Partager la publication "Pourquoi la normalisation des relations des pays arabes avec Israël signifie davantage de colonisation"
Joseph Massad, 26 décembre 2025. – L’une des principales orientations de la politique américaine dans le monde arabe consiste à normaliser les relations entre tous les pays arabes et Israël afin d’encercler les Palestiniens d’alliés de leurs colonisateurs et de les priver de tout soutien extérieur.

28.12.2025 : Seul dans le monde, l’Etat génocidaire israélien reconnaît le Somaliland pour mettre en place des « relations bilatérales fructueuses », qui pourraient se résumer à la déportation des Palestiniens de Gaza et à l’attaque des résistants yéménites.
Auparavant, les accords d’Oslo I de 1993 avaient transformé l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), d’un mouvement de libération, en un sous-traitant de l’occupation israélienne, dans le but d’encercler les Palestiniens au sein même des territoires occupés.
Le but de cette stratégie d’endiguement était d’étouffer définitivement la lutte palestinienne. Face à la persistance de la résistance palestinienne, culminant avec l’opération Déluge d’Al-Aqsa en octobre 2023, la stratégie n’a pas été remise en question, mais au contraire intensifiée.
Depuis l’annonce des accords d’Abraham en 2020, les initiatives de normalisation se sont étendues au-delà des États arabes pour inclure des pays à majorité musulmane qui n’ont jamais été en guerre contre Israël, mais qui n’entretenaient pas de relations diplomatiques avec ce pays.
Plus récemment, en novembre, l’administration Trump a glorifié l’adhésion formelle du Kazakhstan aux accords, bien que ce pays ait déjà des « relations diplomatiques complètes » avec Israël.
L’Indonésie, qui n’entretient pas de relations diplomatiques avec Israël, envisagerait également une normalisation.
Cette expansion intervient alors que plusieurs initiatives arabes sont au point mort suite au génocide israélien à Gaza, notamment avec l’Arabie saoudite, et même la Libye, dont la ministre des Affaires étrangères a rencontré son homologue israélien en Italie en août 2023, avant que le massacre de masse des Palestiniens ne rende le processus intenable.
Bien avant que les États-Unis ne fassent de la normalisation avec Israël une stratégie régionale, elle était déjà présentée comme une stratégie sioniste. Depuis le début des années 1920, l’Organisation sioniste partait du principe que « s’il est impossible d’obtenir l’adhésion des Arabes de Palestine au sionisme, il faut alors l’obtenir des Arabes de Syrie, d’Irak, d’Arabie saoudite et peut-être d’Égypte ».
Aujourd’hui, il semble que les Israéliens aient progressivement obtenu cette adhésion, non seulement auprès des dirigeants palestiniens, mais aussi auprès de dirigeants du monde arabe et musulman.
Précédents sionistes
Dans les années 1920, le dirigeant sioniste révisionniste Vladimir Jabotinsky considérait à tort la quête sioniste de reconnaissance arabe comme une erreur.
Il affirmait que, pour anéantir les espoirs des pays arabes de vaincre le sionisme, « il faudrait leur offrir quelque chose d’aussi précieux. Nous ne pouvons offrir que deux choses : soit de l’argent, soit une aide politique, soit les deux ».
Jabotinsky concluait que les sionistes manquaient de fonds et que ces États avaient besoin d’une aide anticoloniale que le sionisme ne pouvait leur fournir, car « on ne peut pas intriguer sur le retrait des Britanniques du canal de Suez et du golfe Persique, ni sur l’élimination de la domination coloniale française et italienne sur les territoires arabes. Un tel double jeu est inconcevable ».
Jabotinsky était manifestement victime de l’illusion que les pays arabes étaient gouvernés par des anticolonialistes plutôt que par des dirigeants collaborant déjà avec l’impérialisme occidental, et ce, même à cette époque, et a fortiori aujourd’hui. Ce qu’il n’a pas compris, c’est que les sionistes pouvaient effectivement offrir aux pays arabes une aide politique, non pas pour s’opposer à l’influence coloniale, mais pour maintenir et intensifier le rôle de l’impérialisme dans la sauvegarde des trônes des régimes monarchiques.
Outre les pays arabes qui ont normalisé leurs relations avec Israël de la fin des années 1970 aux accords d’Abraham de 2020, la Libye n’était pas le seul nouveau venu : l’Irak et la Tunisie ont également mené des pourparlers secrets avec Israël en vue d’une normalisation.
Conséquences de la normalisation
Contrairement à Jabotinsky, les Israéliens et le président américain Donald Trump comprennent l’inévitabilité de la normalisation avec les pays arabes, notamment l’Arabie saoudite, dont les relations chaleureuses avec Israël ne se sont pas encore traduites par des relations diplomatiques officielles.
Les partisans de la normalisation dans le monde arabe affirment que des relations diplomatiques et cordiales avec Israël permettraient aux pays arabes de faire pression sur ce pays pour qu’il accorde aux Palestiniens certains de leurs droits et mette fin à l’occupation des territoires conquis en 1967.
Ils prétendent en outre que de telles relations instaureraient la stabilité et la prospérité régionales.
Le fait que les cinquante dernières années de normalisation aient engendré des catastrophes, des guerres, une colonisation accrue, des résistances et des génocides ne semble pas avoir dissipé ces illusions. Un bref examen des conséquences de la normalisation permet sans doute de nuancer ce tableau.
L’un des premiers cas concernait les Palestiniens eux-mêmes. Entre 1973 et 1977, l’OLP, et plus particulièrement le Fatah et le Front démocratique pour la libération de la Palestine, a entamé des rencontres en Europe avec des membres du Parti communiste israélien et d’autres sionistes israéliens de gauche, dans le but d’établir un « dialogue ».
Durant cette période, l’OLP a proposé clandestinement divers plans de négociation avec le gouvernement israélien, notamment la création d’un État en Cisjordanie et à Gaza et l’abandon de toute revendication territoriale « israélienne ».
Ces propositions ont été adressées directement au Premier ministre israélien de l’époque, Yitzhak Rabin, qui les a rejetées catégoriquement et a interdit aux Israéliens de rencontrer les Palestiniens.
Quant à la viabilité économique du mini-État proposé par l’OLP, son président, Yasser Arafat, affirmait dès 1975 : « Amilcar Cabral est en train de construire un État indépendant en Guinée-Bissau, l’un des plus petits et des plus pauvres du monde. Il en va de même pour les Sud-Yéménites qui ont établi leur république malgré la situation désastreuse de leur pays.»
Ce changement de cap, privilégiant la recherche d’un « État indépendant » plutôt que la libération totale, a marqué une rupture fondamentale dans la nature de la lutte palestinienne.
Cependant, après avoir fait ces concessions à l’Occident dans l’espoir d’être jugée suffisamment « modérée » pour participer aux négociations futures et à la Conférence de Genève alors en préparation, l’OLP a été prise au dépourvu par le président égyptien Anouar el-Sadate.
Avec le soutien des États-Unis, Sadate a opté pour une action unilatérale, se rendant directement en Israël en novembre 1977, suite à l’élection de Menahem Begin comme Premier ministre et à l’arrivée au pouvoir du Likoud, après avoir déjà mené des négociations secrètes avec les dirigeants israéliens.
Accords séparés
Sadate ne se contenta pas de se rendre en Israël ; il accepta également de s’adresser à la Knesset, le parlement israélien, à Jérusalem-Est occupée plutôt qu’à Tel-Aviv, où tous les pays avaient alors installé leurs ambassades, refusant de reconnaître l’annexion illégale de Jérusalem-Ouest et de Jérusalem-Est par Israël.
Aucun autre dirigeant arabe, et encore moins les Palestiniens, n’ayant été consulté ni informé de ce voyage imminent, l’initiative de Sadate prit de court les Soviétiques, coprésidents de la future conférence de paix de Genève, et les pays arabes, qui, de concert avec l’OLP, condamnèrent sa visite, considérant qu’elle ouvrait la voie à un règlement séparé avec Israël.
L’insistance sur des accords séparés, stratégie employée de longue date par Israël, visait à opposer les intérêts des pays arabes les uns aux autres, et à ceux des Palestiniens, plutôt qu’à rechercher une solution régionale globale à la colonisation continue des terres arabes.
Sadate s’empressa d’expulser les représentants de l’OLP du Caire, et en avril 1979, la Ligue arabe exclut l’Égypte de ses rangs et transféra son siège du Caire à Tunis. La plupart des pays arabes ont par la suite rompu leurs relations diplomatiques avec l’Égypte.
Une fois que Sadate eut écarté l’Égypte du jeu militaire israélien, l’équilibre stratégique bascula rapidement.
Avant même la conclusion des accords de Camp David en septembre 1978 – ratifiés plus tard par la signature du traité de paix à Washington en mars 1979 –, les Israéliens lancèrent une invasion majeure du Liban en mars, ciblant les guérilleros de l’OLP dont les attaques contre la colonie israélienne se poursuivaient.
Israël envahit le Liban en sachant pertinemment que l’armée égyptienne ne représentait plus une menace.
L’invasion fit plus de 4.000 victimes civiles palestiniennes et libanaises et provoqua l’exode de 250.000 réfugiés du Sud-Liban vers le Nord. Elle entraîna également le déploiement de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) le long de la frontière.
Israël s’appuya sur des collaborateurs locaux au Liban, notamment le commandant Sa’d Haddad, un général chrétien libanais dissident qui fonda l’Armée du Sud-Liban, laquelle s’allia à Israël contre l’OLP et les forces libanaises de gauche. Bien que les forces israéliennes se soient partiellement retirées, elles ont continué d’occuper une bande de territoire libanais qu’elles ont désignée comme « zone de sécurité ». Israël a persisté dans ses attaques contre les forces de l’OLP pendant les quatre années suivantes, avant de lancer une seconde invasion massive du pays en 1982, qui a anéanti les capacités militaires de l’OLP.
Concessions arabes
Les négociations de Camp David entre l’Égypte et Israël ont également abordé l’avenir de la Cisjordanie et de Gaza, sujets qui, de l’avis des deux parties, nécessitaient un traité distinct.
Concernant le Sinaï, le traité de mars 1979 prévoyait le retrait complet des forces israéliennes sur une période de trois ans et le démantèlement des colonies juives.
Le Sinaï devait rester démilitarisé ; seule la police égyptienne, et non l’armée égyptienne, était autorisée à y être stationnée. Le traité prévoyait également l’échange d’ambassades entre les deux États.
S’agissant de la Cisjordanie et de Gaza, le cadre de Camp David envisageait une période de transition de cinq ans durant laquelle une autorité autonome serait élue par les Palestiniens, leur accordant une simple autonomie, avec un retrait et un redéploiement partiels des forces israéliennes dans les territoires occupés.
Le programme d’autonomie proposé par Israël ne représentait rien de plus que la concession maximale que le chef de l’Organisation sioniste, Chaim Weizmann, avait proposée en 1930 aux Palestiniens. De toute évidence, la position sioniste était restée inchangée au cours des quatre décennies précédentes.
Les Égyptiens ont néanmoins poursuivi les négociations avec les Israéliens et les Américains en vue de la conclusion d’un accord de paix global au Moyen-Orient, avec pour objectif le 26 mai 1980. Ces négociations, cependant, n’ont jamais repris ni abouti, et le dossier a été discrètement abandonné.
La proposition israélienne ne mentionnait ni un État palestinien, ni les droits des réfugiés, ni le statut de Jérusalem. L’autodétermination a été réduite à une simple autonomie, et Begin a ouvertement déclaré son intention d’annexer les territoires une fois la période de transition expirée.
Non seulement la question des colonies n’était pas résolue, mais en 1979, Begin avait relancé un programme de colonisation intensifié afin de modifier la composition démographique des territoires palestiniens et d’y établir une majorité de colons juifs.
Reprise des attaques
Suite à la normalisation des relations avec l’Égypte après les accords de Camp David, Israël a entrepris l’annexion formelle de Jérusalem-Est en juillet 1980. Cette annexion a été immédiatement condamnée par la résolution 478 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui l’a déclarée nulle et non avenue. Elle a été suivie, en décembre 1981, par l’annexion du Golan syrien, également condamnée par la résolution 497 du Conseil de sécurité de l’ONU comme étant nulle et non avenue.
En juillet 1981, l’ONU a négocié un cessez-le-feu entre l’OLP et Israël. L’OLP ne l’a pas violé une seule fois pendant les onze mois suivants, malgré les violations répétées d’Israël.
En avril 1982, les forces israéliennes ont bombardé le Liban, faisant 25 morts et 80 blessés, sans provoquer de représailles. Quelques semaines plus tard, un second bombardement israélien a fait 11 autres victimes, entraînant une riposte limitée de l’OLP qui n’a fait aucune victime. Parallèlement, en juin 1981, Israël lança un raid détruisant le réacteur nucléaire irakien, qui ne possédait pourtant pas les capacités de fabriquer des armes nucléaires.
Israël persista dans sa politique consistant à accueillir favorablement les concessions palestiniennes et égyptiennes tout en refusant d’accorder le moindre droit aux Palestiniens. En 1981, le prince héritier saoudien Fahd annonça un plan de paix proposant la reconnaissance arabe de la colonie juive en échange de la fin de l’occupation par Israël des territoires conquis en 1967 et de la création d’un État palestinien.
On espérait ainsi mettre fin au statut d’Israël comme principal ennemi des Arabes et le remplacer par celui d’Iran, qui venait de mener une révolution anti-américaine et de renverser le Shah tyrannique.
Les Américains saluèrent le plan avec prudence, Arafat l’accueillit favorablement, tandis que les Israéliens rejetèrent ses termes tout en se félicitant de la perspective d’une reconnaissance régionale. Ensemble, les accords de Camp David et le plan de paix Fahd ont enhardi Israël, l’incitant à lancer une seconde invasion du Liban en juin 1982, faisant environ 20 000 victimes civiles palestiniennes et libanaises et provoquant le déplacement d’un demi-million de réfugiés.
Cette réaction israélienne aux concessions et aux promesses de normalisation perdure. Aujourd’hui, la soumission du gouvernement libanais aux exigences israéliennes et américaines d’une future normalisation se heurte à de nouvelles attaques israéliennes contre le Liban et à une occupation accrue de son territoire.
L’impunité accordée
Suite à la normalisation des relations entre Israël et l’OLP en 1993, puis entre la Jordanie et Israël en 1994, les Palestiniens sont devenus une force répressive sous-traitée par Israël contre leur propre peuple, tandis que la Jordanie cultivait des relations de plus en plus chaleureuses avec Israël, tout en intensifiant son occupation.
Cette situation a finalement conduit au second soulèvement palestinien entre 2000 et 2005, qui a mis un terme au prétendu « processus de paix ».
Cependant, elle a maintenu l’Autorité palestinienne intacte, au service de l’occupation israélienne, et a renforcé les relations économiques et diplomatiques d’Israël avec la Jordanie.
Israël a réagi de la même manière aux accords d’Abraham de 2020, qui normalisaient ses relations avec quatre pays arabes. Ces accords ont clairement indiqué qu’Israël pouvait agir en toute impunité envers les Palestiniens, y compris perpétrer le génocide actuel, auquel aucun des signataires ne s’est opposé. En effet, les signataires arabes, ainsi que d’autres pays arabes normalisant leurs relations avec Israël, auraient apporté leur aide à ce pays et approfondi leurs relations avec lui au fur et à mesure du génocide.
Contrairement à la propagande américaine et arabe pro-américaine selon laquelle la normalisation contribuerait à stabiliser la région, à étouffer la résistance palestinienne et à rétablir les droits des Palestiniens, le bilan de l’OLP et de la « normalisation » arabe avec Israël a au contraire engendré d’importantes invasions israéliennes, une intensification de la colonisation, une résistance palestinienne soutenue et, plus récemment, la perpétration d’un génocide.
En guise de récompense pour les pays arabes normalisant leurs relations, Netanyahu a même évoqué ouvertement la création d’un « Grand Israël » englobant les territoires de certains États arabes ayant normalisé leurs relations.
La normalisation n’a pas non plus épargné les pays de l’hostilité israélienne, notamment l’Égypte et la Jordanie, constamment menacées par les dirigeants israéliens, et même les conciliateurs qataris, bombardés pour leurs efforts à la demande des États-Unis et d’Israël. Ce qui est étonnant, c’est que, malgré ce bilan historique désastreux, les Arabes favorables à la normalisation continuent d’espérer que les efforts de Donald Trump pour normaliser les relations avec Israël instaureront la stabilité et la paix régionales.
Le fait qu’Israël ait bombardé le Qatar, bombarde actuellement la Syrie et le Liban, dont les dirigeants militent ouvertement pour la normalisation, et continue d’occuper des territoires, n’a guère entamé cette propagande pro-normalisation.
L’idée que la collaboration et la normalisation anéantiraient la résistance palestinienne s’est révélée tout aussi illusoire.
Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR