Un an de génocide et nos âmes restent belles

Abubaker Abed, 7 octobre 2024. Dans la petite ville côtière de Deir al-Balah, la journée commençait autrefois par le départ des pêcheurs qui, à bord de leurs embarcations rudimentaires, jetaient leurs filets à la mer.

Plus à l’intérieur des terres, les agriculteurs plantaient et récoltaient les semences qu’ils préparaient depuis des mois.

Coucher de soleil sur Deir al-Balah, en janvier 2021 (Ashraf Amra/APA images)

Sur les pentes sablonneuses des bords de mer, des lys blancs fleurissent. Les terres de la ville sont fertiles et regorgent d’oliviers et de palmiers, ainsi que de vastes champs de légumes et de fruits, comme la laitue, les épinards, les oranges et les fraises.

Avant la guerre, la ville comptait quelques 50 000 habitants. Un sentiment de calme régnait au cœur de la ville, qui s’étend sur environ 15 kilomètres carrés.

Le matin, les enfants animaient la ville. Pleins d’énergie, de joie et de bruit, ils se rendaient à pied à l’école, où les enseignants arrivaient en taxi. Les mères nourrissaient les jeunes bouches affamées avec des sandwichs au zaatar. Lors des assemblées matinales, l’hymne national palestinien se mêlait au chant des oiseaux.

Le Collège technique de Palestine était la seule université de la ville, située en plein centre.

La ville accueillait le principal hôpital du centre de Gaza, l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa, qui servait également d’établissement d’enseignement pour les étudiants en médecine et de lieu de pique-nique pour les habitants. Les salles et les sols de l’hôpital étaient impeccables. Les médecins prenaient des pauses dans les jardins sereins.

Le stade sportif Al-Dorra résonnait tous les week-ends d’acclamations, de rires et de réjouissances et, dans un coin plus calme de la ville, les visiteurs affluaient vers le sanctuaire Al-Khader, une petite structure ancienne, parfois associée à Saint-Georges, qui a été construite à l’époque romaine, il y a environ 16 siècles.

La ville fermait les yeux au coucher du soleil avec le même sentiment de paix que lorsque l’aube se levait.

C’était Deir al-Balah, seule ville de Gaza à se coucher et à se lever tôt. Le chaos et la circulation nous étaient inconnus. Nous sommes des gens ordinaires qui profitent pleinement de la vie et apprécient chaque seconde.

Une ville en ruines

Je suis né à l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa le 24 novembre 2002. C’était, me dit-on, une nuit très froide. Je suis un enfant de cette ville et je suis reconnaissant et heureux de faire partie de la vie d’ici.

Aujourd’hui, cependant, la vue de ma ville me rend malade. Des places entières ont été réduites en poussière, des quartiers entiers ont été détruits et des familles entières ont disparu.

Des tentes sont éparpillées le long de la plage et dans les quelques rues restantes. Des enfants traumatisés font la queue pendant des heures pour obtenir une gorgée d’eau. Le son des mères qui pleurent désespérément la perte de leurs proches n’est jamais très loin.

La ville, qui avait le sentiment d’être un sanctuaire et qui a vécu de nombreuses guerres et escalades qui ont toujours remué le couteau dans la plaie, symbolise aujourd’hui notre souffrance commune. Les bombardements incessants d’Israël nous emplissent, ma famille et moi, d’une angoisse permanente.

Il n’y a pratiquement pas de nourriture. Je me souviens d’un jour où j’ai dû manger de la nourriture en boîte pour animaux et des graines de blé pourries. Les jours suivants, j’ai souffert de gastro-entérite et de fatigue à cause de la malnutrition.

Chaque jour est une lutte pour survivre.

Nous buvons de l’eau non filtrée.

Notre vie peut s’arrêter en un instant.

Les écoles ne font plus sourire les enfants. Ce sont des abris pour les déplacés. Le Collège technique de Palestine et le stade Al-Dorra abritent désormais des milliers de personnes déplacées du nord de la bande de Gaza. Il n’y a ni éducation, ni sport, ni espoir de retour.

L’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa est un lieu de terreur indicible. L’odeur du sang, qui éclabousse les sols et les murs, imprègne chaque espace. Des prières funéraires sont organisées chaque jour. Des enfants blessés gémissent sur les corps de leurs mères. Des sacs en plastique blanc contenant des restes humains remplissent les réfrigérateurs.

Malgré son importance historique, le sanctuaire d’Al-Khader a été abandonné à cause des bombardements impitoyables d’Israël sur Deir al-Balah.

Toutes les terres agricoles de la périphérie orientale de Deir al-Balah ont été rasées par les bulldozers, des terres qui regorgeaient autrefois de beauté et de nature.

Douleur et espoir

Comment pourrais-je décrire la douleur ?

Je ne peux pas voir mes amis.

Nous n’avons pas le minimum pour exister.

Je me bats pour une tasse d’eau.

J’ai désespérément besoin de médicaments.

Je ne peux pas poursuivre mes études.

Je ne peux pas, je ne peux pas, je ne peux pas.

Un homme récolte les dates des palmiers de Deir al-Balah en 2010 (Ashraf Amra/APA Images)

Mon ami Al-Hassan et moi étions séparés par une rue, mais nous ne pouvions pas nous voir.

Avant la guerre, nous faisions le tour de la ville en cinq minutes dans sa voiture. Nous passions du temps chez lui.

J’essaie de m’en souvenir maintenant.

Israël a détruit les rues. Israël a pris pour cible la maison de mon ami.

Israël l’a tué.

Nos âmes sont belles, tout comme Deir al-Balah et Gaza.

Deir al-Balah, où se trouvent le seul stade et la seule université encore debout à Gaza.

Deir al-Balah et moi survivons au génocide.

Malgré tous les traumatismes infligés et la destruction de la vie à Deir al-Balah et à Gaza, nous continuons à voir l’espoir et la beauté.

Belles âmes

Le 1er septembre, il a plu. Les feuilles de palmier s’agitaient comme des ailes d’oiseaux, les oliviers brillaient d’un vert magnifique, les fleurs de basilic et de jasmin reflétaient la légère lumière des rayons de soleil, et les enfants souriaient dans les tentes délabrées.

Nous continuons à croire que ce génocide prendra fin très bientôt.

Nous espérons et prions chaque jour pour revivre vraiment, car nous sommes en train de mourir dans des conditions tellement terribles.

Nos vies ont été volées, mais nos âmes restent belles. Nous sourions lorsque nous voyons quelqu’un, quelque part, n’importe où, hisser le drapeau de la Palestine dans une rue ou dans un stade de football, ou une mère mettre des keffiehs autour du cou de ses enfants et des gens parler de nous comme s’ils faisaient partie de nous.

Et c’est certainement le cas.

Bien qu’ils aient été privés de leur récolte l’année dernière, les agriculteurs de Deir al-Balah ont réussi à sauver quelques plantes et arbres et s’apprêtent à récolter leurs fruits ce mois-ci. Octobre est le mois des récoltes, une période où l’on voit des grappes de dattes et des seaux d’olives partout.

Et cette année, malgré le génocide, nous vivrons les mêmes jours. Nous allons simplement retrouver notre euphorie et notre joie.

J’ai un rosier jaune, un jasmin, du basilic de chez nous, deux palmiers et trois oliviers dans mon jardin. C’est ainsi que je définis l’espoir.

Dans chaque maison de mon quartier, et même de ma ville, il y a des plantes, des oliviers et des palmiers.

Nos âmes sont belles, tout comme Deir al-Balah et Gaza. C’est la réalité que le monde entier doit connaître.

Article original en anglais sur The Electronic Intifada / Traduction Chris & Dine

L’auteur :

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Abubaker Abed est journaliste et traducteur du camp de réfugiés Deir al-Balah à Gaza. Son compte X : @AbubakerAbedW

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