Huda Skaik, 6 octobre 2025.- Gaza est une ville fantôme. L’obscurité, la fumée et les ombres la recouvrent, illuminées seulement par la lueur rouge des explosions. La ville ressemble à des scènes de films apocalyptiques : des histoires de fin du monde, de catastrophes humaines, de guerres mondiales. Les maisons sont désertes, les rues sont vidées et la mort nous encercle de toutes parts.
Chaque matin, de nouveaux tracts tombent du ciel comme neige, nous ordonnant de quitter Gaza et de filer vers le sud. La plupart des habitants les ignorent. Certains enfants les ramassent, non pas pour les lire, mais pour les brûler comme combustible pour cuisiner ; pour faire bouillir le peu de riz ou de lentilles qu’ils ont. L’ironie est insupportable : ces mêmes papiers qui exigent notre départ alimentent désormais nos petits feux.
Chaque jour, la survie est plus difficile, plus lourde. Les tâches les plus élémentaires sont des combats insurmontables. Les prix ne cessent d’augmenter et il n’y a presque plus rien à acheter. Les vagues de déplacements qui autrefois encombraient les routes se sont réduites à un mince filet.
Pour aller chercher de l’eau, il faut parcourir de longues distances à pied avec de lourds jerrycans, au risque d’être bombardé par des chars et de recevoir des balles de quadricoptères. Le bois de cuisine est inabordable : 1 kg coûte environ 2 dollars, ce qui suffit à peine à réchauffer une bouilloire.
La nourriture est extrêmement rare, car les points de passage sont fermés et les commerçants ne peuvent plus importer de marchandises du sud, la principale route côtière étant fermée.
Les rares vendeurs se rassemblent dans des zones comme le carrefour d’Al-Saraya, dans le quartier d’Al-Rimal, à l’ouest de Gaza-ville. Les rares produits disponibles sur les étals du marché sont à la fois inabordables et mauvais pour la santé : il s’agit principalement d’aliments sucrés comme le Nutella, des biscuits, du fromage, des chips et des nouilles, qui n’apportent pas suffisamment de protéines.
Les conserves sont encore plus rares et chères. 250 grammes de café coûtent désormais 38 dollars dans le nord, contre 16 dollars dans le sud. Les aliments qui construisent notre corps, comme les légumes, les fruits, les œufs, le poulet et la viande, ne sont plus disponibles depuis longtemps.
Les produits d’hygiène sont extrêmement rares, notamment les mouchoirs et les serviettes hygiéniques. Les médicaments sont quasiment impossibles à obtenir, laissant les malades et les personnes âgées sans défense. La plupart des soignants ont quitté Gaza avec leurs familles et les soins médicaux sont difficiles à obtenir. L’hôpital Al-Shifa fonctionne à peine.
Il reste peu de journalistes. La couverture médiatique depuis Gaza s’est réduite car de nombreux reporters ont fui, et ceux qui restent se déplaçent seulement quand c’est nécessaire et prennent des risques mesurés.

Carrefour d’Al-Saraya, quartier d’Al-Rimal, Gaza-ville, 4 octobre 2025. (Crédit photo : Khamis Al-Rifi.)
Depuis le mois dernier, l’occupation israélienne a intensifié ses frappes nocturnes pour effrayer la population et ouvrir la voie à ses troupes. Elle nous bombarde pour protéger ses soldats et commet des massacres. Chaque soir, bombardements et attaques incessants, notamment par drones, avions de chasse, frappes aériennes, tirs d’artillerie, hélicoptères et explosions de robots télécommandés et explosifs, l’armée israélienne faisant exploser des quartiers entiers au fil de son avancée. Les robots rasent d’immenses pâtés de maisons – une tactique utilisée pour la première fois lors de cette opération terrestre à Gaza. Ils ne sont pas loin. La survie n’est plus qu’un pari quotidien. Nous nous attendons à la mort à tout moment, et chaque minute pourrait être la dernière.
Les attaques s’intensifient chaque jour. J’entends les obus d’artillerie pilonner les quartiers ouest et est, le bourdonnement des drones au-dessus de nos têtes, les bombardements et les frappes aériennes, les balles des hélicoptères Apache et des quadricoptères, et le grincement des chars. Et j’entends les explosions des robots télécommandés. L’occupation ne cesse de lancer des avertissements de déplacement aux immeubles résidentiels qu’elle cible ensuite, semant la panique et laissant des gens sans abri.
La nuit, la ville est plongée dans une obscurité profonde – un paysage vide et spectral, illuminé seulement par des flammes gigantesques. Le silence règne, à l’exception des bruits du génocide qui s’efforcent de nous anéantir, nous et notre ville. À ces heures-là, impossible de se reposer ou de dormir. Chaque explosion suscite une nouvelle question : notre immeuble sera-t-il le prochain ? Les chars encercleront-ils notre quartier ? Le prochain obus fera-t-il s’effondrer notre maison ? Nous réveillerons-nous piégés ? Serons-nous contraints de nous déplacer, abandonnant tout derrière nous ?
Chaque nuit, je reste éveillé sur mon matelas et ma petite table, essayant de réviser pour mes examens finaux et de rendre mes devoirs. Mais je me surprends à ne compter que les secondes entre le grondement des explosions et le crépitement des chars. Le sol tremble à mesure que les forces israéliennes progressent vers mon quartier d’Al-Rimal, et je me demande si ce soir sera celui où elles nous atteindront. L’inquiétude est constante, pesant sur ma poitrine comme un poids insupportable. Chaque nuit me paraît plus longue et plus sombre que la précédente. Pour ceux qui sont encore à Gaza-ville, c’est ainsi que sont les nuits : interminables et chargées de peur.
La rue Al-Rashid, la principale route côtière reliant le nord et le sud de Gaza, a été fermée mercredi. L’armée israélienne a interdit tout mouvement du sud vers le nord. Les déplacements du nord vers le sud – pour les déplacements – sont toujours autorisés, mais sans aucune garantie de sécurité.
Vendredi, les chars et les troupes israéliennes avançaient vers le quartier de Tel al-Hawa, à l’ouest de Gaza-ville. Cette nuit-là, les attaques étaient incessantes et violentes. D’innombrables et lourdes frappes aériennes ont touché différents quartiers de la ville. Nous pensions qu’ils l’envahiraient au matin.
Après avoir présenté un plan de cessez-le-feu en 20 points pour Gaza, le président américain Donald Trump a fixé une date limite de réponse au Hamas pour dimanche. Vendredi matin, nous avons appris que le Hamas avait signifié un accord conditionnel sur certaines parties du plan, tout en insistant sur des garanties et la poursuite des négociations sur les points clés.
En réponse, Trump a publiquement exhorté Israël à « cesser immédiatement de bombarder Gaza » afin de sécuriser les libérations d’otages – un rare moment de pression directe des États-Unis sur les opérations militaires israéliennes. L’armée israélienne a également annoncé qu’elle entamerait les « préparatifs de la première phase » du plan de Trump.
Alors que le monde entier se tourne vers la proposition de Trump, nous vivons ici ce qui ressemble à un effacement de Gaza. La situation sur le terrain est totalement différente. Les chars sont toujours dans la ville et ne se sont jamais retirés. Les drones quadricoptères survolaient le quartier de Kanz, dans le quartier d’Al-Rimal, au centre de Gaza, ainsi que les quartiers ouest de la ville. Des bombardements d’artillerie lourde ont également eu lieu samedi autour du quartier universitaire, à l’ouest de Gaza, et se poursuivent au moment où j’écris ces lignes.
L’armée israélienne affirme avoir reconverti ses forces en opérations défensives. Pourtant, samedi, elle a commis un massacre brutal contre la famille Abdel Aal, faisant au moins 18 martyrs, pour la plupart des enfants, tués lors d’une frappe aérienne contre leur maison familiale dans le quartier d’Al-Tuffah, à l’est de Gaza. Plus de 30 personnes, dont la plupart étaient des enfants, ont été blessées. Plus de 20 personnes gisent encore sous les décombres. Un massacre horrible, avec des capacités d’assistance médicale quasi inexistantes et des équipes de la défense civile totalement démunies pour les secours dans cette zone.
Alors que les discussions sur un cessez-le-feu se font de plus en plus pressantes à l’étranger, ici à Gaza, nous vivons dans une étrange incertitude, suspendus entre espoir et anéantissement. Si le plan de Trump devient un outil pour imposer une cessation réelle, vérifiable et immédiate des attaques israéliennes, pour libérer les prisonniers des deux camps et obtenir un accès humanitaire, alors il existe une faible chance d’entamer le travail quasi impossible de reconstruction. Si le plan échoue, Gaza sera entièrement détruite et des habitants massacrés.
Les Palestiniens de Gaza affichent un optimisme prudent quant à la proposition de cessez-le-feu, mais une profonde inquiétude subsiste. Les habitants du nord espèrent ne plus être déplacés vers le sud. Des vies seront sauvées. Les personnes déplacées vers le sud rêvent de rentrer chez elles à Gaza et ailleurs dans le nord. Elles espèrent que les scènes de joie, de soulagement et de takbir de janvier, lorsque des centaines de milliers de personnes sont rentrées dans le nord, se reproduiront.
La perspective d’un cessez-le-feu n’est pas une question politique, mais une question de survie. Il s’agit de savoir si les familles survivront assez longtemps pour voir un autre jour. La seule question qui traverse l’esprit de tous ici est la suivante : ce génocide en cours prendra-t-il fin cette fois-ci, ou les bombardements reprendront-ils peu après ? Car si cette chance est manquée, Gaza pourrait ne pas survivre.
Article original en anglais sur Drop Site News / Traduction MR
L’auteure :
Huda Skaik est étudiante en littérature anglaise et écrivaine originaire de Gaza. Elle s’intéresse au reportage et à l’écriture. Membre de WANN, elle collabore également à The Intercept, MEE, The New Arab, The Nation, EI et WRMEA.