Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 553 / 18-19.10 – Soutien psychosocial : Le jour d’après la guerre

Brigitte Challande, 20 octobre 2025.– Les ateliers de soutien psychologique pour les femmes à Gaza sont en lien direct sur le terrain avec ce qu’elles vivent au quotidien. compte rendu du 18 octobre.

« Alors que le soleil matinal se levait timidement au-dessus des tentes du camp des Amis, à l’ouest de Deir al-Balah, un nouveau sentiment naissait chez les femmes déplacées : un sentiment de vie après la tempête. Dans une petite tente ornée de rires timides et de regards en attente, l’équipe de l’UJFP a poursuivi son travail de soutien à travers une séance intitulée : Le jour d’après la guerre, une séance destinée à semer l’espoir dans le cœur des femmes et à leur redonner le sentiment que demain peut se construire par la volonté, non par l’attente.

La séance n’a pas parlé de la guerre, mais de la vie qui suit. Elle était une tentative collective de passer de la phase de survie à celle de la construction, de la peur à la planification, du chaos à l’espoir structuré. Vingt-cinq femmes déplacées de l’ouest de Deir al-Balah, vivant actuellement au camp des Amis, ont participé à cette séance. Elles étaient venues, portant dans leurs yeux un mélange de prudence et d’espoir, et dans leurs cœurs un désir sincère de retrouver ce qu’elles avaient perdu, à savoir la tranquillité et la confiance.

Les femmes se sont assises en cercle rapproché, et la séance a commencé par la voix de l’animatrice : « Aujourd’hui, nous ne parlerons pas de la guerre, mais de demain. Nous ne plongerons pas dans le passé, mais nous tracerons un chemin vers ce qui peut être. Vous n’êtes pas seulement des victimes, mais le noyau d’une nouvelle vie. »

Cette introduction fut la clé pour ouvrir les cœurs clos, chacune ressentit que cette séance serait différente.

Les activités psychologiques et pratiques commencèrent alors, progressivement et avec méthode, combinant évacuation émotionnelle et réflexion réaliste.

La première activité portait le nom : Carte de sécurité immédiate, un exercice à la fois pratique et psychologique. « La fin de la guerre ne signifie pas la fin du danger. Parfois commence une phase encore plus sensible après le silence, où il existe des débris dangereux et des endroits non sûrs. Aujourd’hui nous tracerons ensemble notre carte personnelle de la sécurité. »

Les femmes commencèrent à discuter avec précaution des lieux où elles s’étaient senties en danger, comment les éviter ou y faire face. Des papiers et des stylos de couleur furent distribués, chaque petit groupe commença à dessiner le périmètre de leurs tentes et les zones proches. Le spectacle ressemblait à un atelier d’ingénierie de l’espoir. Leurs voix « Ce chemin est jonché de débris », « Il y a un puits ouvert », « Nous devons mettre en garde les enfants de jouer ici ».

La peur s’était transformée en conscience organisée. Puis elle demanda à chaque femme d’écrire trois règles de sécurité personnelles, pour elle et pour ses enfants. Une femme d’une quarantaine d’années dit :« Je pensais que j’étais incapable de protéger mes enfants, mais maintenant je vois que je peux établir un simple plan, et cela me donne un sentiment de force. »

La tente se remplit de paroles positives pour la première fois depuis longtemps.

Ensuite, l’équipe passa à la deuxième activité : Qu’emporterons-nous demain ?.
« Ce n’est pas un exercice sur les objets que nous mettons dans nos sacs, mais sur les ressources que nous portons en nous. Nous voulons savoir ce que nous allons emporter de cette étape à la prochaine, en termes de valeurs, de sentiments et de priorités. »

Elle demanda à chaque femme de choisir trois priorités pratiques et trois priorités psychologiques. Certaines écrivirent des mots comme « sécurité, abri, nourriture », puis elles ajoutèrent en dessous « espoir, patience, famille ». Et quand chacune lut ce qu’elle avait écrit à haute voix, un étrange sentiment de chaleur emplit l’espace. Une femme d’une cinquantaine d’années, déclara : « J’ai réalisé maintenant que j’ai besoin d’espoir plus que de toute autre chose, car l’espoir est la seule chose qu’on ne peut pas nous voler. »

Ce moment fut comme un processus de guérison collective non déclaré, où les feuilles blanches furent transformées en miroirs reflétant ce qui se trouvait au fond des cœurs.
« Quand nous divisons nos grands problèmes en petites étapes, nous devenons plus forts, car nous voyons le chemin clairement. »

Puis vint la troisième activité : Espace de respiration tranquille. L’animatrice demanda aux femmes de s’asseoir en cercle confortable. « Maintenant, nous prendrons quelques minutes de beau silence. Nous retrouverons nos respirations qui ont été longtemps étouffées. La respiration est le chemin du retour à soi. Quand nous contrôlons nos respirations, nous retrouvons le contrôle de notre vie. »

Les femmes ont commencé à suivre les consignes lentement, leurs visages se sont détendus peu à peu, certaines femmes ont poussé un long soupir suivi d’un sourire apaisé. Dans ce silence, les âmes retrouvaient leur équilibre, et le corps réapprenait comment être en sécurité. Quand l’exercice se termina, toutes échangèrent des regards limpides et des sourires sincères, et chacune sentit que la séance n’était pas simplement une rencontre, mais un véritable début de parcours de guérison.

Nous sommes encore là, exercice destinée à aider les femmes à exprimer leur état psychologique après l’arrêt de la guerre, avec tout ce que cela comporte de contradictions entre perte et survie. « Chacune de vous est passée par une tempête. Vous avez peut-être perdu des proches, des maisons ou des choses inestimables, mais vous avez aussi survécu. Aujourd’hui, nous voulons vous entendre… Comment vous sentez-vous maintenant que la guerre est terminée ? »

Une femme ayant perdu son logement dit : « Je pensais que la fin de la guerre me rendrait heureuse, mais j’ai découvert que j’ai peur de demain plus que du bombardement. Je me sens comme si nous étions sorties d’une grande prison vers un vide inconnu. »

Puis une autre femme ayant perdu son mari déclara : « Je suis soulagée que mes enfants soient sains et saufs, mais mon cœur est lourd. Chaque lieu me rappelle ce que j’ai perdu, mais j’essaye de me dire que la vie continue. »

L’animatrice expliqua que ce que ressentent ces femmes est la contradiction entre soulagement et peur, cela fait partie du processus de guérison. Elle demanda à chaque femme de compléter une seule phrase : « Malgré tout, je suis… »
« Malgré tout, je suis encore forte. »« Malgré tout, je suis encore mère. »
« Malgré tout, j’aime encore la vie. »

Ces courtes phrases furent comme une proclamation d’existence. Un moment de confirmation collective que la douleur n’a pas effacé la force, que peu importe l’ampleur des pertes, elles n’éteignent pas la braise de la survie. La séance devint presque comme une renaissance pour des esprits épuisés.

En conclusion, quelques-unes des participantes partagèrent leur ressenti après la séance. Une femme âgée déclara : « La plus grande pression n’était pas la peur, mais l’angoisse de l’inconnu. Aujourd’hui j’ai appris à traiter demain pas à pas, à commencer par la sécurité puis la nourriture puis l’abri. »

Et une jeune mère ajouta : « Le plan de sécurité était la chose la plus importante que j’ai apprise aujourd’hui. Je ne savais pas comment expliquer à mes enfants les dangers sans les effrayer, et maintenant je peux. »

Une autre esquissa : « Ce qu’il y a de plus beau dans la séance, c’est que nous n’étions pas seules, nous étions ensemble, traçant un nouveau chemin. »

Lorsque les femmes quittèrent la tente, leurs conversations étaient davantage tournées vers l’espoir que vers la douleur. Certaines revenaient en souriant vers leurs enfants qui les attendaient à l’extérieur de la tente, comme si chacune d’elles portait avec elle une petite carte de sécurité, et un nouveau concept de survie.

Elles sont reparties en sachant que la guérison ne vient pas d’un seul coup, mais commence par un petit pas, qui restaure la foi en la vie. La séance fut un témoignage vivant que le soutien psychologique n’est pas un luxe, mais la pierre angulaire de la construction de l’être après la guerre.

Et à la fin de la journée, une participante résuma par une phrase qui restera gravée dans la mémoire de l’équipe : « La guerre nous a pris beaucoup, mais elle n’a pas pris notre volonté. Aujourd’hui nous avons su que demain est à nous, et que nous allons le construire nous-mêmes, pas à pas, ensemble. » »

Photos et vidéos ICI.

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Un voyage, de la survie à la reconstruction de la vie

Deuxième atelier de soutien psychologique pour les femmes animé par l’équipe de l’UJFP le 19 octobre : Espaces de guérison et d’espoir.

« Dans le calme relatif qui règne sur la zone d’Al-Mawasi à Khan Younès, où les souvenirs douloureux se mêlent aux tentatives de renaître des cendres de la destruction, l’équipe de l’UJFP a poursuivi son travail essentiel en apportant un soutien psychologique spécialisé aux femmes déplacées.


La séance, organisée dans le camp Al-Najaat, a constitué un espace sûr pour trente femmes qui ont trouvé dans cette rencontre un souffle d’air après de longs mois de peur, d’errance et de perte. Elles étaient assises en cercle, où se croisaient des regards timides et douloureux, porteurs d’un désir discret de guérison. Les traits de leurs visages racontaient un mélange de fatigue, de nostalgie et un profond besoin de retrouver leur être intérieur.

La séance a commencé par une introduction visant à normaliser les émotions et à éliminer le sentiment de honte associé à la tristesse ou à la faiblesse. La psychologue, a affirmé : « Ce que nous ressentons est naturel, et la douleur ne diminue pas notre force, elle nous rappelle simplement notre humanité. »

Ensuite, le premier exercice, intitulé : Le réservoir de force, a débuté. La psychologue a demandé aux participantes d’évoquer un moment pendant la guerre où elles s’étaient senties fortes, même brièvement.
L’une a raconté la nuit où elle a sauvé ses enfants des décombres, une autre, les moments où elle a serré les enfants de ses voisins dans ses bras pour les rassurer, une autre, le jour où elle a affronté la mort avec un sourire pour ne pas effrayer ses petits.
Chaque récit, un sentiment collectif d’appartenance et de reconnaissance de la force intérieure demeurée vivante malgré l’effondrement.

La psychologue a expliqué que l’objectif était de raviver le sentiment de compétence et de contrôle : lorsque la mémoire ravive les moments de courage, elle rappelle au corps et à l’esprit que la force est toujours là.

Puis vint le deuxième exercice, L’arbre de l’espoir, basé sur un outil de reconnexion à soi et de libération des émotions refoulées.
Des feuilles blanches et des crayons colorés ont été distribués aux participantes, avec pour consigne de dessiner un arbre simple : les racines représentant la force intérieure et les ressources psychologiques encore présentes, et les branches symbolisant les petits rêves possibles dans un avenir proche.

« Chaque racine est quelque chose que vous possédez malgré la guerre, et chaque branche est un rêve qui peut fleurir demain. »
Les femmes ont commencé à dessiner en silence.
L’une a dessiné un arbre aux branches très courtes, en écrivant dessous “Sérénité”. Une autre a rempli les feuilles de mots “mes enfants”, “ma maison”, “la vie”.
Une femme âgée a dessiné un grand arbre au centre de la feuille, avec des racines profondément ancrées et a écrit au-dessus : “Ma foi en Dieu”. « Cet arbre, la guerre ne pourra pas le déraciner. »
Le spectacle était semblable à une exposition visuelle de l’espoir humain : des couleurs mêlées aux larmes, des doigts tremblants dessinant un nouveau départ.

Le troisième exercice, Le voyage guidé de guérison, consistait en une séance de relaxation profonde visant à reconnecter le corps et le moment présent.

« Imaginez que vous marchez dans un verger verdoyant, sentez la chaleur du soleil sur votre visage, entendez le chant des oiseaux — vous êtes en sécurité. »
La respiration consciente semblait être leur premier véritable contact entre le corps et l’âme depuis des mois.
« C’est comme si je respirais pour la première fois depuis longtemps. Je n’avais pas réalisé à quel point j’étais tendue avant de me sentir apaisée maintenant. »

Dans un moment de réflexion après les activités, la psychologue a parlé de l’importance du self-care, expliquant que prendre soin de soi n’est pas un luxe, mais un acte de résistance :

« Accorder à soi-même une demi-heure par jour pour se reposer ou méditer, c’est une déclaration de courage — le choix de continuer à vivre. »

En clôture, un court exercice intitulé : Malgré la douleur, nous vivons a été ajouté, offrant un espace libre d’expression après la fin des combats.
Les femmes se sont assises en petit cercle, chacune tenant une petite bougie allumée. « Malgré la perte de nos proches et de nos maisons, la vie continue de nous appeler à la vivre avec dignité. »
Une femme ayant perdu son mari a dit : « Cette bougie représente sa lumière, qui continue d’éclairer mon chemin. »
Une autre : « J’ai perdu ma maison, mais j’ai encore le rêve d’en reconstruire une, même si ce n’est qu’une tente. »
Cet exercice a servi de reconnaissance collective de la douleur, mais aussi de déclaration sincère que l’espoir est plus fort que les ruines.

À la fin de l’atelier, l’atmosphère avait complètement changé. Sur les visages des femmes, on pouvait lire une détente subtile, comme si un poids lourd avait été levé.
Chacune est repartie en emportant un dessin ou un souvenir d’un moment sincère qui l’a reconnectée à elle-même.

Cet atelier a confirmé que la guérison n’est pas un acte instantané, mais un processus continu qui commence par la reconnaissance de la douleur, passe par l’expression et s’épanouit dans le soin de soi.
La séance Espaces de guérison et d’espoir a été un voyage collectif vers la redécouverte du sens dans une vie épuisée par la guerre — la véritable force naît de la douleur, lorsqu’elle est accueillie avec amour, science et patience. »

Photos et vidéos ICI.


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.

*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.

Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Partie 541 : 6 octobre. Partie 542 : 7 octobre. Partie 543 : 7 octobre (1). Partie 544 : 8 octobre. Partie 545 : 9 -10 octobre. Partie 546  : 9-10-11 octobre. Partie 547 : 11-12 octobre. Partie 548 : 13 octobre. Partie 549 : 14 octobre. Partie 550 : 15 octobre. Partie 551 : 16 octobre. Partie  552 : 17 octobre.

* Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268)
* Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
* Témoignages du 10 mai au 5 octobre 2025 (partie 393 à 540)
Pour participer à la collecte "Urgence Guerre à Gaza" : HelloAsso.com
Les témoignages sont publiés sur UJFP / Altermidi / Le Poing