Bienvenue en Enfer – Le système pénitentiaire israélien en tant que réseau de camps de torture. Août 2024. Résumé

B’Tselem, août 2024. « Lorsque nous sommes descendus du bus, un soldat nous a dit : ‘Bienvenue en enfer’. »

Extrait du témoignage de Fouad Hassan, 45 ans, père de cinq enfants et habitant de Qusrah dans le district de Naplouse, qui était détenu à la prison de Megiddo. Lire son témoignage complet ici

Ce rapport porte sur le traitement des prisonniers palestiniens et les conditions inhumaines auxquelles ils sont soumis dans les prisons israéliennes depuis le 7 octobre 2023. Les recherches de B’Tselem pour ce rapport ont notamment consisté à recueillir les témoignages de 55 Palestiniens qui ont été incarcérés dans des prisons et des centres de détention israéliens pendant cette période. Trente des témoins sont des résidents de Cisjordanie, y compris de Jérusalem-Est ; 21 sont des résidents de la bande de Gaza ; et quatre sont des citoyens israéliens.(1) Les témoins ont donné leurs témoignages à B’Tselem après leur libération de prison, la grande majorité d’entre eux sans avoir été jugés.

Les témoignages indiquent clairement une politique systémique et institutionnelle axée sur les abus et la torture continus de tous les prisonniers palestiniens détenus par Israël 

Actes fréquents de violence grave et arbitraire ; agressions sexuelles ; humiliation et dégradation, famine délibérée ; conditions insalubres forcées ; privation de sommeil, interdiction et mesures punitives pour le culte religieux ; confiscation de tous les biens communs et personnels ; et refus de traitement médical adéquat – ces descriptions apparaissent à maintes reprises dans les témoignages, avec des détails horribles et des similitudes effrayantes.

Au fil des ans, Israël a incarcéré des centaines de milliers de Palestiniens dans ses prisons, qui ont toujours servi, avant tout, d’outil d’oppression et de contrôle de la population palestinienne. Les histoires présentées dans ce rapport sont celles de milliers de Palestiniens, résidents des Territoires occupés et citoyens d’Israël, qui ont été arrêtés depuis le début de la guerre, ainsi que celles des Palestiniens déjà incarcérés le 7 octobre qui ont subi l’augmentation massive de l’hostilité des autorités pénitentiaires depuis ce jour. (2)

Début juillet 2024, 9.623 Palestiniens étaient détenus dans les prisons et centres de détention israéliens, soit presque le double du nombre juste avant le début de la guerre. Parmi eux, 4.781 ont été détenus sans procès, sans avoir été informés des accusations portées contre eux et sans avoir accès au droit de se défendre, ce qu’Israël appelle la « détention administrative ». (3) Certains ont été emprisonnés simplement pour avoir exprimé leur sympathie pour la souffrance des Palestiniens. D’autres ont été placés en détention pendant une activité militaire dans la bande de Gaza, au seul motif qu’ils correspondaient à la vague définition d’« hommes en âge de combattre ». Certains ont été emprisonnés sur la base de soupçons, fondés ou non, selon lesquels ils étaient des agents ou des partisans de groupes armés palestiniens. Les prisonniers forment un large éventail de personnes de différentes régions, avec des opinions politiques variées et un seul point commun : être Palestiniens.

Les témoignages des prisonniers révèlent les résultats d’un processus hâtif au cours duquel plus d’une douzaine de prisons israéliennes, militaires et civiles, ont été transformées en un réseau de camps dédiés aux abus des détenus. De tels espaces, dans lesquels chaque détenu est intentionnellement condamné à des souffrances intenses et incessantes, fonctionnent de facto comme des camps de torture.

Les abus décrits de manière constante dans les témoignages de dizaines de personnes détenues dans différentes installations étaient si systématiques qu’il n’y a aucune raison de douter d’une politique organisée et déclarée (4) des autorités pénitentiaires israéliennes. Cette politique est mise en œuvre sous la direction du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, dont le bureau supervise le Service pénitentiaire israélien (IPS), avec le soutien total du gouvernement israélien et du Premier ministre Benjamin Netanyahu.

L’attaque odieuse du Hamas et d’autres organisations armées palestiniennes le 7 octobre et le ciblage généralisé de civils ont profondément traumatisé la société israélienne, suscitant des craintes tenaces et un désir de vengeance chez beaucoup. Pour le gouvernement et le ministre Ben Gvir, cela a fourni une occasion d’ancrer plus durement leur idéologie raciste en utilisant les mécanismes oppressifs à leur disposition. Parmi ceux-ci, le système pénitentiaire, pour lequel ils ont conçu une politique visant à piétiner les droits fondamentaux des prisonniers palestiniens. Le 18 octobre, le ministre responsable a déclaré un « état d’urgence dans les prisons » dans le cadre de la législation d’urgence (5), ce qui a entraîné une violation grave et substantielle des droits humains les plus fondamentaux des prisonniers palestiniens. Koby Yaakobi, un proche collaborateur du ministre Ben Gvir, qui l’a nommé commissaire de l’IPS au plus fort de la guerre, a déclaré son intention de « révolutionner » l’IPS conformément aux politiques du ministre dès sa prise de fonctions, en faisant de la dégradation des conditions carcérales une priorité absolue.(6)

Comme le révèlent les témoignages, la nouvelle politique est appliquée dans tous les établissements pénitentiaires et à tous les prisonniers palestiniens. Parmi ses principaux principes figurent la violence physique et psychologique incessante, le refus de soins médicaux, la famine, la privation d’eau, la privation de sommeil et la confiscation de tous les effets personnels. Le tableau général montre des abus et des tortures perpétrés sur ordre, au mépris total des obligations d’Israël en vertu du droit national et du droit international.

Un indicateur clair de la gravité de la situation et de la dégradation morale du système pénitentiaire israélien peut être observé dans le nombre de prisonniers palestiniens morts en détention israélienne – pas moins de 60. Le rapport comprend des témoignages donnés à B’Tselem concernant trois de ces décès. Thaer Abu ‘Asab, un homme de 38 ans de Qalqiliyah détenu dans la prison du Néguev (Ketziot), a été retrouvé mort dans sa cellule le 18 novembre 2023. Son corps portait de graves traces de violence.(7) ‘Arafat Hamdan, un diabétique de 24 ans de Beit Beit Sira qui dépendait de traitements à l’insuline, a été retrouvé mort dans sa cellule le 24 octobre 2023, deux jours après son arrestation. Les témoignages révèlent qu’il s’est vu refuser un traitement médical approprié. Muhammad a-Sabbar, un jeune homme de 20 ans de la ville d’a-Dhahiriyah qui souffrait d’une maladie intestinale nécessitant un régime alimentaire spécial, est décédé à la prison d’Ofer le 8 février, selon des témoignages, en raison d’un manque de nutrition adéquate, de soins médicaux médiocres et d’un mépris flagrant pour son état.

La transition de ce qui semble avoir été au départ des actes spontanés de vengeance à un régime permanent et systématique dépouillant de toutes les protections destinées à défendre et à garantir les droits les plus fondamentaux des prisonniers palestiniens a été rendue possible lorsque le gouvernement a exploité ses pouvoirs pour promulguer des « réglementations d’urgence » draconiennes et préjudiciables et les a appliquées en violation scandaleuse et flagrante de multiples normes et obligations en vertu du droit israélien, du droit international des droits de l’homme, des lois de la guerre et du droit humanitaire. Ces violations incluaient la commission généralisée, systématique et prolongée du crime de torture.(8) Tout aussi important, par ces actions, Israël piétine la morale humaine fondamentale ainsi que les droits de l’homme les plus protégés des prisonniers détenus par l’État.

Les gardiens de la justice, comme la Haute Cour de justice et le bureau du procureur général, chargés de faire respecter l’État de droit et de protéger les droits de l’homme, se sont inclinés devant le programme de Ben Gvir et ont permis que les abus et la déshumanisation totale de ces prisonniers deviennent la prémisse du fonctionnement de l’ensemble du système. Le résultat est un système spécialisé dans la torture et les abus, où, à tout moment, des milliers de Palestiniens sont maintenus derrière les barreaux, la plupart sans procès, et le tout dans des conditions inhumaines.

Témoignages de l’intérieur : La réalité dans les camps de torture israéliens

Les témoignages recueillis par B’Tselem révèlent les conditions suivantes, répandues, constantes et généralisées.

Surpopulation et surpeuplement dans les cellules : Les témoignages indiquent que le taux d’occupation des cellules a plus que doublé. Les cellules prévues pour six prisonniers en abritaient 12 à 14 à la fois, les détenus « excédentaires » étant obligés de dormir par terre, parfois sans matelas ni couverture.

« Après le 7 octobre 2023, […] l’administration pénitentiaire nous a régulièrement punis collectivement. La première chose a été d’augmenter le nombre de prisonniers dans chaque cellule de six à 14. Cela signifiait une intimité réduite et une attente beaucoup plus longue pour utiliser les toilettes dans la cellule. De plus, les nouveaux détenus qui arrivaient dans la cellule devaient dormir par terre, car il n’y avait que trois lits superposés. »

D’après le témoignage de S.B., un habitant de Jérusalem-Est. Lire son témoignage complet ici

Pas de soleil et pas d’air pour respirer : certains prisonniers se sont retrouvés enfermés dans leurs cellules toute la journée ; d’autres étaient autorisés à sortir une heure tous les deux ou trois jours pour prendre une douche. Certains n’ont jamais vu la lumière du jour pendant leur séjour en prison.

« Il nous était également interdit de sortir dans la cour, contrairement à avant. Pendant 191 jours, je n’ai pas vu le soleil. »

D’après le témoignage de Thaer Halahleh, 45 ans, père de quatre enfants et habitant de Kharas dans le district d’Hébron, qui a été détenu dans les prisons d’Ofer et de Nafha. Lire son témoignage complet ici

Appels violents, fréquence accrue : Selon les témoignages, les appels et/ou les fouilles de cellules ont lieu trois à cinq fois par jour. Dans la plupart des cas, les détenus étaient obligés de se regrouper, face au mur, la tête penchée vers le sol et les mains croisées sur la nuque, dans certains cas à genoux en prosternation comme pendant la prière. Ces pratiques ne remplissent plus leur but initial et sont devenues une occasion pour les gardiens de prison de déchaîner une violence grave et un autre outil pour humilier et dégrader les prisonniers.

« Nous étions comptés trois fois par jour. Cela se faisait de manière humiliante, avec les gardiens qui criaient. L’unité arrivait lourdement armée de gaz et de matraques. […] Il y avait aussi une politique de punition collective et des fouilles aléatoires des cellules environ une fois par semaine. Ils nous forçaient à nous déshabiller puis nous fouillaient, nous faisaient sortir des cellules dans le couloir et faisaient une fouille minutieuse de la pièce. Cela pouvait durer une heure, voire plusieurs heures, et impliquait des cris, des agressions et des coups de matraque. »

D’après le témoignage de Muhammad Srur, 34 ans, père de deux enfants et habitant de Ni’lin dans le district de Ramallah, qui a été détenu au centre de détention d’Etzion et dans les prisons d’Ofer et de Nafha. Lire son témoignage complet ici

Refus d’accès aux tribunaux, aux organismes d’aide et aux avocats : Comme le permet la réglementation d’exception (9), la grande majorité des témoins ont attendu des jours, des semaines et dans certains cas des mois avant d’être présentés devant un juge pour la première fois, et même dans ce cas, les audiences se déroulaient à distance via Zoom. La présence menaçante des gardiens de prison empêchait les prisonniers de se plaindre aux juges ou de signaler les tortures qu’ils subissaient.

« Ils nous ont emmenés un par un dans une salle où nous avons assisté à nos audiences via Zoom. Sur le chemin, des membres de l’IRF m’ont frappé très fort à la poitrine. Un gardien parlant arabe était dans la salle et a écouté toute la conversation entre moi, le juge et l’avocat. Il m’a menacé de payer cher si je me plaignais au juge. L’avocat m’a dit avant l’audience que les juges étaient déjà au courant de tout ce qui se passait dans la prison et qu’il était donc inutile d’en parler. Pourtant, lors de l’audience, il m’a demandé : « Avez-vous été exposé à la violence en prison ? » Je n’ai pas osé répondre, car j’avais peur que les gardiens se vengent et me battent encore plus brutalement. […] Chaque fois qu’ils m’emmenaient dans la salle où nous assistions à nos audiences au tribunal sur Zoom, j’endurais le même séisme de torture, de coups et d’humiliations. Tous les détenus de la prison ont subi cela. »

Extrait du témoignage de Firas Hassan, 50 ans, père de quatre enfants et habitant Hindaza dans le district de Bethléem, qui a été détenu dans la prison du Néguev (Ketziot). Lire son témoignage complet ici

Les entretiens avec les avocats ont été refusés pendant des durées de plus en plus longues, atteignant jusqu’à 180 jours, sous prétexte de « besoins dynamiques sur le terrain ».(10) La plupart des témoins interrogés pour ce rapport n’ont pas vu leur avocat une seule fois pendant toute leur incarcération. Ils ont également été empêchés de rencontrer des représentants du CICR, des organisations humanitaires et de défense des droits de l’homme, du Bureau du Défenseur public (11) ou d’autres organismes officiels de contrôle.(12)

Confiscation des effets personnels : L’une des toutes premières mesures prises par les autorités pénitentiaires dès le début de la guerre a été de confisquer tous les effets personnels et communs que les prisonniers palestiniens gardaient dans leurs cellules.

« Nous n’avions pas d’autres vêtements que ceux que nous portions, nous ne pouvions donc pas les changer ni les laver. Nous portions les mêmes vêtements tout le temps. Ils effectuaient une fouille tous les jours, et s’ils trouvaient un autre vêtement, ils le confisquaient. Ils effectuaient également des fouilles aléatoires la nuit et prenaient tout ce qu’ils trouvaient. Un prisonnier est resté avec les mêmes vêtements pendant 51 jours. »

D’après le témoignage de Sami Khalili, 41 ans, un habitant de Naplouse qui purgeait une peine de prison depuis 2003 et était détenu à la prison du Néguev (Ketziot). Lire son témoignage complet ici

Violences physiques et psychologiques incessantes

Depuis le 7 octobre, les autorités pénitentiaires ont multiplié les violences institutionnelles contre les prisonniers palestiniens. Des témoignages attestent de violences physiques, sexuelles, psychologiques et verbales, dirigées contre tous les prisonniers palestiniens et perpétrées de manière arbitraire et menaçante, généralement sous le couvert de l’anonymat.

L’ampleur des violences qui ressort des témoignages montre qu’il ne s’agit pas d’incidents isolés et aléatoires, mais plutôt d’une politique institutionnelle faisant partie intégrante du traitement des prisonniers.

Violences physiques et intimidations : gaz lacrymogène, grenades assourdissantes, bâtons, matraques en bois et en métal, crosses et canons de fusils, poings américains et tasers, chiens d’attaque, coups, coups de poing et coups de pied – ce ne sont là que quelques-unes des méthodes utilisées pour torturer et maltraiter les prisonniers, selon les témoignages. Ces agressions ont été décrites comme faisant partie de la vie quotidienne en prison et ont souvent entraîné des blessures graves, des pertes de connaissance, des fractures osseuses et, dans les cas extrêmes, même la mort.

« Je me suis appuyé contre un mur. J’avais des côtes cassées et j’étais blessé à l’épaule droite, au pouce droit et à un doigt de la main gauche. Je n’ai pas pu bouger ni respirer pendant une demi-heure. Tout le monde autour de moi hurlait de douleur et certains détenus pleuraient. La plupart saignaient. C’était un cauchemar indescriptible. »

Extrait du témoignage d’Ashraf al-Muhtaseb, 53 ans, père de cinq enfants et habitant le district d’Hébron, qui a été détenu dans le centre de détention d’Etzion et dans les prisons d’Ofer et du Néguev (Ketziot). Lire son témoignage complet ici

« Nous vivions dans la peur et la panique. Les seules expressions que nous voyions sur les visages des gardes et des forces spéciales étaient la colère et la vengeance. Même pendant l’appel, ils narguaient les prisonniers en pointant des rayons laser sur eux. Ils voulaient juste que le prisonnier ouvre la bouche pour pouvoir se jeter sur lui, le frapper et l’écraser. »

D’après le témoignage de Khaled Abu ‘Ara, 24 ans, un habitant de ‘Akabah dans le district de Tubas, qui a été détenu à la prison du Néguev (Ketziot).

Violences extrêmes lors des transferts et des déplacements : Les témoignages attestent de violences graves contre les détenus lors des transferts : que ce soit entre les établissements pénitentiaires, dans les salles d’attente des prisons utilisées comme points de passage avant l’admission en prison ou lors des déplacements hors de celle-ci (également appelées « transitions »), et parfois lors des transitions entre les ailes et d’autres zones à l’intérieur de la prison elle-même.

Privation de sommeil : La privation de sommeil faisait partie intégrante des abus quotidiens infligés aux détenus. Dans certains cas, l’éclairage des cellules est allumé toute la nuit ; dans d’autres, les gardiens diffusent de la musique forte ou des sons désagréables pour empêcher les détenus de dormir. Ces actes s’apparentent parfois à de véritables actes de torture.

« Le lendemain, deux gardiens sont venus et m’ont emmené dans une cellule de 1,5 m² sans toilettes. J’y suis resté seul pendant plus de trois mois. […] La lumière était allumée 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et j’ai perdu la notion du temps. Je ne savais pas quelle heure il était ni quel jour on était. Je n’avais personne à qui parler. J’ai failli devenir fou là-bas. »

Extrait du témoignage de M.A., district d’Hébron. Lire son témoignage complet ici

Violences sexuelles : Plusieurs témoignages ont révélé des violences sexuelles répétées, à des degrés divers de gravité, de la part de soldats ou de gardiens de prison contre des détenus palestiniens. Les témoins ont décrit des coups sur les parties génitales et d’autres parties du corps de prisonniers nus ; l’utilisation d’outils en métal et de matraques pour provoquer des douleurs génitales ; la prise de photos de prisonniers nus ; des saisies des parties génitales ; et des fouilles à nu pour les humilier et les dégrader. Les témoignages révèlent également des cas de violences sexuelles en bande organisée et d’agressions commises par un groupe de gardiens de prison ou de soldats.

« Nous avons été emmenés dans une pièce où se trouvaient beaucoup de vêtements, de chaussures, de bagues et de montres éparpillés. Nous avons été déshabillés et avons même dû retirer nos sous-vêtements. Nous avons été fouillés avec un détecteur de métaux portatif. Ils nous ont forcés à écarter les jambes puis à nous asseoir à moitié accroupis. Puis ils ont commencé à nous frapper sur nos parties intimes avec le détecteur. Ils nous ont asséné des coups. Puis ils nous ont ordonné de saluer un drapeau israélien accroché au mur. »

D’après le témoignage de Sami Khalili, 41 ans, de Naplouse, qui purgeait une peine de prison depuis 2003 et était détenu à la prison du Néguev (Ketziot). Lire son témoignage complet ici

Un témoignage particulièrement grave, cité longuement dans le rapport, décrit la tentative de viol anal avec un objet étranger sur un détenu palestinien par plusieurs gardiens de prison. Des incidents similaires ont été mentionnés dans d’autres témoignages.

Absence et refus de soins médicaux

De nombreux témoins ont déclaré que les gardiens de prison et le personnel médical des centres de détention et des prisons s’abstenaient de fournir des soins médicaux essentiels ou refusaient de le faire, même dans des situations mettant leur vie en danger. Dans certains cas, les médecins et autres membres du personnel médical ont avoué aux prisonniers qu’ils avaient reçu des instructions de ne pas fournir de soins ni de médicaments aux détenus, même lorsque le traitement en question était vital.

Le refus de soins médicaux et le traitement inapproprié des patients ont souvent eu des conséquences horribles, causant des blessures à long terme. On peut citer comme exemple le témoignage de Sufian Abu Saleh, un homme de 43 ans originaire de Gaza, qui était détenu dans le centre de détention militaire de Sde Teiman. La jambe d’Abu Saleh a dû être amputée en raison de blessures causées par la violence des soldats, les conditions d’incarcération, les soins inadéquats et l’indifférence du personnel de l’établissement.

Privation de nourriture et famine

La réduction des quantités de nourriture fournies aux prisonniers palestiniens et la limitation de l’apport calorique font partie de la nouvelle politique déclarée par le ministre de la Sécurité nationale lors de sa prise de fonctions.(13) Les témoins ont parlé de la faim extrême qu’ils étaient obligés d’endurer et de la mauvaise qualité de la nourriture, qui était souvent mal cuite ou périmée. La politique de famine affectait la santé et la forme physique des prisonniers. Le manque profond de nourriture entraînait une perte de poids importante, atteignant parfois des dizaines de kilos.

« La nourriture était horrible, tant en quantité qu’en qualité. On nous donnait des portions qui ne satisfaisaient personne. La plupart du temps, la nourriture était pourrie, par exemple les œufs et les yaourts. Un jour, lorsqu’un détenu de la cellule voisine de la nôtre a demandé à changer son yaourt parce que la date de péremption était dépassée, ils ont puni tous les détenus de la cellule : ils ont lâché des chiens sur eux, les ont battus avec des matraques, les ont traînés dans les toilettes et les ont tabassés. Le lendemain, je pouvais encore voir leur sang sur le sol. »

D’après le témoignage de Hisham Saleh, 38 ans, un habitant d’a-Sawiyah dans le district de Naplouse, qui a été détenu à la prison d’Ofer. Lire son témoignage complet ici

Hygiène et coupure de l’eau

Des témoins ont raconté qu’ils avaient été contraints de vivre dans la saleté pendant leur incarcération, en raison de la confiscation générale des produits de toilette, de nettoyage et de lessive, de la coupure de l’eau dans les cellules et de l’accès limité aux douches qui n’étaient pas prévues pour un si grand nombre de prisonniers. Dans de nombreux cas, les réservoirs des toilettes n’avaient de l’eau courante qu’une heure par jour.

Les cellules des prisons étaient devenues un danger sanitaire et impropres à l’utilisation humaine. Ces conditions ont conduit au développement et à la propagation de maladies et de divers problèmes de santé.

« Nous avions l’impression que notre corps pourrissait à cause de la saleté. Certains d’entre nous avaient des éruptions cutanées. Il n’y avait aucune hygiène. Il n’y avait pas de savon, de shampoing, de brosses à cheveux ou de coupe-ongles. Au bout d’un mois et demi, nous avons eu du shampoing pour la première fois. Il n’y avait pas non plus de produits de nettoyage et il était impossible de nettoyer la cellule ou les toilettes, ou de laver les vêtements. »

D’après le témoignage de Muhammad Srur, 34 ans, père de deux enfants et habitant de Ni’lin dans le district de Ramallah, qui a été détenu dans le centre de détention d’Etzion et dans les prisons d’Ofer et de Nafha. Lire son témoignage complet ici

« Les robinets d’eau froide dans les cellules ne fonctionnaient qu’une heure par jour, de 14h30 à 15h30. On ne pouvait utiliser les toilettes – qui se trouvent à l’intérieur de la cellule – que pendant cette heure, car sinon, il était impossible de tirer la chasse d’eau. Mais parfois, les gens ne pouvaient pas se retenir et c’était dégoûtant, ça provoquait de mauvaises odeurs et de mauvaises conditions d’hygiène. »

D’après le témoignage de Z.A., Jérusalem-Est. Lire son témoignage complet ici

Keter – la Force de réaction initiale (IRF) du Service pénitentiaire israélien

Parmi les unités spéciales de l’IPS, la Force de réaction initiale (IRF), connue en hébreu sous le nom de Keter, qui opére dans les prisons du Néguev (Ketziot) et d’Ofer, figure en bonne place dans les témoignages donnés à B’Tselem. Deux témoins l’ont qualifiée d’« escadron de la mort ». (14)

Les témoignages recueillis auprès de B’Tselem montrent que l’IRF est fortement impliquée dans la torture et les abus physiques, sexuels et mentaux sur les prisonniers depuis le 7 octobre. Selon les témoins, le personnel de l’IRF porte des masques et des uniformes noirs sans étiquette d’identification. Ils sont armés de matraques et d’armes à feu, et souvent accompagnés de chiens. Dans un cas, l’unité aurait utilisé une grenade assourdissante. Impossibles à identifier et sûrs de ne pas avoir à subir de conséquences pour leurs actes, les membres de l’unité ont fait usage d’une violence éhontée et débridée qui équivaut à des abus et à de la torture.

Le projet d’incarcération du régime d’apartheid israélien

L’histoire du projet d’incarcération d’Israël n’a pas commencé le 7 octobre, ni avec la nomination d’Itamar Ben Gvir au poste de ministre de la Sécurité nationale. On ne peut pleinement comprendre la situation actuelle, aussi horrible soit-elle, sans examiner le rôle clé que ce projet a joué dans l’oppression sociale et politique de la collectivité palestinienne au fil des ans. Le système carcéral est l’un des nombreux moyens de contrôle et d’oppression utilisés par le régime d’apartheid israélien pour préserver la suprématie juive entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Depuis des décennies, Israël a utilisé l’incarcération de centaines de milliers de Palestiniens de tous horizons pour saper et défaire le tissu social et politique qui lie la population palestinienne. Selon diverses estimations, depuis 1967, Israël a emprisonné plus de 800.000 hommes et femmes palestiniens de Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et de la bande de Gaza, ce qui représente environ 20 % de la population totale et 40 % de tous les hommes palestiniens.(15)

L’ampleur de ce projet d’incarcération signifie qu’il n’y a pratiquement aucune famille palestinienne sans un membre qui soit passé par le système carcéral israélien. Ce projet est sous-tendu par la même logique répressive que l’on retrouve ailleurs dans l’apartheid israélien. Ici aussi, les Palestiniens sont complètement déshumanisés et traités comme une masse homogène, sans visage, dépouillée de toute identité individuelle. Tous sont considérés comme des « animaux humains » et des « terroristes » simplement parce qu’ils sont derrière les barreaux, que leur détention soit justifiée ou arbitraire, légale ou non. C’est ainsi que les abus et la dégradation dont ils sont victimes, ainsi que la violation de leurs droits, deviennent acceptables.

Le projet d’incarcération est l’une des manifestations les plus brutales et les plus extrêmes du système de contrôle israélien sur les Palestiniens. Les prisonniers libérés qui ont parlé à B’Tselem pour ce rapport ont décrit un large éventail de mesures utilisées pour le contrôle et l’oppression. La valeur de leurs témoignages dépasse le simple fait de rendre compte de la réalité effroyable qui règne dans les prisons et les centres de détention israéliens depuis le 7 octobre. Ils ouvrent une fenêtre sur une réalité bien plus vaste.

Étant donné la fonction politique que remplit le système pénitentiaire israélien, dans le contexte de la déshumanisation accélérée des Palestiniens dans le discours israélien, d’un gouvernement radicalement de droite, d’un système judiciaire faible qui se laisse guidé par l’opinion publique et d’un ministre en charge des prisons qui s’enorgueillit de violer les droits de l’homme, ce système est devenu un instrument d’oppression généralisée, systématique et arbitraire des Palestiniens par la torture.

Les témoignages présentés dans ce rapport montrent comment les prisons israéliennes ont été transformées en un réseau de camps de torture.

Étant donné la gravité des actes, l’ampleur des violations des dispositions du droit international et le fait que ces violations visent l’ensemble de la population palestinienne de prisonniers, quotidiennement et au fil du temps, la seule conclusion possible est qu’en commettant ces actes, Israël commet des actes de torture qui constituent un crime de guerre, voire un crime contre l’humanité.

Nous appelons toutes les nations et toutes les institutions et organismes internationaux, y compris la Cour pénale internationale, à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre un terme immédiat aux cruautés infligées aux Palestiniens par le système pénitentiaire israélien, et à reconnaître le régime israélien qui gère ce système comme un régime d’apartheid qui doit prendre fin.

Notes de lecture : 

(1) Depuis le 7 octobre, des centaines de citoyens palestiniens d’Israël ont été arrêtés pour incitation et soutien présumés à des organisations terroristes, parfois pour des actes mineurs tels que l’expression de la solidarité avec le peuple palestinien ou la critique d’Israël, de la guerre, etc. Bien que la persécution politique des Palestiniens, et en particulier des citoyens palestiniens d’Israël, et l’incitation généralisée à leur encontre par des fonctionnaires publics se soient aggravées depuis le 7 octobre et que la guerre se poursuive, ces éléments dépassent le cadre de ce rapport. Néanmoins, le rapport présente les témoignages de trois citoyens israéliens qui ont été incarcérés dans les mêmes conditions que les résidents palestiniens de Cisjordanie et ont subi des abus similaires à ceux décrits par d’autres détenus (de Cisjordanie, de Jérusalem-Est inclus, et de la bande de Gaza).

(2) Dans ce rapport, les termes « détenus palestiniens » et « prisonniers palestiniens » désignent les détenus palestiniens, les prisonniers condamnés et les détenus administratifs classés comme « prisonniers de sécurité » par l’État.

(3) Voir le site Internet du Centre pour la défense de l’individu HaMoked. Parmi les 4.781 prisonniers détenus sans jugement, 3.379 sont définis comme des « détenus administratifs » et 1.402 comme des « combattants illégaux ».

(4) Un reportage télévisé de la chaîne 14 (en hébreu) ​​diffusé le 1er février 2024 montre une visite de la prison du Néguev (Ketziot), au cours de laquelle le commandant de la prison, le général de brigade Yosef Knipes, a été interviewé. L’histoire décrit les conditions difficiles dans lesquelles les agents du Hamas sont incarcérés en raison des politiques du ministre de la Sécurité publique Itamar Ben Gvir. Voir également un article (en hébreu) ​​du journal ultra-orthodoxe « Mishpacha », qui contient des impressions d’une visite à Ketziot après le 7 octobre. Le journaliste note qu’il a rejoint une unité de l’IRF pour l’un des quatre appels quotidiens.

(5) Le 18 octobre 2023, le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir a déclaré un « état d’urgence pénitentiaire », qui a depuis été prolongé tous les trois mois au cours de la guerre et jusqu’à présent. Voir l’amendement à l’ordonnance pénitentiaire (n° 64, ordonnance temporaire – épées de fer) (urgence pénitentiaire) 5784-2023.

(6) Voir un article sur Ynet (en hébreu) ​​concernant une lettre envoyée par le lieutenant-général Koby Yaakobi au commandement supérieur de l’IPS lors de sa prise de fonction. Pour un article en anglais, voir Haaretz.

(7) Selon plusieurs médias, dont un article paru dans Haaretz, 19 gardiens de la prison du Néguev (Ketziot) soupçonnés d’être impliqués dans l’affaire ont été interrogés pour les délits présumés de blessures, de préjudices avec circonstances aggravantes et d’entrave à l’enquête. À notre connaissance, au moment de la publication, aucun d’entre eux n’a été poursuivi. Des rapports indiquent également que cinq des suspects étaient membres de l’unité IRF et avaient été transférés hors de l’unité après l’incident. Leur appel visant à annuler la décision a été rejeté par le tribunal.

(8) L’interdiction de la torture est l’une des pierres angulaires du droit international. Contrairement à d’autres normes acceptées dans ce domaine juridique, l’interdiction de la torture est absolue et aucun État ne peut y déroger ou la suspendre en temps de paix, de guerre ou d’urgence. Au fil des ans, cette interdiction a été établie comme une règle coutumière qui s’impose à tous les pays, organisations et personnes du monde, indépendamment de l’applicabilité d’un traité international particulier.

(9) Le 13 octobre 2023, le gouvernement a promulgué la régementation d’exception (délais de traitement des combattants illégaux pendant la guerre ou les opérations militaires) 5784-2023. La règlementation a été promulguée en vertu de l’article 39(f) de la Loi fondamentale : Le gouvernement. Il était initialement valable trois mois, jusqu’en janvier 2024, et a depuis été prolongé plusieurs fois, la dernière fois jusqu’au 31 juillet 2024. Voir à ce sujet, Réponse au nom de l’État, HCJ 1414/24 Comité public contre la torture en Israël et al. c. Knesset et al. (en attente), disponible ici.

(10) La loi sur l’incarcération des combattants illégaux (amendement n° 4 et ordonnance temporaire Swords of Iron) 5764 2023, datée du 18 décembre 2023, a stipulé les délais les plus longs, autorisant 75 jours avant que le détenu ne soit présenté à un juge (contre 14 jours auparavant) ; l’ordonnance de détention temporaire peut être prolongée jusqu’à 45 jours (au lieu de 96 heures, comme le prévoit la loi, article 10(a)(a)(3)) ; la rencontre avec un avocat peut être refusée jusqu’à 45 jours, ou 180 jours avec l’approbation d’un superviseur (contre 10 et 21 jours respectivement). L’ordonnance temporaire a récemment été modifiée à nouveau, prévoyant une période maximale de 90 jours pour refuser une rencontre avec un avocat (loi sur l’incarcération des combattants illégaux (amendement n° 4 et ordonnance temporaire sur les épées de fer) (amendement) 5764-2024 (publiée le 7 avril 2024, livre des lois 3203, p. 780)).

(11) Le premier rapport du Défenseur public sur les prisonniers de l’IPS et les conditions de détention a été publié quatre mois après le début de la guerre, le 6 février 2024 ; voir le site Web du Bureau du Défenseur public (en hébreu).

(12) Comme l’indiquent les médias, l’ordre de refuser aux prisonniers de sécurité les visites des représentants du CICR et/ou des organisations de défense des droits de l’homme était une directive politique du bureau du ministre de la Sécurité nationale Ben Gvir. Voir par exemple ici (en hébreu)

(13) Lors de sa prise de fonctions en janvier 2024, le nouveau commissaire de l’IPS, le lieutenant-général Koby Yaakobi, a déclaré que sa priorité numéro un pour l’IPS était de dégrader les conditions de détention des prisonniers palestiniens, conformément à la politique du ministre en charge (voir : Meir Turgeman, “Acting IPS Commissioner Presents: ‘A Revolution per Minister Ben Gvir’s Policy: ‘Downgrading Terrorists’ Prison Conditions: No. 1 Priority“, Ynet, 24 janvier 2024 (en hébreu). Le 9 novembre 2023, le ministre Ben Gvir a tenu une réunion pour discuter des implications budgétaires de la guerre de Gaza pour l’IPS, notamment le coût de la nourriture pour les prisonniers palestiniens : “A l’issue de la discussion, le ministre a ordonné d’envisager des changements au menu des prisonniers de sécurité. En conséquence, le chef de la division logistique a apporté des modifications au menu qui sont entrées en vigueur le 1er décembre 2023, conformément aux ordres du commissaire du 16 octobre 2023”. L’ordre du ministre de refuser aux prisonniers palestiniens des produits carnés a été expliqué comme suit : “Nos otages à Gaza souffrent de la faim… En ce qui me concerne, ils [les prisonniers palestiniens] recevront le minimum que nous sommes obligés de leur donner.” (voir, Meir Turgeman, “Ben Gvir v. IPS: Change Nukhba Terrorists’ Menu“, Ynet, 31 décembre 2023, et un rapport similaire en anglais disponible ici ; voir également les messages sur le compte Twitter du ministre ici et ici (hébreu). Voir également, Josh Breiner, “Israel Reduces Food for Palestinian Security Prisoners, Conceals Data, Sources Say“, Haaretz, 26 juin 2024.

(14) Voir le numéro de septembre 2010 du magazine IPS, Roim Shabas (« En voyant l’IPS »). Le commandant de la prison du Néguev (Ketziot) à l’époque, le général de brigade Shlomi Cohen, a mis en place l’unité spéciale dans la pratique (voir ici (hébreu)). Cohen est actuellement le représentant de l’IPS au Secrétariat de sécurité du ministère de la Sécurité publique (ici (hébreu)). Pour les mentions de la présence de l’IRF à la prison d’Ofer, voir le numéro d’avril 2012 du magazine IPS ici (hébreu). On ne sait pas exactement quand l’IRF a été créée dans cet établissement, mais un chiffre de 2015 indique que l’unité opérant à la prison d’Ofer compte 30 combattants sur un total de 300 gardiens de prison (voir ici (hébreu)). En 2019, les membres de l’unité opérant à la prison d’Ofer ont été décrits comme une « unité de combattants chargée de la réponse initiale lors d’une émeute dans l’établissement et d’autres situations d’urgence », disponible ici (hébreu) ​​et ici (hébreu).

(15) Voir : Ben-Natan, Smadar. “The Boundaries of the Carceral State: Accounting for the Role of Military Incarceration“. Theoretical Criminology, 2023.

Article original en anglais sur B'Tselem / Traduction MR