Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 38 / 10-11 mars

Brigitte Challande, 11 mars 2023.

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Au delà d’une situation impossible et difficile à vivre et à gérer dans les camps pour les personnes déplacé.e.s, dans un dénuement le plus total, sous bombardement continu et en plus à la veille du Ramadan, nos amis Marsel et Abu Amir expriment leurs réflexions sur la difficulté à organiser l’urgence et parfois à prendre des décisions compliquées.

Sous la photo du jeune homme serrant un sac de farine contre lui avec un grand sourire, Marsel envoie ce texte le matin du 10 mars :

« Après une épopée héroïque au cours de laquelle le sang a coulé et des vies ont été perdues, Dieu merci, nous avons obtenu 25 kilos de farine. Personne n’imagine l’étendue de mon bonheur, après avoir arrêté de manger du pain blanc pendant plus de trois mois. C’est comme l’Eid… Eid parce que pour la première fois je reçois un sac de farine pendant toute la guerre. Avant, nous jeûnions et rompions notre jeûne avec de la nourriture pour animaux, et maintenant nous avons de la farine blanche. Oui, c’est l’Eid. Je n’exagère pas. Ce qui était considéré comme la chose la moins chère que l’on pouvait obtenir à Gaza vaut désormais le sang de gens honorables. Ô Seigneur, nourris les affamés et comble les besoins des nécessiteux. Ô Dieu, ô Soutien, ô Puissant, accorde tes faibles serviteurs sur cette terre. Son sourire est comme un soleil qui répand ses rayons, nous remplissant d’espoir et montrant notre volonté et notre détermination. Ce sourire nous fait aussi ressentir notre faiblesse, l’étendue de notre souffrance, notre besoin et notre effondrement. Il serre le sac de farine dans ses bras comme un père serre dans ses bras son enfant perdu depuis longtemps. Les psychologues sont compétents pour analyser et étudier l’esprit, et étudier la façon de penser des gens. Les actions et les réactions des gens sont constructives, mais il est impossible aux plus grands psychologues humains d’analyser ce rire. Avicenna – philosophe et médecin persan du 10ème siècle en lien avec le nom de l’association Ibn Sina- et Wheaton Calkins – psychologue américaine du 19ème siècle- n’en seraient pas capables. Ils écriraient des volumes de livres pour analyser ce sourire couplé aux expressions du visage de ce jeune homme. Seuls ceux qui ont vécu la souffrance, ont ressenti sa douleur et ont lutté pour survivre. Lui seul peut en connaître le sens. »

Abu Amir exprime et rend compte des difficultés à rester juste, équitable, égalitaire dans l’organisation de la vie quotidienne et la distribution de vivres et de produits divers.

Si vous faites pour un, il faut faire pour tous. Ça c’est la position des familles de paysans.

« Par exemple, si j’arrive à trouver 150 bouteilles de gaz, comment vais-je faire pour choisir les bénéficiaires ? On y est arrivé en demandant à plusieurs familles de partager une bouteille.

Les tentes collectives, pour les familles qui y sont abritées maintenant, ne considérez pas qu’elles vous appartiennent. Quand il sera possible de revenir au village, probablement 80 % des habitations seront à terre, nous réinstallerons les tentes collectives pour ceux qui n’auront pas d’abris. Donc ne les abîmez pas ! Nous déménagerons avec.

Il faut comprendre que les personnes ont largement perdu l’espoir. Tout est tellement cher. Prenons l’exemple des couches, vu le prix les familles ne peuvent plus en acheter. Mais il y a 15 nouveau-nés dans le camp, et 5 de plus autour du camp. Si j’arrive avec des paquets de couches, les femmes vont me manger ! Du coup, j’hésite à ouvrir cette porte, il me faudrait beaucoup d’argent pour la refermer dans de bonnes conditions… »

Ces réflexions sont essentielles pour maintenir un niveau d’organisation sociale digne et humain.

Quand tous les bâtiments et les habitations ne sont pas détruit.e.s, en ruines et en cendres, voilà ce qui se passe pour celles et ceux qui tentent de revenir chez eux… pour voir l’état de la situation ! Nous avions publié le témoignage d’Asma sur sa journée de déplacement de Khan Younis à Rafah, avec toute sa famille, le 18.12.23. Le 11 mars, elle écrit le témoignage suivant accompagné de photos :

« A Rafah, il y a trois ou quatre jours, le bruit a couru que les Israéliens avaient quitté en partie Khan Younis, en tout cas le quartier de notre immeuble. Comme les Israéliens s’étaient éloignés, beaucoup de gens ont voulu aller voir l’état de leur habitation et nous aussi, nous avons pris notre courage à deux mains avec ma sœur et mon beau-frère pour aller voir. J’ai eu un choc, ça a été très difficile : plus de portes aux appartements, plus de fenêtres, tout saccagé, détruit, l’essentiel disparu, la bouteille de gaz, la télé, je n’ai rien pu prendre tellement j’étais détruite moi aussi et nous sommes rentré.e.s vite vite à Rafah car le bruit des avions revenait, avec la peur. »  


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.

*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se concacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.

Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.


Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com


Les témoignages sont également publiés sur UJFP; Altermidi.org