Les esclaves ne sont pas les amis de leurs maîtres : Donald Trump et Ahmad Al-Sharaa

Robert Inlakesh, 18 novembre 2025.- La récente visite du président syrien Ahmed Al-Sharaa à la Maison Blanche a surpris nombre de personnes et suscité un vif débat quant à son opportunité, ses avantages pour les deux parties et l’importance que revêtira cette nouvelle relation entre Damas et Washington.

Illustration Batoul Chamas pour Al Mayadeen English.

Analystes et commentateurs de tous bords politiques ont tenté de comprendre la collaboration de la Syrie avec les États-Unis. D’un côté, le fait qu’un ancien commandant de l’Etat Islamique (EI), parvenu ensuite à la tête de la branche syrienne d’Al-Qaïda, rejoigne désormais la coalition internationale dirigée par les États-Unis contre l’EI a déconcerté plus d’un observateur. Pourtant, pour ceux qui connaissent bien le déroulement de la guerre en Syrie, cela n’a rien d’étonnant.

Aux États-Unis, on distingue deux camps de menteurs et de fanatiques : d’un côté, un groupe de militants anti-musulmans obsédés par « l’extrémisme islamique » ; l’autre groupe est la base des partisans inconditionnels du nouveau régime à Damas.

Le premier groupe a profité de la visite d’Ahmad Al-Sharaa à la Maison Blanche, à l’invitation du président américain Donald Trump, pour semer la peur d’un prétendu complot musulman et insinuer que le dirigeant américain était manipulé. Ce récit, diffusé principalement par des propagandistes sionistes rémunérés, fait partie intégrante d’une campagne visant à attaquer tous les musulmans et ceux qui propagent la peur de complots « extrémistes islamiques », afin d’éloigner des Israéliens la colère de la droite.

L’autre groupe est composé de diverses personnalités, dont certaines sont payées pour diffuser leur propagande, ainsi que de personnes illuminées et sectaires dont le tribalisme dicte leur discours politique. Les agents rémunérés sont à la solde de leurs commanditaires, tandis que les sectaires sont imperméables à la logique. Seuls les égarés de ce groupe sont réceptifs, et ce sont eux qu’il faut prendre en compte.

L’esclave de la Maison Blanche

Il est temps d’admettre qu’Ahmad al-Charia est une création de l’Occident. Cette affirmation n’a rien de provocateur ni d’exagéré. Le dirigeant actuel de la Syrie est le produit de ceux qui le contrôlent, d’où mon choix de le nommer par son nom, Ahmad al-Charaa et non par son ancien pseudonyme, Abou Mohammed al-Jolani.

Ceux d’entre nous qui ont suivi l’horrible et sanglante guerre en Syrie connaissent le nouveau président sous le nom d’al-Jolani, l’homme qui dirigeait le Front al-Nosra. Cette organisation a non seulement perpétré d’innombrables massacres de civils, mais s’est également alliée à Daech dans certaines batailles, a géré ses propres centres de torture à Idlib, a recruté des enfants soldats et a commis divers autres crimes de guerre. Pourtant, pour certains, elle est devenue par la suite le « salut » d’une « révolution bénie » qui a renversé un tyran.

Ces deux récits semblent manquer de nuances, mais comme cela a souvent été le cas en Syrie, rien n’est véritablement cohérent. La guerre a révélé que presque tout est possible. Pourtant, une pensée binaire, voire manichéenne, reste très répandue sur ce sujet.

Ainsi, plutôt que de débattre des mérites de chaque camp, examinons les faits pour dissiper les illusions.

Ce n’est pas un hasard si les États-Unis ont lancé l’opération Timber Sycamore, l’une des opérations les plus coûteuses de l’histoire de la CIA, dans le but de soutenir quiconque tenterait de renverser Bachar el-Assad. Ce n’est pas un hasard non plus si les Israéliens ont commencé à soutenir financièrement, en armes et en assistance médicale, au moins une douzaine de groupes d’opposition syriens dès 2013, dont le Front al-Nosra d’al-Jolani.

Ni les États-Unis, ni les Israéliens ne se sont souciés du sort de la population civile syrienne. Malgré la propagande infondée de leurs prétendus agissements contre la dictature, les massacres de civils et les incarcérations de masse, leur implication n’a jamais concerné ces réalités. Vous voulez la preuve que les États-Unis, leurs alliés occidentaux et « Israël » s’en fichaient ? Ils normalisent tous leurs relations avec un homme non démocratiquement élu, collaborent avec lui et organisent des réunions fréquentes avec lui. Ce régime est plus corrompu que le précédent, et l’homme reste les bras croisés tandis que la violence sectaire fait des milliers de victimes.

Leurs objectifs étaient clairs : ils cherchaient à morceler la Syrie en une multitude de groupes sectaires rivaux qui gouverneraient leur territoire en fonction de leur appartenance ethnique ou religieuse ; piller ses ressources ; ruiner le pays pour le lier au FMI et à la Banque mondiale (car la Syrie était auparavant autosuffisante) ; conquérir le Golan ; anéantir définitivement ses capacités militaires stratégiques ; mettre fin au soutien apporté par la Syrie à la Résistance palestinienne ; stopper l’acheminement d’armes vers le Hezbollah et mettre un terme à l’influence de l’Iran dans le pays ; et enfin, installer un dirigeant fantoche. Tous ces objectifs ont été atteints.

L’idée selon laquelle Hayat Tahrir al-Sham d’al-Jolani (anciennement al-Nosra) aurait vaincu Bachar al-Assad est fausse. Il n’y a pas eu de bataille pour la prise de Damas, mais un accord permettant une passation de pouvoir. Ce n’était pas une « guerre de libération », mais une transition de régime.

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, près de 9.000 civils ont été assassinés à travers le pays depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement. Ce chiffre est probablement sous-estimé, car d’autres sources font état d’un bilan bien plus lourd, notamment en raison de la campagne d’extermination confessionnelle qui a ciblé les Alaouites et d’autres minorités le long de la côté, au début de l’année.

Le coût de la vie en Syrie ne cesse d’augmenter, des bandes de malfaiteurs et des fanatiques sectaires sillonnent les rues, les enlèvements sont monnaie courante, le taux d’homicides explose et la démocratie, pourtant promise depuis si longtemps, reste encore bien loin. Pendant ce temps, les Israéliens étendent leur emprise sur le sud de la Syrie, occupant toujours plus de territoire, établissant des points de contrôle, bombardant systématiquement et sans restriction, et allant jusqu’à armer des milices séparatistes druzes.

De son côté, Washington prend le contrôle de deux bases aériennes, collabore ouvertement avec les autorités syriennes pour des missions à l’intérieur du pays, et le CENTCOM entretient des relations cordiales avec al-Sharaa. Des Israéliens, qui auraient autrefois été exécutés pour avoir mis les pieds en Syrie, arrivent désormais ouvertement à Damas et visitent des sites militaires sensibles pour leurs documentaires.

Tout cela alors que Damas a réprimé, expulsé et dissous tous les groupes de résistance palestiniens qui opéraient en Syrie, préférant livrer le corps d’un soldat israélien capturé en 1982, ainsi que les effets personnels du célèbre espion israélien Eli Cohen.

Certains, faisant fi de tous les faits exposés ci-dessus, prétendent que ce régime agit ainsi pour lever les sanctions et redresser son pays. Pour répondre à cette question, posons-nous la suivante : cette collaboration, cette trahison de la cause palestinienne, cette collaboration avec les auteurs d’un génocide à Gaza et ces entraînements de basket ont-ils mis fin définitivement aux sanctions contre la Syrie, ou même relancé l’économie ? Non, bien sûr que non.

Deux explications sont donc possibles : soit Ahmad al-Sharaa est tellement incompétent politiquement qu’il croit à ce prétendu plan directeur de « relance économique », soit il fait partie d’un projet visant à servir les intérêts des États-Unis, de leurs alliés occidentaux et de l’entité sioniste. Si vous optez pour la première solution, il n’est pas apte à diriger un pays et ferait peut-être mieux de gérer un restaurant de shawarma.

Sous Ahmad al-Sharaa, il n’y a pas de véritable leadership syrien, seulement une bande de soumis qui ont été introduits au pouvoir ; en l’occurrence, à la Maison Blanche. On ne peut pas les comparer aux autres régimes arabes, car ils n’ont aucune autonomie. Rien de ce qu’ils font n’est indépendant, les sanctions n’étant levées que temporairement pour les maintenir sous leur coupe. Dans ce modèle, c’est Donald Trump qui est le président de la Syrie, et non Ahmad al-Sharaa.

En réalité, tout cela n’a rien à voir avec al-Jolani. Si Bachar al-Assad avait été prêt à accueillir les Américains, à expulser l’Iran et la résistance palestinienne, à stopper le trafic d’armes vers le Hezbollah, à négocier un accord avec les Israéliens, à leur céder le Golan et à leur remettre son arsenal d’armes stratégiques, c’est lui qui serait à la Maison Blanche. Car les puissances occidentales et les Israéliens n’ont aucun scrupule : ils traitent avec quiconque, quelle que soit son idéologie, se soumet à eux. Si vous exposez ces arguments à ceux qui soutiennent encore la nouvelle direction syrienne, ils vous répondront par des arguments fallacieux tels que « nous sommes fatigués » et des notions relatives au « peuple syrien ». On retrouve ces mêmes sentiments chez les gangsters de Yasser Abou Shabab, liés à Daech, à Gaza. Ces derniers collaborent avec l’ennemi de leur peuple par soif de biens matériels et sont prêts à combattre leur propre nation pour se les procurer.

Cet argument revient à dire que « l’esclavage domestique n’est pas si mal », mais il occulte le fait que la majorité des Syriens ne remplissent pas les conditions requises pour être réduits à l’esclavage domestique. Ils resteront des esclaves des champs, certains plus maltraités que d’autres, mais des esclaves des champs tout de même. Il en va de même pour ceux qui choisissent l’esclavage au Liban, en Palestine ou ailleurs dans la région. Tous sont soumis au « projet du Grand Israël », ce qui signifie que la « prospérité » dont parle sans cesse l’envoyé américain Thomas Barracks n’est pas prévue pour eux. N’oubliez pas que même un bon esclave n’est jamais véritablement l’ami de son maître. L’exemple du Shah iranien déchu Reza Pahlavi, qui obtint l’asile et mourut plus tard en Égypte, en est la preuve. Malgré sa proximité avec Washington, sa valeur se limitait à l’utilité de son régime, ni plus ni moins.

Cela ne signifie pas pour autant que les griefs des différentes parties aux conflits régionaux soient inexplicablement légitimes ; les guerres révèlent sans aucun doute le pire de l’humanité. Cependant, il est tout simplement illusoire de croire que l’esclavage puisse apporter quoi que ce soit de positif. Ce n’est pas un hasard si, de génération en génération dans le monde arabe, la cause palestinienne est devenue le critère déterminant pour évaluer si un gouvernement ou un mouvement agit dans son intérêt : il est avéré que collaborer avec l’ennemi conduit au chaos et à la destruction.

Si les Israéliens et les États-Unis avaient réellement voulu « laisser les Syriens vivre », ils l’auraient fait dès l’arrivée au pouvoir du nouveau régime. Au lieu de cela, Washington a donné son feu vert à la plus grande offensive aérienne israélienne jamais menée en Syrie et à l’occupation de territoires syriens supplémentaires. Pourquoi ? Parce que c’était le plan depuis le début, et tous ceux qui ont cru aux promesses des nouveaux dirigeants syriens ont été tout simplement dupés.

Article original en anglais sur Al Mayadeen / Traduction MR