Partager la publication "La diplomatie creuse de l’Europe : l’illusion de la responsabilisation dans ses relations avec Israël"
Jasim Al-Azzawi, 14 novembre 2025. Alors que s’accumulent les preuves du mépris d’Israël pour le droit international et les normes humanitaires, l’Europe se livre à une rhétorique de façade, sans jamais passer à l’action. Le refrain – « Nous réexaminons nos relations commerciales avec Israël et pourrions envisager la suspension de nos accords commerciaux » – est un cliché diplomatique dénué d’urgence et de conséquences.

À Turin, en Italie, lors de la marche du 1er mai 2025, des manifestants ont brûlé les drapeaux d’Israël, des États-Unis et de l’Europe pour dénoncer la complicité de l’Italie dans le génocide palestinien et pour exiger la fin du réarmement. Capture d’écran de la VIDEO.publiée sur SlavicFreeSpirit sur X.
Non seulement la position de l’Europe est inefficace, mais elle révèle aussi une défaillance morale plus profonde. Invariablement, les intérêts économiques, la culpabilité historique et les alliances stratégiques l’emportent sur les principes proclamés par l’Europe.
Indignation sans conséquences
La Commission européenne a récemment suggéré la suspension des concessions commerciales et la sanction de ministres israéliens extrémistes pour violation des obligations en matière de droits humains au titre de l’accord d’association UE-Israël. Pourtant, même cette proposition était partielle et conditionnelle. La chef de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, a reconnu : « Nous contacterons Israël pour lui présenter nos conclusions et examiner comment améliorer la situation sur le terrain » – une déclaration qui illustre parfaitement les manœuvres dilatoires.
Amnesty International a par ailleurs qualifié la décision de l’UE de « réexaminer » ses relations de « terriblement tardive », soulignant qu’Israël commet des atrocités à Gaza en toute impunité. La rhétorique de « réexamen » et de « réflexion » agit comme un tranquillisant diplomatique, étouffant les appels à la responsabilisation tout en enhardissant les dirigeants israéliens.
Ce schéma est bien connu. En 2014, suite à l’offensive israélienne contre Gaza, l’UE a exprimé sa « vive préoccupation » tout en continuant d’approfondir ses relations commerciales. La répétition de ces formules creuses a transformé « appeler à la retenue », « appeler à la désescalade » et « réexaminer les accords » en un lexique d’évitement destiné à paraître vertueux mais à garantir l’absence de tout changement de politique.
L’illusion de la responsabilisation
Comparons cela avec la réponse de l’Europe à l’invasion de l’Ukraine par la Russie : depuis 2022, l’UE a imposé dix-neuf séries de sanctions ciblant les secteurs de la finance, de l’énergie et de la défense, destinées à éroder les fondements économiques de la Russie et à « imposer des coûts économiques et politiques clairs ». Quelques semaines après l’invasion, les banques russes ont été coupées du système SWIFT, les avoirs des oligarques ont été gelés et les importations de pétrole ont été drastiquement réduites.
Le contraste est frappant : lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, l’Europe a agi avec urgence et fermeté ; lorsqu’Israël bombarde Gaza, l’Europe hésite et tergiverse. Le message est clair : la responsabilité est sélective et dépend de l’opportunisme politique plutôt que de principes universels.
Parallèles historiques
Cette moralité sélective de l’Europe n’est pas nouvelle. Les sanctions internationales – embargos sur les ventes et le commerce d’armes, entre autres – imposées pendant l’apartheid en Afrique du Sud ont fait pencher la balance et contraint le régime à changer de cap. En 1986, la Première ministre britannique Margaret Thatcher, qui avait initialement résisté aux appels aux sanctions, fut contrainte de céder, reconnaissant que « le régime devait ressentir le poids de la désapprobation internationale ».
De même, les sanctions imposées à la Serbie dans les années 1990, en raison du nettoyage ethnique dans les Balkans, comprenaient un embargo de l’UE sur les exportations de pétrole, le gel des avoirs et des restrictions commerciales, signe que les violations du droit humanitaire ne seraient pas tolérées. En Irak, les sanctions massives des années 1990 ont dévasté l’économie du régime, tout en soulevant des débats éthiques sur la question des sanctions collectives.
Ces précédents montrent que l’Europe peut agir avec détermination lorsque la volonté politique converge avec les intérêts stratégiques. Dans le cas d’Israël, cependant, l’enchevêtrement économique de l’Europe et sa culpabilité historique liée à l’Holocauste semblent paralyser son sens moral. Il en résulte une diplomatie creuse qui condamne bruyamment mais agit discrètement.
Les intérêts économiques avant les principes
Israël est fortement dépendant du commerce avec l’UE. L’UE est le principal partenaire commercial d’Israël, absorbant environ un tiers de ses exportations, notamment dans les secteurs de l’agriculture, de la pharmacie et des technologies. En 2024, les échanges bilatéraux ont dépassé 46 milliards d’euros. La suspension de l’accord d’association UE-Israël aurait des conséquences économiques immédiates, en particulier dans les secteurs dépendants des tarifs préférentiels.
Pourtant, l’Europe hésite. La crainte de perturber des relations commerciales lucratives, conjuguée aux pressions des industries investies sur le marché israélien, l’emporte sur l’impératif moral d’agir. Ce calcul économique révèle l’hypocrisie de l’Europe, qui se présente comme une « puissance normative » défendant les droits humains et le droit international.
Un manquement moral
La Cour internationale de Justice a rendu des arrêts soulignant la responsabilité d’Israël en matière de ségrégation raciale et de graves violations des droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé. En s’abstenant de réagir à ces arrêts, l’Europe compromet sa crédibilité en tant que défenseur du droit international.
Comme l’a averti Amnesty International, « l’histoire jugera sévèrement la politique d’apaisement officieuse de l’Europe ». Aux condamnations les plus virulentes de l’UE s’ajoute sa politique la plus discrète, une diplomatie bien plus soucieuse de son image que de justice.
Le politologue Ian Manners décrivait l’UE comme une « puissance normative » dont la force réside dans l’exportation de valeurs plutôt que dans la coercition. Mais lorsque ces valeurs sont trahies par l’inaction, l’Europe cesse d’être normative ; elle devient complice.
Conclusion
Il ne s’agit pas seulement d’inefficacité, mais de complicité. Se cachant derrière les mots « examen » et « réflexion », l’Europe entretient l’illusion de la responsabilisation tout en tolérant l’impunité.
La question qui se pose aux lecteurs est sans équivoque : que signifie le contraste entre les condamnations les plus véhémentes de l’Europe et sa politique la plus discrète ? Tant que l’Europe n’appliquera pas de sanctions, d’embargos et une véritable responsabilisation à ses paroles, sa diplomatie restera une illusion : un écho de principes trahis par la pratique.
Article original en anglais sur Middle East Monitor / Traduction MR