origine israélienne Amos Hochstein – il peut gagner du terrain politique au Liban, d’autant plus que sa guerre contre la Palestine n’est toujours pas résolue un an après, une épine perpétuelle dans son pied.
Netanyahu mise sur les divisions du Liban en exploitant les tensions partisanes, religieuses et démographiques et en misant sur la complicité de personnalités libanaises pro-occidentales qui se présentent comme des défenseurs de la « souveraineté ».
Pourtant, leurs ambitions ne dépassent guère celles de Mahmoud Abbas (Abou Mazen), le président de l’Autorité palestinienne (AP), qui reste, de manière invraisemblable, le lèche-bottes le plus évident de tous les dirigeants arabes d’Asie occidentale. Certaines de ces personnalités libanaises trépignent d’impatience, prêtes à agir comme une version libanaise d’Abou Mazen – prêtes à céder le pouvoir en désarmant la résistance, en acceptant une souveraineté limitée proche de celle de l’AP et en permettant aux forces ennemies d’entrer dans les villes et les villages à volonté, en commettant des assassinats et des raids sous les ordres de Tel-Aviv.
Ce scénario n’est pas seulement théorique. Ce qu’Israël attend du Liban, selon des sources parlant à The Cradle, ressemble à l’accord maudit du 17 mai 1983 – un accord de paix polémique signé entre Beyrouth et Tel-Aviv sous la médiation des États-Unis qui visait à mettre fin aux hostilités mais qui a effectivement sapé la souveraineté du Liban, approfondi les divisions internes et déclenché une réaction généralisée, alimentant finalement une nouvelle phase de résistance.
La stratégie d’Israël pour déstabiliser le Liban
Les événements actuels, qui coïncident avec l’intensification des agressions israéliennes sur le territoire libanais, contrée par une formidable résistance du Hezbollah, indiquent une stratégie occidentale délibérée visant à déstabiliser le Liban. Cela se manifeste à travers plusieurs développements clés :
Tout d’abord, la « réunion de Maarab » – organisée par Samir Geagea, membre du parti des Forces libanaises, à son siège – a réuni des opposants à la résistance pour discuter du « lendemain » d’une hypothétique défaite du Hezbollah. Geagea, bien sûr, est le chef du parti-milice suprémaciste chrétien qui a massacré les Palestiniens dans leurs camps de réfugiés et n’a jamais rencontré une suggestion de politique américano-israélienne qui ne lui plaisait pas.
S’exprimant lors de l’événement, intitulé « En défense du Liban », le chef de guerre notoire a insisté sur le fait que « tout cela ne signifie pas qu’un parti sera victorieux et un autre vaincu. Au contraire, le Liban sera le vainqueur pour le bien de tout son peuple, de sa sécurité, de sa stabilité et de sa prospérité. » Leur ordre du jour comprenait l’élection d’un président « conciliant » – une demande prioritaire de la liste de souhaits de Hochstein – et la résurrection de résolutions internationales comme la résolution 1559 de l’ONU, qui « appelle au démantèlement et au désarmement de toutes les milices libanaises et non libanaises » – une attaque claire contre le Hezbollah – au plus fort de la bataille contre l’invasion israélienne.
On ne peut voir le timing de Geagea, malgré des absents notables, que comme un pari politique pour se positionner comme candidat à la présidentielle dans un contexte de défaite présumée du Hezbollah.
Deuxièmement, les apparitions soudaines du chef du Courant patriotique libre (CPL) Gebran Bassil sur les chaînes saoudiennes Al Arabiya et Al-Hadath ont servi à annoncer sa rupture avec le Hezbollah, l’accusant de fait, ainsi que l’Iran – mais pas Israël – d’être responsables de la guerre actuelle. Il a également critiqué Geagea et le commandant de l’armée Joseph Aoun, favori des États-Unis, qui sont tous deux candidats à la présidence. Il faut noter que le CPL fut un allié politique du Hezbollah depuis 2006 et que Bassil a été l’un des principaux perturbateurs de plusieurs nominations au cours des dernières années.
Troisièmement, la frénésie diplomatique occidentale de ces derniers mois n’a été qu’une mascarade, dénuée de véritables tentatives pour freiner la brutalité israélienne et parvenir à un cessez-le-feu au Liban ou à Gaza. Menées par les États-Unis, ces propositions visent à mettre un terme au soutien du Hezbollah à Gaza, agrémenté de promesses creuses d’aide au secteur de l’électricité libanais en difficulté.
Manipulations diplomatiques
Les récentes interventions de l’envoyé américain Hochstein et de la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock ont également fait long feu. Hochstein a essentiellement transmis les exigences israéliennes, tandis que Baerbock a eu l’audace d’arriver à Beyrouth après avoir publiquement approuvé le droit d’Israël à attaquer des civils si des « terroristes » étaient supposés se trouver parmi eux. Elle est venue au Liban en pensant, comme elle l’a déclaré, que l’État occupant avait « considérablement affaibli le Hezbollah en éliminant Nasrallah ».
Les événements qui se sont déroulés depuis lors ont prouvé le contraire : c’est l’armée israélienne qui fuit les villages du sud où ses troupes ont rencontré une résistance implacable.
L’analyste politique Dawood Ramal a déclaré à The Cradle que Hochstein avait présenté une proposition visant à mettre en œuvre la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui démantèlerait l’aile militaire du Hezbollah et étendrait la zone « sans présence armée » jusqu’à la rivière Awali, et non pas seulement au sud du fleuve Litani, comme stipulé à l’origine.
Les propositions allemandes de surveillance des ports et des frontières du Liban pour empêcher les livraisons d’armes – ainsi que de lier l’aide à la reconstruction au désarmement du Hezbollah – s’alignent étroitement sur les intérêts américains et israéliens. Comme le souligne Ramal, « ils veulent un accord de capitulation qui fasse écho à l’accord du 17 mai de 1983 ».
La position officielle du Liban reste que la résolution 1701 est la base de toute solution. Beyrouth est ouvert à l’élargissement du mandat des forces de maintien de la paix de l’ONU (FINUL) mais insiste sur une action réciproque de la part d’Israël – à savoir, mettre fin à ses violations quotidiennes de l’espace aérien et discuter du statut des fermes de Chebaa occupées par Israël.
Entre-temps, des sources israéliennes, via le site Web américain Axios, ont divulgué un document décrivant les conditions d’Israël pour mettre fin au conflit. Selon le rapport, citant un responsable israélien, « l’une des demandes israéliennes est que l’armée israélienne soit autorisée à s’engager dans une « application active » pour s’assurer que le Hezbollah ne se réarme pas et ne reconstruise pas son infrastructure militaire dans les zones du sud du Liban qui sont proches de la frontière ». Le responsable a ajouté que Tel-Aviv exige également que son armée de l’air ait une « liberté d’opération » dans l’espace aérien libanais. Voilà pour la souveraineté.
Les médiateurs occidentaux ont fait miroiter 350 millions de dollars d’aide financière et militaire à l’armée libanaise pour renforcer ses déploiements dans le sud, tandis que Hochstein a fait pression pour que l’autorité de la FINUL soit élargie afin qu’elle puisse se déplacer librement et mener des inspections sans coordination avec l’armée libanaise.
Alors que beaucoup rejettent l’élection d’un président en pleine guerre, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a réitéré son appel au Liban pour combler le vide présidentiel – un signal clair de priorités mal placées.
À la recherche d’un « Abou Mazen libanais »
L’analyste de sécurité Abdullah Qamh a déclaré à The Cradle que les appels d’Israël à « libérer » le Liban du Hezbollah et à élire un président visent à mettre sur la touche le chef du parti Amal et président du Parlement Nabih Berri, un allié de longue date du Hezbollah qui est devenu du jour au lendemain l’autorité la plus puissante du pays. En réponse aux demandes de Hochstein, Berri a fermement rejeté la soi-disant « 1701+ », qui implique de modifier la résolution de l’ONU pour favoriser les conditions israéliennes. Il a également écarté toute discussion sur une élection présidentielle tant que le Liban reste sous attaque.
Israël s’oppose au rôle de médiation de Berri et préfère obtenir un cessez-le-feu avec un président complaisant, en contournant les alliés du Hezbollah. Qamh résume la mission de Hochstein comme étant essentiellement une tentative de faire pression sur l’État libanais pour qu’il exerce une pression sur le Hezbollah.
Il souligne que l’insistance de Berri à maintenir inchangée la résolution 1701 a été contrée par des attaques israéliennes visant les bastions du mouvement Amal, du quartier de Jnah à Beyrouth aux villes du sud de Nabatieh et Tyr. Selon Qahm, « la médiation de Hochstein est terminée, car Berri a décrit la visite de l’envoyé américain comme une « dernière chance ». »
Ramal, pour sa part, affirme que Berri se trouve dans la « zone de danger », Israël le considérant comme le porte-parole du Hezbollah et, par conséquent, une cible potentielle pour Tel-Aviv. La montée en puissance de l’activité de médiation étrangère est survenue après trois événements clés : les attaques directes israéliennes contre les forces de la FINUL dirigées par l’Europe, les frappes réussies de la résistance en profondeur du territoire israélien (y compris la résidence de Netanyahu à Césarée) et la riposte efficace du Hezbollah aux incursions israéliennes dans le sud du Liban.
Avant et après la visite de Hochstein, Israël a envoyé des signaux clairs – notamment des raids aériens intenses sur les banlieues sud de Beyrouth – selon lesquels la « médiation » visait davantage à évaluer la volonté du Liban de capituler. Mais sur le terrain où se déroulent les véritables batailles, la résistance du Hezbollah, loin d’être une défaite, renforçait déjà la position de négociation du Liban.
Paradoxalement, le Premier ministre par intérim Najib Mikati, un vestige du dernier gouvernement libanais, a critiqué le président du Parlement iranien Mohammad Qalibaf pour « l’ingérence flagrante de Téhéran dans les affaires libanaises et sa tentative d’établir une tutelle inacceptable sur le Liban », alors même qu’il saluait Hochstein, un ancien membre d’équipage de char israélien, et restait silencieux sur les tonnes de missiles américains qui aident Israël à massacrer des milliers de civils libanais.
Les Libanais craignent que leurs dirigeants ne vacillent à nouveau, comme l’a fait Mikati récemment, sapant la position unifiée que Berri s’est efforcé de maintenir contre les pressions extérieures. Si la résistance du Liban dans le sud demeure un atout crucial, certains hommes politiques semblent trop désireux de revisiter les humiliations de l’époque des accords du 17 mai ou de se résigner à un rôle symbolique faible, proche de celui d’un Abou Mazen libanais.
Article original en anglais sur The Cradle / Traduction MR