Partager la publication "Pourquoi le discours d’Abbas fait pâle figure en comparaison du fusil d’Arafat à l’ONU"
Emad Moussa, 7 octobre 2021. « Décevant » et « risible », voilà comment de nombreux Palestiniens ont perçu le discours d’Abbas à l’ONU la semaine dernière. Le battage médiatique que les médias de l’Autorité palestinienne (AP) ont orchestré avant le discours a renforcé cette perception.
En l’écoutant, je n’ai pu m’empêcher de penser à Yasser Arafat, malgré tous ses défauts personnels et, parfois, ses décisions politiques déconcertantes.En novembre 1974, vêtu de la traditionnelle coiffe palestinien (kuffiyeh) et le holster sanglé autour de la taille, Arafat prononça le premier discours de l’OLP devant l’Assemblée générale des Nations unies. Exprimant la douleur de son peuple devant la communauté internationale, Arafat déclarait : « Je suis venu avec un rameau d’olivier dans une main et un fusil de combattant de la liberté dans l’autre ».
Rares sont ceux qui contesteraient le fait que le leader palestinien s’était montré à la hauteur de la situation et avait su saisir en une courte phrase la dynamique intime de la lutte palestinienne pour la liberté et la création d’un État. Arafat soulignait que sans levier et sans pouvoir, la diplomatie était un exercice stérile. Il avait compris que le colonialisme sioniste était une entreprise structurelle, enracinée dans la suprématie et orientée vers le remplacement démographique. La décolonisation nécessitait donc une forme de contre-offensive violente pour l’empêcher de se faire aux conditions du colonisateur.
Certes, la voie diplomatique d’Abbas a porté ses fruits, au moins en termes d’adhésion aux organisations internationales et de reconnaissance supplémentaire de la Palestine dans le monde. Mais lorsqu’il s’agit de la lutte pour la libération, cette voie n’a été qu’une série de fiascos sans fin ; elle a ignoré le fait historique que les méthodes non violentes des indigènes ne changent pas nécessairement la violence de la structure coloniale.
C’est peut-être la dynamique de l’effet de levier qui distingue Abbas d’Arafat.
En tant qu’administration bureaucratique sous domination coloniale, les pouvoirs de l’AP sont limités à la gestion des affaires internes de la population locale. Elle est dépourvue de tout aspect de souveraineté ou de la capacité de donner la priorité aux intérêts nationaux de sa population sans risquer l’existence même de l’administration ou les intérêts de son élite.
Il est clair qu’il y a de sérieuses limites à ce qu’Abbas peut ou ne peut pas faire. Il était donc peut-être trop optimiste de s’attendre à un discours qui ferait l’effet d’une bombe. Il suffit de se souvenir que le leader palestinien a besoin de l’approbation d’Israël pour quitter Ramallah et que son service de sécurité est soumis à la surveillance d’Israël.
Mais les conditions de la domination coloniale ne sont pas omnipotentes et les échecs de l’AP ne sont pas tous directement imputables à Israël. Certains sont auto-infligés.
Depuis sa création et surtout après la deuxième Intifada, l’AP – sous des prétextes tels que l’État de droit et les obligations sécuritaires d’Oslo – a entrepris de démanteler la plupart des formes significatives de résistance à l’occupation israélienne. Ce faisant, elle s’est privée d’importants moyens de pression.
C’est pourquoi entendre Abbas lancer un ultimatum – à savoir que l’AP retirera sa reconnaissance d’Israël dans un an s’il ne se retire pas des Territoires occupés – fut une raison de se gausser.
Nous nous sommes demandé comment, faute de moyens de pression suffisants, l’AP pourrait donner suite à cet ultimatum, et encore moins le faire respecter.
Pour Benny Gantz, ministre israélien de la Défense, l’ultimatum d’Abbas est « un arbre immense dont il sera difficile de descendre ». C’est une façon pour Israël de montrer qu’il contrôle totalement l’issue du conflit et qu’il ne tient pas compte de ce que l’AP est capable de faire.
Même si nous supposons que la fin de la coordination sécuritaire serait un moyen de faire pression sur Israël, l’AP – jusqu’à présent – semble ne pas avoir la volonté ou la capacité de le faire. N’oubliez pas que le discours a été prononcé un mois seulement après une réunion de haut niveau entre Abbas et Gantz, qui n’a fait que renforcer l’engagement de l’AP en faveur de la coordination sécuritaire avec Israël.
Ancré dans la vision du monde de la diplomatie seule, le discours d’Abbas n’était pas, sans surprise, à la hauteur des aspirations des Palestiniens, et reflétait encore moins leur frustration et leur sentiment d’injustice.
Le ton et le message du discours sonnaient et se ressentaient comme une supplique, premièrement, pour qu’Israël accepte de négocier et de se retirer des territoires occupés et, deuxièmement, pour que la communauté internationale intervienne et que le Président Biden le reconnaisse.
Mais ne vous y trompez pas, l’octogénaire Abbas ne se fait probablement pas d’illusions sur le fait que ses menaces d’escalade devant la Cour pénale internationale et de retrait de la reconnaissance d’Israël empêcheraient les dirigeants israéliens de dormir. Déçu par l’administration Biden, il est également conscient que ces menaces ont peu de chances d’influencer l’administration américaine au-delà des belles paroles en faveur de la solution à deux États.
Plus important encore, il ne peut nier que les dirigeants palestiniens de Ramallah ont l’habitude de proférer des menaces et de les retirer, presque systématiquement, pour des raisons logistiques ou en cédant aux pressions internationales et arabes, comme ce fut le cas avec la suspension en 2020 et – peu après – la reprise de la coordination sécuritaire avec Israël.
Ceux qui défendent l’approche douce d’Abbas l’attribuent à la nécessité d’un calcul délicat pour gérer une situation politique extrêmement complexe. Cela peut être vrai dans une certaine mesure, mais la contradiction entre les convictions et les actions ne peut que signifier, entre autres, que l’AP n’a pas de plan viable pour se libérer du statu quo.
En l’état actuel des choses, Abbas espère que la scène régionale sera le théâtre d’un changement de paradigme en faveur des Palestiniens. Entre-temps, au lieu de trouver activement un moyen de sortir du piège d’Oslo, son gouvernement continue ou est incité à s’y enfoncer, en devenant plus dépendant d’Israël et des États-Unis. Il ne s’agit pas d’une stratégie, mais plutôt de la définition classique de la folie.
Cela nous amène à conclure que, bien qu’apparemment dirigé vers la communauté internationale, le discours d’Abbas était également destiné à gagner du temps et à anesthésier la colère du public palestinien en lui donnant l’illusion d’une voie à suivre, d’une feuille de route. Après tout, il sait que sa légitimité s’est érodée de manière irrémédiable et que le modèle actuel de l’Autorité palestinienne n’est pas viable. Réprimer les voix palestiniennes dissidentes n’y changera rien.
Aussi décevant qu’il puisse être, le discours a réussi à souligner davantage le schisme entre la direction palestinienne et le peuple sur le terrain, et le fait que le peuple a, et depuis si longtemps, deux pas d’avance sur sa direction.
Article original en anglais sur The New Arab / Traduction MR
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