Partager la publication "À l’ONU, les puissances occidentales poussent à la reconnaissance d’une Palestine fantôme pour sauvegarder Israël"
Joseph Massad, 16 septembre 2025. Le 12 septembre, l’Assemblée générale des Nations unies a voté massivement en faveur d’une résolution en vue de relancer une solution à deux États.
Adoptée par 142 États, la « Déclaration de New York » préparait la voie d’un sommet prévu le 22 septembre pour encourager une plus grande reconnaissance d’un État palestinien fantomatique.
Ces derniers mois, nombre de gouvernements occidentaux se sont alignés sur ce projet d’État prôné par la France et l’Arabie saoudite.
La conférence de l’ONU a eu lieu alors que le génocide israélien à Gaza en est presque à sa deuxième année, avec au moins 64.000 Palestiniens tués et une crise humanitaire catastrophique infligée par un affamement instrumentalisé et par la destruction systématique du territoire.
En même temps qu’Israël poursuit sa solution finale contre Gaza, sa belligérance s’est étendue au-delà de Gaza vers le Liban, la Syrie, le Yémen, l’Iran, la Tunisie et même le Qatar où ses frappes contre Doha le mardi 9 septembre ont ciblé des négociateurs du Hamas et tué six personnes par la même occasion.
Et, en effet, les gouvernements qui continuent d’encourager la guerre israélienne d’annihilation prétendent désormais se faire les champions de l’« indépendance » palestinienne.
Le but apparent de cette manœuvre est de « réaliser une paix juste et durable au Moyen-Orient ». Son but réel, toutefois, est de sauver Israël de lui-même en sauvegardant son droit à rester un État suprémaciste, souscrit par des dizaines de lois qui privilégient les colons juifs et leurs descendants par rapport aux Palestiniens autochtones.
La reconnaissance occidentale d’un État palestinien fictif s’appuie entièrement sur leur reconnaissance de longue date de l’État raciste d’Israël en même temps. Elle a également été orchestrée afin d’étayer l’Autorité palestinienne collaboratrice comme un sous-traitant fiable de l’occupation coloniale d’Israël de la terre palestinienne en la baptisant « État ».
Quand les puissances occidentales reconnaissent un État palestinien non existant en défiant la réalité de sa non-existence, les questions centrales de l’actuelle colonisation juive israélienne – la reprise de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie, tout en terrorisant les Palestiniens autochtones sur place, sans parler de la guerre génocidaire sans relâche contre Gaza – sont reléguées à l’arrière-plan.
Au vu des efforts français et saoudiens, la lutte ne consiste plus à vouloir renverser la colonisation juive de peuplement ni à mettre un terme aux pogroms incessants en Cisjordanie. En lieu et place, elle vise à diriger tous les efforts internationaux – y compris cette conférence obscène – pour assurer la « reconnaissance » d’un État non existant.
De précédentes tentatives
Le sommet de ce mois n’est pas la première tentative en vue d’établir un État palestinien.
Le 22 septembre 1948, le Gouvernement de toute la Palestine (ou pan-palestinien – GTP) était fondé à Gaza et revendiquait la souveraineté sur toute la Palestine mandataire.
En pratique, il ne pouvait opérer que dans ce qui est devenu la bande de Gaza, après l’établissement de la colonie israélienne de peuplement au mois de mai précédent et de l’occupation israélienne de la moitié du territoire que le plan de partition de l’ONU avait désignée en tant qu’État palestinien.
Six des sept membres que comptait à l’époque la Ligue des États arabes reconnurent immédiatement le GTP. Seule la Jordanie, qui contrôlait la Palestine centrale et orientale, qu’elle allait annexer l’année suivante et rebaptiser « Cisjordanie » (la « Rive gauche » du Jourdain), refusait d’accorder cette reconnaissance. L’Occident reconnut bien vite l’annexion par la Jordanie de la Cisjordanie, mais pas celle de Jérusalem-Est.
En raison de l’hostilité de l’Occident à l’égard du GTP et de la complicité dans la division de la Palestine entre Israël et le roi Abdallah Ier de Jordanie dans le but d’empêcher toute souveraineté palestinienne, le GTP s’estompa et finit par se dissoudre en 1953.
En 1988, le Conseil national palestinien – le Parlement palestinien en exil, un organe de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) – proclama unilatéralement l’« indépendance » à Alger en soutien au Premier Soulèvement palestinien (1987-1993), que l’OLP allait en fin de compte écraser, puisque tel était le prix qu’il avait promis de payer pour signer les accords d’Oslo en 1993.
Alors que des dizaines de pays se précipitaient pour reconnaître cet État indépendant inexistant, les États-Unis refusaient catégoriquement de le faire.
En fait, les EU avaient été en partie responsables du blocage de l’indépendance palestinienne en 1947, quand ils avaient fait pression sur plusieurs pays pour qu’ils modifient leurs votes en dernière minute et qu’ils soutiennent la Résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies – le plan de partition.
Grâce aux efforts américains, ce plan octroya la majeure partie de la Palestine à la minorité des colons juifs, dont les EU s’empressèrent de reconnaître l’État en mai 1948.
Les EU prirent également soin de ne pas reconnaître le GTP, une stratégie qu’ils conservèrent en refusant de reconnaître la déclaration d’indépendance de l’OLP en 1988.
Après Oslo
Après les accords d’Oslo, en 1993-1994, qui donnèrent naissance à l’Autorité palestinienne (AP), les négociations avec Israël sur les questions cruciales – l’indépendance, les frontières, Jérusalem et le retour des réfugiés – ne se matérialisèrent jamais, malgré le passage d’une période d’intérim de cinq ans qui avait été convenue et qui devait se terminer en mai 1999.
Puisque les pourparlers concernant le « statut final » n’avaient même pas commencé, la président de l’AP, Yasser Arafat, menaça de déclarer l’indépendance de la Palestine dans la totalité de la Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza – des territoires où l’AP n’exerçait soit qu’un contrôle très limité soit aucun contrôle réel. Au milieu des menaces américaines et des mises en garde des gouvernements arabes proaméricains, Arafat fit marche arrière.
Les tentatives suivantes de l’AP en vue d’être reconnue par l’ONU en tant qu’État furent accueillies par des menaces de veto américain et par la suppression du financement américain des organisations de l’ONU qui allaient oser abonder dans ce sens.
L’UNESCO admit la Palestine comme État membre en novembre 2011, mais perdit par la suite son financement de la part des EU.
Même si l’AP ne déclara jamais un État palestinien (seule l’OLP l’a fait), suivant ainsi la résolution 67/19 de l’Assemblée générale de l’ONU, qui élevait par une majorité écrasante le statut de la Palestine au rang d’« État observateur non membre » en novembre 2012, l’AP se mit officiellement à utiliser le nom « État de Palestine » dans ses documents officiels et baptisa « ambassade » le bureau de sa mission à Washington DC – que le président américain Donald Trump ferma en 2018 au cours de son premier mandat à la présidence.
La poussée à la reconnaissance
Capitalisant sur le génocide israélien à Gaza, l’AP, qui fonctionne comme un agent loyal de l’occupation israélienne depuis 1993, a insisté pour obtenir, en guise de récompense pour son obéissance aux diktats israéliens, une reconnaissance accrue de l’État palestinien imaginaire par les pays européens mêmes qui avaient été les participants actifs au génocide israélien.
L’an dernier, cet effort s’est accéléré pour inclure plusieurs de ces pays, quoique pas les principaux facilitateurs du génocide.
En mai 2025, 143 pays sur 193 dans le monde avaient reconnu la Palestine comme État indépendant. Ce nombre va augmenter d’au moins une demi-douzaine ce mois-ci, et comptera même d’importants partenaires israéliens dans le crime : la France, le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni, auxquels on peut ajouter la Belgique, le Portugal, Malte et peut-être la Finlande.
Les EU, le principal complice d’Israël dans ses crimes contre le peuple palestinien, ont conservé la position qu’ils avaint adoptée dès 1948 : empêcher les Palestiniens d’établir un État fantomatique, à plus forte raison un État réel.
Toutefois, la Première ministre italienne, Georgia Meloni, s’est opposée au projet de reconnaissance, prétendant que « reconnaître l’État de Palestine avant qu’il soit établi pourrait s’avérer contre-productif ». Elle avait ajouté : « Je suis très favorable à l’État de Palestine, mais je ne suis pas partisane de le reconnaître avant de l’établir. »
Elle a raison.
Des déclarations creuses
La question de déclarer l’indépendance d’un État avant sa création et avant son indépendance réelle n’est pas aussi étrange qu’il y paraît d’abord.
En effet, certains pays ont proclamé leur indépendance très longtemps avant de l’obtenir, y compris les EU, qui se déclarèrent indépendants en 1776, alors que les Britanniques ne furent pas vaincus avant 1783. Les Français reconnurent l’indépendance américaine en 1778.
Les Grecs ont suivi en proclamant leur indépendance en 1822, même si leur révolution contre les Ottomans ne fut pas victorieuse avant la fin de cette décennie. En 1830, les puissances européennes qui avaient aidé les Grecs reconnurent leur nouvel État – et s’empressèrent de mettre le grappin dessus.Par contre, Haïti proclama son indépendance en 1804, 13 années après le début de sa révolution et après que les anciens esclaves avaient réussi à renverser l’esclavage, les colons français et l’État colonial français. Toutefois, les EU toujours esclavagistes, refusèrent de reconnaître Haïti jusqu’en 1862.
Dans le cas des EU, de la Grèce et de Haïti, ceux qui déclarèrent leur indépendance étaient ceux qui combattirent afin de chasser l’empire de leur État en devenir.
Dans le cas de l’AP, toutefois, les pays impérialistes européens cherchent à accorder la reconnaissance d’un État indépendant palestinien, non à la résistance qui combat les colons, mais aux collaborateurs du colonialisme israélien et de son occupation.
Ce n’est peut-être pas le but de Meloni, mais ce devrait être la préoccupation de ceux qui pensent qu’une telle reconnaissance fera cesser plutôt qu’approfondir le colonialisme et le contrôle des Israéliens – et consolidera plus encore leurs collaborateurs palestiniens.
Un exercice vain
Après avoir refusé pendant des décennies le droit à l’indépendance des Palestiniens, les États impérialistes occidentaux et les colonies de peuplement blanc sont aujourd’hui décidées à élargir le nombre de pays reconnaissant le droit palestinien à l’autodétermination et au statut d’État.
Mais la conférence de ce dimanche n’a rien fait de plus que de rassurer Israël de ce que son droit à l’existence en tant qu’État suprémaciste juif sera mieux garanti par la reconnaissance d’un État palestinien fictif par ses sponsors.
Les EU et Israël refusent d’accepter le « oui » comme réponse et ils croient que les Palestiniens, y compris l’AP collaboratrice, doivent se voir refuser à jamais ne serait-ce qu’un symbole d’indépendance et d’État.
Les Européens et les régimes arabes qui attisent cette initiative, par contre, croient que les attributs de l’« indépendance » constituent la meilleure façon de court-circuiter les aspirations palestiniennes et de faire dérailler leur lutte pour la libération en une illusion d’État qui ne fera rien pour menacer la suprématie juive israélienne.
Ce qui, par conséquent, restera de cette reconnaissance internationale sera la partie qui affirmera Israël comme un État suprémaciste juif existant à côté d’un État palestinien non existant et qui ne verra jamais le jour.
Comme je le prétendais ici-même l’an dernier, la seule façon de ces États de pénaliser Israël diplomatiquement consiste à supprimer la reconnaissance du droit d’Israël à être un État suprémaciste juif, à la boycotter et à lui imposer des sanctions internationales jusqu’à ce qu’il abroge enfin toutes ses lois racistes.
Sans cela, la conférence tout entière n’est qu’un exercice vain et elle constitue une preuve de plus de l’actuelle complicité de ses participants dans le génocide perpétré par Israël contre le peuple palestinien.
Article original en anglais sur Middle East Eye. Article en français sur Charleroi pour la Palestine / Traduction J-M. Flémal.