Les journalistes occidentaux savent qu’ils auront à rendre compte pour leur trahison envers Gaza, et cela les effraie

Samuel Geddes, 24 octobre 2025.– Christopher Hedges, correspondant de guerre lauréat du prix Pulitzer et ancien chef du bureau Moyen-Orient du New York Times, a prononcé cette semaine la conférence commémorative Edward-Saïd en Australie. Il avait également été invité à s’adresser au « Club de la presse » national du pays, afin de souligner les manquements moraux accablants des médias occidentaux, principalement en amplifiant la propagande israélienne et en sapant la crédibilité des journalistes de Gaza, dont la plupart ont été tués par « Israël » lors de la décimation de la population du territoire.

Illustration Batoul Chamas pour Al-Mayadeen English.

Il n’est donc pas très surprenant que le Club de la presse ait annulé son invitation à Hedges, prétextant un souci d’« équilibre » de sa programmation. Que le retrait ait été ou non directement influencé par la pression israélienne, l’aristocratie médiatique du pays n’appréciait guère la perspective qu’un journaliste, véritable et décoré, l’accuse ouvertement de ses malversations systématiques et de son manquement au devoir, qui ont contribué à ce qui est peut-être l’une des pires atrocités du XXIe siècle.

David Marr, journaliste inconditionnel d’ABC, a défendu « The Club » lors d’une interview radiophonique avec un Chris Hedges furieux. Plutôt que de tenter d’analyser le contenu de son discours, Marr a utilisé sa formation d’avocat pour piéger le seul journaliste présent, qualifiant le parrainage de sa tournée par un groupe de défense de la Palestine de « violation fondamentale des règles », selon sa propre définition du journalisme.

Sous la mesquinerie larmoyante et l’indignation feinte de ses attaques contre Hedges se cachait une indignation palpable à l’idée que quiconque, et surtout un journaliste décoré, puisse attaquer son « club » de personnalités médiatiques approuvées par l’establishment pour n’avoir pas fait leur travail, au point de trahir les Gazaouis pratiquant le journalisme dans sa forme la plus pure.

Marr, dont la carrière ne se distingue pas particulièrement par le reportage international, et encore moins par les reportages en zone de guerre, a tenté de contester l’autorité de Hedges sur Gaza (où il a vécu sept ans) en soulignant qu’il n’était pas revenu sur le territoire depuis 2005 et que, par conséquent, son manque d’expérience récente sur place n’était peut-être pas à la hauteur des exigences du Club.

En substance, s’il y en avait, les arguments de Marr étaient que ces organisations, Sky News, CNN et Reuters, en privilégiant les arguments israéliens concernant les victimes de leurs attaques, faisaient simplement preuve de diligence journalistique normale consistant à inclure le « point de vue » d’« Israël » dans un souci d’équilibre.

Hedges a immédiatement et légitimement répliqué que le travail d’un journaliste est de dire la vérité, et non de la contrebalancer par des mensonges. Les excuses et les manœuvres trompeuses d’« Israël » méritent bien sûr d’être mentionnées, mais pas de manière à leur conférer une crédibilité explicite, en les plaçant littéralement en tête d’affiche du reportage.

« Vous ne visez les journalistes que lorsque votre ennemi est la vérité »

Ce que Marr ne semble visiblement pas comprendre, c’est que Hedges ne prétend pas que les journalistes occidentaux manipulent ou déforment la vérité. Il affirme plutôt qu’ils amplifient systématiquement les récits israéliens qu’ils savent faux, de manière à occulter la vérité. Cela crée une fausse équivalence entre les « récits » palestiniens et israéliens. C’est précisément ce mélange de mensonges et de vérité qui a permis à « Israël » de tuer impunément la quasi-totalité des journalistes professionnels travaillant à Gaza, ainsi qu’un nombre incalculable d’autres civils.

Si la culpabilité n’est en aucun cas l’apanage de la presse grand public occidentale, elle est incontestablement responsable de l’élaboration d’un discours médiatique mondial qui engendre le doute et l’hésitation qui ont permis la perpétration d’un génocide retransmis en direct, avec la complicité totale de l’État et sans conséquence.

Le seul enseignement précieux à tirer de la tentative affectée et manifestement infructueuse de Marr de clouer au pilori un journaliste digne de ce nom est peut-être que les journalistes de carrière occidentaux de premier plan sont, à un certain niveau, conscients de leur complicité. À l’instar des accusations d’antisémitisme sans cesse instrumentalisées contre les opposants au régime israélien, cette complicité ne résulte pas d’une colère réelle, mais d’une tentative désespérée d’intimider ceux qui disent la vérité pour les réduire au silence.

Un jour viendra inévitablement où d’innombrables individus et institutions des sociétés occidentales devront répondre de leur conduite durant ce génocide. Cette prise de conscience ne semble se faire sentir qu’aujourd’hui.

Article original en anglais sur Al Mayadeen / Traduction MR