Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 542 / 7.10 – Analyse des stratégies de « conflit »

Brigitte Challande, 8 octobre 2025.- Texte envoyé par Abu Amir, deux après le 7 octobre 2023, sur les guerres récurrentes : analyse des stratégies de « conflit » entre Israël et les factions palestiniennes.

« Depuis plus de sept décennies, le Moyen-Orient ne connaît pas de véritable stabilité. L’État d’Israël est né sur les ruines d’un peuple déraciné, plongeant les Palestiniens – et le monde entier – dans un cycle d’affrontements sans fin. Alors que les premières guerres arabo-israéliennes opposaient des armées régulières, les dernières années ont marqué un tournant radical : des guerres récurrentes opposant une puissance militaire technologiquement parmi les plus avancées du monde à des factions palestiniennes assiégées mais armées d’une volonté inébranlable, d’une doctrine de résistance et de stratégies non conventionnelles.

Ces guerres ne sont plus de simples épisodes passagers ; elles sont devenues une équation fixe : une escalade sanglante déclenchée par un événement soudain, élargie ensuite à une confrontation généralisée, suivie d’interventions régionales et internationales pour imposer un cessez-le-feu, avant qu’une nouvelle explosion n’éclate après quelques mois ou années. Entre chaque guerre, le peuple palestinien reste prisonnier d’un siège et de blessures ouvertes, tandis qu’Israël vit dans une inquiétude permanente, malgré sa supériorité militaire et son renseignement.

Chaque guerre révèle un nouveau visage du conflit. À Gaza, où vivent plus de deux millions de personnes sur un territoire exigu et sous un blocus étouffant, la résistance est devenue un symbole de résilience. Les tunnels et les roquettes sont devenus des emblèmes de défi face à la supériorité militaire israélienne.

Israël, de son côté, s’appuie sur une doctrine du « dissuasion par la force excessive » afin de renforcer l’équation « sécurité contre destruction ». Mais le résultat reste inchangé : l’impossibilité d’un règlement définitif, une confrontation toujours ouverte à des scénarios plus dangereux.

Ce schéma de guerres récurrentes reflète une crise plus profonde : l’absence d’une solution politique juste. La communauté internationale se contente d’interventions visant à arrêter les combats, sans traiter les racines du problème palestinien. Ainsi, l’affrontement entre occupation et résistance se répète en cycles sanglants où s’entrelacent sang et politique, médias et armes, humanité et calculs froids. Plus encore, ces guerres ne sont plus un simple dossier palestino-israélien local : elles sont devenues une question mondiale, polarisant les grandes puissances, redessinant les alliances régionales et laissant des séquelles humanitaires dépassant les frontières du temps et de l’espace.

On ne peut comprendre ces guerres récurrentes sans revenir aux origines de la question. La création de l’État d’Israël en 1948, sur les terres palestiniennes, et le déplacement de centaines de milliers de Palestiniens – la « Nakba » – ont été la première étincelle d’un conflit ininterrompu. L’occupation de la Cisjordanie et de Gaza en 1967 a placé presque tout le peuple palestinien sous contrôle direct israélien. L’échec du processus politique, des accords d’Oslo à la non-création d’un État palestinien, a poussé certaines forces palestiniennes à adopter la lutte armée comme moyen de pression.

En 2005, Israël s’est retiré unilatéralement de l’intérieur de la bande de Gaza, tout en maintenant le contrôle de ses frontières, de son espace aérien et maritime, transformant le territoire en une prison assiégée. Avec la victoire du Hamas aux élections de 2006 et sa prise de contrôle en 2007, Gaza est devenue l’épicentre de la confrontation. Depuis lors, elle a connu plusieurs guerres majeures (2008-2009, 2012, 2014, 2021, 2023), en plus de dizaines d’escarmouches. Ces guerres sont devenues partie intégrante d’un cycle de conflit permanent, reflet de l’absence d’une solution politique globale.

Israël fonde sa stratégie sur la dissuasion. Son objectif est d’imposer l’idée que le coût de la résistance dépasse de loin ses bénéfices. Ainsi, Israël mène des frappes massives non seulement contre des cibles militaires, mais également contre des infrastructures civiles : routes, habitations, hôpitaux. Le but est double : affaiblir logistiquement les factions et terroriser psychologiquement la population civile pour l’amener à se retourner contre les factions.

La doctrine « dahiya »

Inspirée de la guerre du Liban en 2006, cette doctrine repose sur une destruction massive des zones résidentielles soupçonnées d’abriter des infrastructures militaires. Mais malgré cette brutalité, les factions palestiniennes ont continué à lancer des roquettes et à se battre, démontrant l’échec de cette stratégie à les neutraliser.

Les assassinats ciblés

Israël recourt régulièrement aux assassinats de dirigeants des factions, tels qu’Ahmed Yassine, Abdel Aziz al-Rantissi ou Bahaa Abou al-Atta. Si ces opérations visent à briser la chaîne de commandement, elles produisent souvent l’effet inverse : elles renforcent la popularité des factions et font émerger des leaders plus radicaux.

Les stratégies des factions palestiniennes

Conscientes de leur incapacité à vaincre Israël dans une guerre conventionnelle, les factions privilégient la guerre asymétrique et l’épuisement :

  • Les roquettes : d’armes artisanales rudimentaires, elles sont devenues capables d’atteindre Tel-Aviv et Haïfa. Peu précises, elles génèrent néanmoins une forte pression psychologique et politique.

  • Les tunnels : servant à transporter des armes ou à mener des infiltrations, ils ont obligé Israël à investir massivement dans des technologies de détection.

  • La guérilla urbaine : embuscades, engins explosifs, qui rendent toute incursion terrestre extrêmement coûteuse.

  • L’arme médiatique : images de destructions et de victimes pour appuyer le récit de résistance et mobiliser l’opinion publique mondiale.

La guerre des récits est aussi décisive que celle des armes. Israël met en avant le discours de la « légitime défense », soutenu par les médias occidentaux. Les factions, elles, misent sur la mise en lumière de la tragédie humanitaire de Gaza. Les réseaux sociaux ont amplifié cet aspect : une simple vidéo d’un enfant blessé peut émouvoir des millions de personnes.

Dimensions régionales et internationales

  • Égypte : médiateur principal dans les cessez-le-feu.

  • Qatar : soutien financier.

  • Iran : appui militaire et logistique à certaines factions.

  • États-Unis : allié inconditionnel d’Israël, lui fournissant armes et systèmes de défense comme le Dôme de fer.

  • Communauté internationale : souvent limitée à des condamnations timides.

Répercussions internes

  • En Israël : les guerres nourrissent l’angoisse permanente des citoyens, et chaque gouvernement peut exploiter ces conflits à des fins politiques.

  • En Palestine : si Gaza endure la catastrophe humanitaire, la popularité des factions armées se renforce, tandis que l’Autorité palestinienne est critiquée pour son inaction, accentuant les divisions entre Hamas et Fatah.

Les civils palestiniens paient le prix le plus lourd : milliers de morts, destructions massives, effondrement des services de base. En Israël, bien que les pertes soient moindres, la peur est omniprésente.

Le « conflit » reste sans issue : Israël ne peut anéantir les factions, et celles-ci ne peuvent mettre fin à l’occupation. Chaque guerre se conclut par un cessez-le-feu fragile qui vole en éclats.

Droit international et légitimité

Israël est accusé de crimes de guerre pour ses frappes contre des civils, tandis que les factions palestiniennes sont critiquées pour leurs tirs aveugles. Le droit international reste impuissant, alimentant le sentiment d’injustice.

Ces guerres récurrentes ne sont pas de simples batailles temporaires mais l’expression d’un dilemme politique non résolu. La puissance militaire israélienne n’a pas réussi à imposer une paix par soumission, et la résistance palestinienne ne peut libérer totalement la Palestine. La lutte s’inscrit dans un cercle vicieux.

Ce n’est pas seulement un conflit de frontières ou de roquettes, mais un affrontement sur l’identité, l’existence et la justice. Tant qu’une solution politique juste garantissant au peuple palestinien ses droits légitimes ne sera pas trouvée, les guerres se poursuivront, peut-être encore plus violentes.

L’histoire enseigne que les peuples en lutte ne sont pas vaincus et que l’occupation ne dure jamais éternellement. Ces guerres sanglantes pourraient bien annoncer une étape où le monde comprendra qu’ignorer les racines du conflit n’est plus une option, et que la paix véritable ne peut naître que de la justice. »


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.

*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.

Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Partie 541 : 6 octobre.

*Consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268)
*Consulter les Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
*Consulter les Témoignages du 10 mai au 5 octobre 2025 (partie 393 à 540)
Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi  et sur Le Poing.