Note de la rédaction de MEE : Ce profil a été initialement publié en mai 2024. Le 29 décembre 2025, le Hamas a annoncé la mort d’Abou Obeida, tué en août lors de la guerre génocidaire menée par Israël contre Gaza.
Middle East Eye, 29 décembre 2025.– Figure emblématique du Hamas, Abou Obeida a été le porte-parole militaire des Brigades Izz al-Din al-Qassam, la branche armée du mouvement palestinien, pendant près de vingt ans.
Sa notoriété a considérablement augmenté depuis l’attaque surprise menée par le Hamas contre Israël en octobre 2023 et l’attaque israélienne qui s’en est suivie contre la bande de Gaza.
Célèbre pour ses discours, au cours desquels il faisait le point sur la situation sur le terrain, Abou Obeida se vantait souvent des succès militaires du Hamas et provoquait Israël, qui a tenté à plusieurs reprises de l’assassiner.
C’est pourquoi la véritable identité d’Abou Obeida n’a jamais été révélée. Cependant, ce 29 décembre, le Hamas a officiellement annoncé sa mort et a indiqué que son nom de naissance était Huthaifa Samir al-Kahlout. Figure emblématique du monde arabophone, le nom d’Abu Obeida était souvent scandé lors des rassemblements pro-palestiniens, et des chansons étaient même chantées en son honneur.
Son ancienneté au sein du Hamas – organisation désignée comme terroriste par les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres pays – lui a valu d’être inscrit sur la liste des sanctions américaines, aux côtés d’autres dirigeants du mouvement palestinien.
Qui était Abu Obeida et où était-il né ?
On dispose de peu d’informations sur la jeunesse d’Abu Obeida.
En 2005, il a déclaré à un journaliste que sa famille avait été expulsée de force de la Palestine historique par des milices sionistes en 1948 et qu’elle avait trouvé refuge dans un village de la bande de Gaza qu’il n’a pas précisé. Au cours de ce même entretien, il a laissé entendre qu’il avait une vingtaine d’années, ce qui indiquait qu’il était né au début ou au milieu des années 1980.
En 2014, des sources au sein du groupe ont indiqué que seules quelques personnes connaissaient sa véritable identité. Son nom faisait probablement référence à Abou Oubaïda ibn al-Jarrah, un proche compagnon du prophète Mahomet et un célèbre commandant musulman.
Le 29 décembre, lorsque la branche militaire du Hamas, les Brigades Izz al-Din al-Qassam, a annoncé sa mort, le nouveau porte-parole du groupe l’a décrit comme un haut responsable qui dirigeait le bureau de presse des Brigades al-Qassam.
« Aujourd’hui, nous pleurons Abou Obeida, de son vrai nom le grand chef Huthaifa Samir al-Kahlout, décédé après vingt ans passés à s’opposer aux ennemis », a déclaré le porte-parole.
Quel était le rôle d’Abou Obeida au sein du Hamas ?
La première apparition publique connue d’Abou Obeida remonte à 2004. En octobre de cette année-là, il a tenu une conférence de presse pour faire le point sur la situation sur le terrain lors d’une offensive terrestre israélienne dans le nord de la bande de Gaza.
Il a ensuite continué d’agir comme porte-parole militaire, accordant des interviews aux médias et diffusant des discours préenregistrés sur le site web du Hamas et d’autres plateformes en ligne.
Abou Obeida a ainsi été le premier et le seul membre du Hamas à assumer le rôle de porte-parole militaire, une fonction rattachée au bureau de presse du groupe, officiellement créé en 2004.
Ses interventions médiatiques étaient souvent liées aux affrontements militaires avec Israël.
Que disait Abou Obeida ?
L’une des principales missions d’Abou Obeida était d’annoncer les succès militaires du groupe.
Sa première apparition majeure a eu lieu en 2006, lorsqu’il a annoncé la capture du soldat israélien Gilad Shalit. Il fut également le premier à annoncer la capture d’un autre soldat, Shaul Aron, lors de la guerre israélienne de 2014 contre Gaza, et révéla son numéro de carte d’identité dans une vidéo enregistrée.
Dans un premier temps, les autorités israéliennes nièrent l’enlèvement d’Aron, avant d’affirmer qu’il avait été tué par le Hamas et que son corps était détenu par le groupe.
« Comment l’ennemi dissimule-t-il la disparition du soldat Shaul Aron, dont le numéro d’identification est le 6092065 ? » s’interrogea Abou Obeida. « Ce soldat est désormais prisonnier du Hamas. »
Toujours durant la guerre de 2014, Abou Obeida annonça que Mohammed al-Dief, commandant général des brigades al-Qassam, avait survécu à une tentative d’assassinat israélienne, après de nombreuses spéculations médiatiques sur son sort.
Il lui arrivait aussi de faire des déclarations en dehors des temps de guerre, comme en 2022 lorsqu’il commenta la nouvelle arrestation de six prisonniers palestiniens qui s’étaient évadés d’une prison israélienne. Il a juré que le Hamas libérerait les six prisonniers lors d’un futur échange de prisonniers avec Israël.
« Les Brigades Al-Qassam l’affirment clairement… si les héros de l’évasion par le tunnel de la liberté se sont libérés cette fois-ci des entrailles de la terre, nous leur promettons, ainsi qu’à nos prisonniers libérés, qu’ils le seront bientôt, si Dieu le veut, à la surface. »
Quel rôle Abou Obeida a-t-il joué le 7 octobre ?
Certains des discours les plus importants d’Abou Obeida ont été prononcés après l’attaque du Hamas du 7 octobre et la guerre israélienne qui s’en est suivie contre Gaza.
Deux jours après le début des hostilités, il a averti, dans un discours, qu’un prisonnier israélien serait exécuté pour chaque bombardement israélien d’un immeuble résidentiel abritant des civils innocents. Cette menace n’a jamais été mise à exécution.
Quelques jours plus tard, il a déclaré dans un autre discours que la planification de l’attaque du 7 octobre avait commencé en 2021, après les onze jours de guerre qui avaient eu lieu en mai de la même année. Environ 4.500 membres du groupe ont participé à l’exécution de l’opération, a-t-il déclaré, dont 3.000 sur le terrain.
Abou Obeida a également détaillé les objectifs de l’attaque, baptisée « Opération Déluge d’al-Aqsa ». L’objectif principal, a-t-il déclaré, était la destruction de la « Division de Gaza » de l’armée israélienne, qui fait partie du Commandement Sud.
Parmi les autres cibles figuraient des positions militaires subordonnées à la division et au-delà, notamment à l’intérieur de 22 kibboutzim entourant la bande de Gaza, selon Abou Obeida.
« La tromperie stratégique, la planification militaire et l’exécution brillante [de l’opération] ont stupéfié cet ennemi », a-t-il déclaré lors d’un discours.
« L’ennemi sait qu’il a subi un grave échec stratégique… Après cet échec retentissant et sans précédent, il commet désormais les crimes les plus horribles contre des civils innocents.»
L’un de ses discours les plus célèbres a eu lieu le 28 octobre, lorsqu’il a critiqué les dirigeants arabes pour leur incapacité à acheminer de l’aide humanitaire à Gaza.
« Dieu nous préserve », a-t-il dit, « que les Palestiniens demandent aux dirigeants arabes d’intervenir militairement à Gaza ! » – mais leur incapacité à faire parvenir ne serait-ce que des secours avait surpris le Hamas. L’expression «Dieu nous préserve » est devenue par la suite un slogan largement utilisé par les Arabes pour exprimer le refus de leurs États d’intervenir face aux attaques israéliennes.
Pourquoi Abou Obeida se couvrait-il le visage d’un keffieh rouge ?
Lors de toutes ses apparitions publiques, Abou Obeida portait un uniforme militaire et le visage couvert, ce qui lui a valu le surnom de « masqué » dans le monde arabophone.
Depuis qu’il a acquis une certaine notoriété, il a toujours porté le keffieh, la coiffe traditionnelle arabe rouge, chez les Palestiniens.
Le keffieh rouge est porté depuis longtemps par les membres du Hamas, notamment par les premiers commandants du groupe, Yasser Al-Namrouti et Emad Akel, tués par les forces israéliennes en 1993.
Mohammed Deif se couvrait également le visage d’un keffieh rouge lors de sa dernière apparition médiatique connue, en 2005.
Que pensait le monde arabe d’Abou Obeida ?
Abou Obeida, perçu comme un symbole de la résistance palestinienne, a acquis un statut quasi héroïque dans le monde arabophone, où le Hamas bénéficie d’un large soutien.
Ses discours enflammés et éloquents, son ton assuré et son anonymat ont contribué à sa popularité.
Ses propos étaient souvent appuyés par des preuves vidéo d’attaques du Hamas contre des cibles israéliennes, ce qui renforçait sa crédibilité et la confiance du public en ses déclarations.
Dans toute la région, ses discours étaient très attendus : des mariages étaient interrompus pour que les invités puissent les écouter, et les enfants restaient souvent rivés à leurs écrans.
Un discours d’Abu Obeida a même attiré l’attention du cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani, ancien souverain du Qatar, lors d’un match de football entre la Palestine et l’Iran.
On trouve également des chansons, dont les paroles incluent : « Ô Abu Obeida, ta volonté est forte et tes mots sont des balles.»
Comment Israël percevait-il Abu Obeida ?
Les discours et déclarations d’Abu Obeida étaient régulièrement suivis par le public israélien, qui s’interrogeait sur son identité.
Pendant la guerre de 2014 à Gaza, le site d’information israélien Ynet a publié le nom « Hudhayfa Samir Abdallah al-Kahlut » et une photo qu’il prétendait être celle d’Abu Obeida. À l’époque, le Hamas a démenti l’information.

Le Hamas annonce le martyre d’Abu Obaida, porte-parole de la brigade Al Qassam. « Ne dites pas qu’ils sont morts ; dites plutôt qu’ils sont vivants, mais que vous ne le voyez pas.» (Coran 2:154) « La mort est en nous et la peur est en vous. » Abou Obaïda
Ynet a affirmé que cette tentative de révéler son identité témoignait d’une volonté de « dissiper l’aura qui l’entoure » en tant que l’une des figures les plus influentes du Hamas. La même photo et le même nom ont été de nouveau diffusés en octobre 2023 par Avichay Adraee, porte-parole arabophone de l’armée israélienne.
« Il est temps d’arrêter de se dissimuler », a déclaré Adraee dans une publication sur X. « Le masque et le keffieh ne vous empêcheront pas, vous et votre organisation, de vous cacher les coups que vous subissez et le sort qui attend ceux d’entre vous qui restent. »
Adraee a joint une vidéo, qui semblait avoir été modifiée, montrant la même photo que celle initialement publiée en 2014. Selon un article de Ynet, la maison d’Abu Obeida, située à Jabalia, aurait été bombardée à trois reprises, en 2008, 2012 et 2014. L’article indiquait également qu’il avait obtenu une maîtrise en sciences religieuses à l’Université islamique de Gaza en 2013 et qu’il préparait un doctorat.
Pourquoi les États-Unis ont-ils sanctionné Abu Obeida ?
Les États-Unis ont imposé des sanctions à Abou Obeida en avril 2024, le désignant comme le « chef de la guerre de l’information » du Hamas.
Le département du Trésor américain lui a imputé la direction du Département de cyberinfluence des brigades al-Qassam et a ajouté qu’il était impliqué dans « l’acquisition de serveurs et de noms de domaine en Iran pour héberger le site web officiel des brigades al-Qassam, en coopération avec des institutions iraniennes ».
Le Hamas n’a pas commenté les sanctions américaines ni les allégations concernant les activités présumées d’Abou Obeida.
Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR
