Partager la publication "Les alliés d’Israël abandonnent-ils un navire en perdition ?"
Joseph Massad, 14 août 2025. Une panique soudaine s’est emparée des partisans d’Israël dans le monde entier. Les régimes néocoloniaux occidentaux, notamment les colonies de peuplement blanches d’Australie, du Canada et de Nouvelle-Zélande, sont particulièrement inquiets du sort de la dernière colonie européenne d’Asie.
Même les organisations juives pro-israéliennes britanniques et américaines ont rejoint le nouveau chœur des inquiets.
Tout en défendant pleinement les crimes commis par Israël avant et depuis le 7 octobre 2023, ses partisans occidentaux ont soudainement développé des scrupules moraux face à la phase plus récente du génocide, où les bombardements et l’incinération continus de Gaza dans un holocauste sont désormais aggravés par la famine massive délibérée des survivants palestiniens.
Contrairement aux groupes juifs antisionistes et autres groupes juifs de gauche, qui ont condamné et protesté contre le génocide israélien depuis son début, les principales organisations juives pro-israéliennes britanniques et américaines sont restées, dans leur majorité, pleinement favorables aux actions israéliennes.
Cela a changé ces deux dernières semaines, avec l’apparition de déclarations d’inquiétude apparemment coordonnées et simultanées concernant la famine à Gaza.
Des images macabres d’enfants émaciés, de foules désespérées sur des sites de distribution d’aide militarisés et de Palestiniens affamés massacrés alors qu’ils tentaient d’accéder à la nourriture ont rendu intenable pour les gouvernements et institutions occidentaux pro-israéliens de continuer à justifier les crimes d’Israël ou à ignorer l’ampleur de la catastrophe humanitaire.
En dehors de son parrain américain, il devient de plus en plus clair que peu des alliés restants d’Israël sont prêts à le suivre jusqu’où il exige dans la poursuite du génocide et de la réoccupation de Gaza – et certains se préparent peut-être déjà à abandonner un navire en perdition.
Inquiétude tardive
Inquiets du sort d’Israël, ses défenseurs ont récemment tempéré leur jubilation face à la guerre par de simples clins d’œil à l’humanitarisme, cherchant à garantir la poursuite sans entrave de sa campagne génocidaire face à l’indignation mondiale croissante.
Le 27 juillet, le Comité juif américain (AJC), pro-israélien, a publié une déclaration soutenant la « guerre justifiée » menée par Israël pour éliminer la menace posée par le Hamas et obtenir la libération des otages restants, mais exprimant « son immense tristesse face au lourd tribut que cette guerre a fait payer aux civils palestiniens » et se disant « profondément préoccupé par l’aggravation de l’insécurité alimentaire à Gaza ».
L’AJC a également salué « l’annonce par Israël d’une série de mesures supplémentaires importantes visant à accroître le flux et la distribution de l’aide à Gaza ».
Il a exhorté « Israël, la Fondation humanitaire pour Gaza, l’ONU et toutes les parties responsables de la distribution de l’aide à renforcer leur coopération et leur coordination afin de garantir que l’aide humanitaire parvienne aux civils palestiniens à Gaza ».
L’AJC n’est pas la seule à exprimer tardivement son inquiétude pour les Palestiniens. La même semaine, l’Assemblée rabbinique new-yorkaise, représentant la confession juive conservatrice, a également exprimé son inquiétude face à l’aggravation de la crise humanitaire à Gaza, exigeant une action urgente pour alléger les souffrances des civils et garantir l’acheminement de l’aide.
L’Assemblée a appelé à un avenir fondé sur la justice, la dignité et la sécurité pour les Israéliens et les Palestiniens et a exhorté Israël à faire tout ce qui est en son pouvoir pour que l’aide humanitaire parvienne à ceux qui en ont besoin. Se référant aux enseignements juifs, elle a affirmé : « La tradition juive nous appelle à garantir l’approvisionnement en nourriture, en eau et en fournitures médicales en priorité absolue.»
Elle a été rejointe par l’Union pour le judaïsme réformé, la plus grande confession juive d’Amérique du Nord, qui s’était farouchement opposée au sionisme jusqu’aux années 1940.
Dans une déclaration publiée le 27 juillet, le Mouvement réformiste a déclaré : « Ni l’escalade de la pression militaire ni la restriction de l’aide humanitaire n’ont rapproché Israël d’un accord sur la prise d’otages ou de la fin de la guerre.» Il a ajouté : « Israël ne doit pas sacrifier sa propre valeur morale… Affamer les civils de Gaza ne lui apportera pas la “victoire totale” qu’il recherche sur le Hamas, et cela ne peut être justifié par les valeurs juives ou le droit humanitaire.»
Quelques jours plus tard, une lettre signée par 1.000 rabbins de diverses confessions du monde entier déclarait qu’ils « ne peuvent cautionner les massacres de civils, dont un grand nombre de femmes, d’enfants et de personnes âgées, ni l’utilisation de la famine comme arme de guerre ». Ils ont écrit : « Au nom de la réputation morale non seulement d’Israël, mais du judaïsme lui-même, le judaïsme auquel nous consacrons nos vies.»
Limitation des dégâts
Les déclarations d’inquiétude concernant la conduite d’Israël se sont propagées au-delà des États-Unis. Le 29 juillet, la plus grande organisation juive du Royaume-Uni, le Board of Deputies, a appelé à une « augmentation rapide, sans entrave et soutenue de l’aide par tous les canaux disponibles » aux Palestiniens de Gaza, un mois seulement après avoir sanctionné ses membres pour avoir critiqué les crimes commis par Israël dans cette région.
De fait, le même jour, un groupe de 31 personnalités israéliennes a également exhorté la communauté internationale à imposer des « sanctions paralysantes » à Israël pour avoir affamé les Palestiniens. Cet appel est intervenu un jour après que deux organisations israéliennes de défense des droits humains – B’Tselem et Médecins pour les droits de l’homme (Israël) – se soient jointes au reste du monde pour qualifier les actions d’Israël de « génocide ».
Même le président américain Donald Trump aurait crié au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, lors d’un récent appel téléphonique, de cesser de nier la famine.
Mais il ne faut pas croire que ce sentiment est universel, il ne l’est pas : un sondage récent a révélé que 79 % des juifs israéliens ne sont « pas si troublés » ou « pas du tout troublés » par les informations faisant état de famine et de souffrances à Gaza.
Des objections aux politiques israéliennes sont également venues de la plupart des régimes occidentaux, notamment concernant le nouveau plan israélien de réoccupation de Gaza. Même les principaux interlocuteurs du journal britannique pro-israélien The Guardian étaient en pleine panique, avertissant qu’une telle décision était préjudiciable à Israël, car « elle ne garantit pas une victoire militaire » et « intensifie le conflit avec le Hamas sans aucun moyen d’y mettre fin ».
Les soutiens occidentaux d’Israël – la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la France, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada et d’autres – se sont joints à l’opposition à la réoccupation.
Leurs protestations sont intervenues malgré les affirmations de Netanyahou selon lesquelles son objectif est simplement de « libérer Gaza du Hamas et de permettre l’établissement d’un gouvernement pacifique ».
Le gouvernement allemand, fanatiquement pro-israélien, qui a soutenu chaque action israélienne depuis octobre 2023, a désormais interdit toute nouvelle vente d’armes à l’État génocidaire qui pourrait être utilisée dans son holocauste en cours.
Cela est concomitant à la dernière ruse occidentale consistant à reconnaître un État palestinien fantasmatique à l’ONU le mois prochain, dans une tentative désespérée de sauver la colonie israélienne d’elle-même et de masquer le soutien occidental ouvert et actif au génocide.
Les mêmes dictatures arabes parrainées par l’Occident qui n’ont pas hésité à soutenir matériellement – sinon toujours rhétoriquement – le génocide d’Israël depuis qu’il a commencé coparrainent également ces mesures.
Un navire en perdition
Face aux rapporteurs indépendants de l’ONU et aux organisations de défense des droits humains – rejoints tardivement par certaines organisations israéliennes – qui reconnaissent le massacre de Gaza comme un génocide, il est devenu beaucoup plus difficile pour les gouvernements occidentaux et les médias grand public de justifier, de nier ou de mettre en doute l’ampleur des destructions et des massacres à Gaza, car ces récits sont devenus moins tenables ces derniers mois.
De plus, l’échec total d’Israël à gagner la guerre contre le Hamas, et encore moins contre l’Iran, et le sentiment que ses capacités militaires ne semblent efficaces que pour assassiner des civils – sans parvenir à les contraindre à la soumission – sont devenus des préoccupations majeures en matière de sécurité pour les gouvernements occidentaux.
Sans l’aide militaire, de renseignement, financière et diplomatique quotidienne de l’Occident, Israël n’aurait pu ni commettre le génocide ni se défendre contre les attaques de ceux contre lesquels il a agi agressivement pendant des décennies.
Le fait que le gouvernement israélien, soutenu par la majorité de l’électorat juif israélien, poursuive des politiques qui ont gravement porté atteinte à la réputation du pays auprès de l’opinion publique occidentale a ajouté l’insulte à l’injure pour ses partisans occidentaux.
À l’exception de son sponsor américain et mère patrie adoptive, les récents revers d’Israël ont poussé nombre de ses alliés à se précipiter vers des canots de sauvetage, peut-être peu disposés à couler avec un navire en perdition.
À la fin de la guerre de libération en Algérie à la fin des années 1950 et au début des années 1960, l’opinion publique française en avait assez de la violence barbare déchaînée par les colons français contre les Algériens et en France métropolitaine, dans une ultime tentative de préserver leur colonie de peuplement.
Nous observons une tendance similaire dans le cas israélien. Les sondages dans tout le monde occidental montrent qu’une majorité de l’opinion publique condamne les atrocités israéliennes, de la droite à la gauche. Même aux États-Unis, non seulement la gauche, mais aussi la droite pro-Trump, ont abandonné la colonie de peuplement et s’opposent au soutien américain à son égard.
L’inquiétude des partisans occidentaux obstinés d’Israël est que son sort puisse ressembler à celui de l’Algérie française. Le fait que Netanyahou lui-même s’inquiète depuis une décennie qu’Israël ne survive pas jusqu’à son 100e anniversaire renforce cette crainte qu’Israël accélère sa propre disparition.
Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR