Personne n’est en sécurité : la menace mondiale des bipeurs militarisés d’Israël

Mohamad Hasan Sweidan, 20 septembre 2024. Les attaques coordonnées d’Israël contre le Liban, marquées par l’explosion quasi simultanée de milliers de bipeurs et de talkies-walkies pendant deux jours, ont entraîné la mort d’au moins 37 personnes, dont des enfants, et fait des milliers de blessés graves.

Cette attaque terroriste brutale devrait servir d’avertissement au monde : un rappel brutal que les actions criminelles de l’État occupant ne connaissent pas de limites, ciblant sans discrimination ceux qui défient ses intérêts ou ceux de ses alliés occidentaux.

Au lendemain de cette agression, qui peut garantir que les exportations israéliennes vers d’autres pays ne seront pas utilisées comme armes dans de futurs conflits ? L’« attaque aux bipeurs » est une preuve supplémentaire qu’Israël représente une menace mondiale, inaugurant une nouvelle ère dangereuse et dystopique dans laquelle les civils ne sont plus en sécurité, même chez eux.

Acte terroriste ou crime de guerre ?

En analysant les détonations de bipeurs d’un point de vue juridique, il devient clair que le massacre israélien au Liban cette semaine se situe quelque part entre un crime de guerre et un acte de terrorisme. La classification juridique dépend de l’état actuel des relations entre le Liban et Israël. Si le Liban est considéré comme étant en guerre avec Israël, le ciblage de civils – non-combattants – par le bombardement de bipeurs viole de manière flagrante les lois internationales de la guerre, y compris les Conventions de Genève.

L’article 51 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève (1949) interdit strictement les attaques indiscriminées contre des civils, et l’article 85 qualifie les attaques contre des civils d’infractions graves qui constituent des crimes de guerre. Dans ce cas, nous devons identifier qui est qualifié de « combattant » au regard du droit international humanitaire.

Un combattant est défini comme une personne sous commandement militaire, portant un uniforme distinctif et portant ouvertement des armes. Sans ces marqueurs, les personnes ciblées par l’attaque au bipeur sont considérées comme des civils au regard du droit international.

De plus, cette attaque viole les principes de distinction et de proportionnalité, principes fondamentaux du droit international humanitaire. Le principe de distinction impose de distinguer les combattants des civils, une règle clairement ignorée dans les attaques israéliennes, comme en témoignent les morts d’enfants.

Le principe de proportionnalité interdit les attaques lorsque les dommages causés aux civils sont excessifs par rapport à l’avantage militaire obtenu. Dans ce cas, l’impact militaire minime est insignifiant par rapport au bilan dévastateur pour les civils, y compris les dommages psychologiques et moraux infligés. Par conséquent, l’adoption par Israël d’une stratégie de violence aveugle lors de sa récente agression contre le Liban constitue un crime de guerre.

Le Guardian note qu’un demi-siècle après la Seconde Guerre mondiale, un traité mondial – dont Israël est signataire – est entré en vigueur, qui « interdit en toutes circonstances l’utilisation de pièges ou d’autres dispositifs sous la forme d’objets portables apparemment inoffensifs, spécifiquement conçus et construits pour contenir des matières explosives ».

« Terrorisme » selon toutes les définitions

Cependant, si l’on considère que le Liban n’est pas en état de guerre formel avec Israël, l’agression relève d’une classification juridique différente : le terrorisme.

Selon la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif (1997), les actions d’Israël peuvent être qualifiées d’« attentat terroriste ». L’utilisation d’appareils civils, comme des bipeurs, dans des zones non militaires dans le but de répandre la peur est conforme à la définition du terrorisme donnée par la convention, qui criminalise l’utilisation illégale d’explosifs pour cibler des civils ou des infrastructures dans le but d’intimider les populations ou de contraindre les gouvernements.

La Déclaration de l’Assemblée générale des Nations Unies sur les mesures visant à éliminer le terrorisme international (1994) définit le terrorisme comme tout acte visant à causer la mort ou des blessures graves à des civils dans le but d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à agir. En conséquence, les attentats au bipeur visaient à intimider les Libanais et la résistance ou à les forcer à faire des concessions, ce qui est conforme à la définition du terrorisme selon le droit international coutumier.

Hier, la vice-première ministre belge Petra De Sutter a condamné « l’attaque terroriste massive » au Liban et en Syrie, tandis que Volker Türk, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a écrit dans un communiqué que l’attaque « viole le droit international des droits de l’homme et, dans la mesure où elle est applicable, le droit international humanitaire ».

Un impact sur les exportations israéliennes ?

L’attaque au bipeur d’Israël a également suscité des inquiétudes mondiales quant à la sécurité des chaînes d’approvisionnement internationales. Si Israël a effectivement commencé à militariser des appareils civils par l’intermédiaire de tiers dans d’autres pays, cela soulève la perspective terrifiante que des chaînes d’approvisionnement autrefois considérées comme sûres puissent être compromises à tout moment.

Dans une interview avec India Today TV, un technologue a exprimé sa crainte que les actions d’Israël puissent entraîner des risques similaires dans d’autres pays, créant la possibilité que des appareils électroniques piégés s’infiltrent dans des foyers du monde entier.

Les implications sont profondes : les actions d’Israël signalent un nouveau niveau de risque pour le commerce mondial, où des produits civils peuvent être contrefaits à des fins politiques ou militaires. Ce qui était autrefois une question de conflit entre États constitue désormais une menace pour les ménages individuels.

L’attaque des bipeurs est également susceptible d’avoir un impact sur les exportations des progrès technologiques encensés d’Israël. De toute évidence, la confiance dans ces industries à l’échelle mondiale va diminuer de manière significative, les observateurs ayant déjà commenté la probabilité d’une infiltration israélienne – ‘portes dérobées’, fonctions de contrôle et logiciels espions – dans leurs lignes de produits d’exportation.

Alors que Tel-Aviv se félicite de ce qu’elle considère comme un succès tactique israélien majeur au Liban cette semaine, elle ne réalise peut-être pas encore qu’elle a commis un échec stratégique encore plus grand.

En 2023, les industries de haute technologie représentaient 20 % du PIB israélien. Le volume du PIB du secteur de la haute technologie en 2022 s’élevait à 290 milliards de NIS, soit environ 76 milliards de dollars. En 2023, l’industrie de haute technologie représentait 53 % du total des exportations d’Israël. Mais si l’« attaque des bipeurs » réussit à éroder la confiance mondiale dans les offres technologiques d’Israël, cela constituera un coup stratégique majeur pour l’économie de l’État d’occupation.

Nous sommes tous en danger

Gold Apollo, le fabricant taïwanais de la marque impliquée dans les bipeurs explosifs, a publié une déclaration dans laquelle il se distancie de la controverse. Bien que les bipeurs portent son nom, Gold Apollo a affirmé qu’il n’avait aucune implication dans la fabrication proprement dite.

Les appareils en question, des « pagers » AR-924, auraient été fabriqués par BAC Consulting KFT, un intermédiaire commercial basé à Budapest autorisé à utiliser la marque Gold Apollo. Gold Apollo a souligné que BAC était responsable de la conception et de la fabrication.

Le porte-parole du gouvernement hongrois, Zoltán Kovacs, a également nié toute connaissance de la fabrication des bipeurs en Hongrie, affirmant que BAC Consulting KFT n’y avait aucune installation d’exploitation. De plus, Cristiana Bársony-Arcidiacono, PDG de BAC Consulting, a nié toute implication dans la production réelle des bipeurs. Dans une interview avec NBC News, elle a expliqué : « Je ne fabrique pas les bipeurs. Je suis juste l’intermédiaire. Je pense que vous vous trompez. »

Malgré ces déclarations contradictoires, le ministère taïwanais des Affaires économiques a confirmé que de début 2022 à août 2024, Gold Apollo a exporté plus de 260.000 bipeurs, principalement vers les marchés européens et américains, ce qui soulève de nouvelles questions sur la chaîne d’approvisionnement opaque et le rôle d’intermédiaires comme BAC Consulting.

Il va sans dire que si Israël continue à agir sans contrôle, le monde pourrait être confronté à un avenir où aucun appareil de communication, aucun gadget électronique et aucune infrastructure technologique ne sont véritablement à l’abri du sabotage.

Stratégie de contre-résistance

La stratégie à haut risque et d’escalade d’Israël contre le Liban semble viser à forcer le Hezbollah à cesser de soutenir Gaza tout en imposant de nouvelles règles qui favorisent les intérêts sécuritaires israéliens. Cette tactique, qui évolue en fonction des représailles du Hezbollah, menace de modifier l’équilibre des forces dans la région. Les attaques par bipeurs ne sont peut-être que le début d’un plan plus vaste visant à utiliser des infiltrations technologiques et sécuritaires pour perturber la résistance et semer la peur dans sa base de soutien populaire.

La réponse du Hezbollah a été sans équivoque : le secrétaire général Hassan Nasrallah a promis dans son discours télévisé de jeudi que l’organisation infligerait « un châtiment sévère et une punition juste, là où il [Israël] l’attend et là où il ne l’attend pas ». Le chef de la résistance libanaise a également ajouté : « Nous avons reçu des messages selon lesquels l’objectif de cette frappe est de mettre fin aux combats sur le front libanais, et des menaces selon lesquelles il y en aura davantage si nous ne cessons pas », mais il a conclu en avertissant Tel-Aviv que le Hezbollah ne cessera en aucun cas de soutenir la résistance à Gaza.

Ce changement dans les règles d’engagement, où les civils sont pris pour cible non seulement sur le champ de bataille mais aussi dans leurs maisons, menace de plonger le monde dans une nouvelle ère d’insécurité et d’incertitude. Les gouvernements comme les citoyens doivent désormais faire face à la possibilité que le prochain appareil qu’ils achèteront puisse être utilisé contre eux, alors que l’agression d’Israël dépasse la guerre traditionnelle pour entrer dans le domaine du terrorisme mondial.

La détermination de la résistance à riposter a clairement montré que la confrontation avec Israël va s’intensifier et que le monde doit décider comment répondre à une menace croissante qui transcende les frontières et affecte chaque citoyen. L’avenir dépend de la rapidité et de l’efficacité avec laquelle le monde civilisé pourra agir pour empêcher de nouvelles atrocités, mais pour ce faire, il doit d’abord dissuader Israël – qui donne naissance à l’arsenalisation des technologies grand public – en le punissant.

Article original en anglais sur The Cradle / Traduction MR

A propos de l’auteur : Mohamed Sweidan est chercheur en études stratégiques, écrivain pour différentes plateformes médiatiques et auteur de plusieurs études dans le domaine des relations internationales. Mohamed se concentre principalement sur les affaires russes, la politique turque et la relation entre la sécurité énergétique et la géopolitique. Son compte X : @mhmdsweidan