Ibrahim Alloush, 8 août 2025.– Parmi les centaines de kilomètres carrés nouvellement occupés par l’entité sioniste dans le sud de la Syrie depuis le 8 décembre 2024, Jabal al-Sheikh, ou mont Hermon de son ancien nom cananéen, se distingue par son sommet situé à seulement 35 kilomètres de Damas, une distance inférieure à la portée maximale des obusiers de 155 cm équipés d’obus d’artillerie de précision « Excalibur ».
On sait que les États-Unis ont fourni ce type d’obus à l’Ukraine, et que cette dernière les a utilisés contre les forces russes au sol. Les moteurs de recherche ne fournissent que peu d’informations sur la possession d’obus « Excalibur » par l’ennemi sioniste, mais ces moteurs indiquent que la Jordanie en possède. On peut donc supposer que l’« armée » d’occupation est en possession de cette arme. En effet, comment les États-Unis pourraient-ils offrir à une armée arabe ce qu’ils n’auraient pas offert à l’entité sioniste ?
Depuis l’arrivée du nouveau régime, Damas s’est rapprochée des forces d’occupation et de leurs armes à courte portée, ce qui la place dans une position politiquement plus faible face à Tel-Aviv.
L’ennemi sioniste n’a pas besoin d’obus pour bombarder Damas depuis Jabal al-Cheikh, car il peut la bombarder avec des roquettes à très courte portée.
Jabal al-Cheikh n’est pas non plus le point le plus proche de Damas où l’armée d’occupation a établi une base solide, mais plutôt Qatana, dans la campagne damassienne, à environ 25 kilomètres de Damas, où l’occupation a établi une base dans le quartier général de l’ancienne 78e brigade, visitée par Avichai Adrei il y a quelques jours.
Mais Jabal al-Cheikh est le nouveau point stratégique le plus important sous le contrôle de l’occupation. Occupé par l’ennemi sioniste quelques heures seulement après la chute de l’ancien régime, ce sommet de 2814 mètres domine directement le Liban, la Syrie, la Palestine, le nord de la Jordanie et au-delà, de l’Irak à l’Égypte.
Loin de l’avantage militaire traditionnel que représente le contrôle d’un point aussi élevé, les stratèges sionistes le considèrent comme une mine de sécurité permettant de larguer des câbles de surveillance électronique en mer de manière intégrée, ce qui est impossible par surveillance aérienne. Son emplacement, en raison de son relief élevé et dominant, permet l’installation d’équipements lourds et de grandes antennes difficiles, voire impossibles, à cibler.
Cette nouvelle base de renseignement est une cible sérieuse pour les frères concernés lorsque les rounds avec le Hezbollah ou l’Iran reprendront, ou dans le contexte de la riposte à l’agression sioniste contre le Yémen, ou lorsque ceux qui dorment dans la boue se rendront compte du danger que représente la base de Jabal al-Cheikh pour leurs systèmes de sécurité, bien plus qu’un post d’opposition ici ou un tweet controversé là.
Notons cependant qu’il y a toujours eu une base de renseignement pour l’Unité 8200 à un point plus bas, à l’arrière de Jabal al-Sheikh, occupé par les sionistes (Israel Hayom, 16 septembre 2012). Mais les nouvelles bases, plus élevées, capables d’exercer une surveillance à 360 degrés, deviennent plus dangereuses pour la mer.
Dans un contexte des plus étranges, une éminente université américaine, la Loyola Mary Mount University de Los Angeles, a signé un rapport publié le 22 juillet 2025 intitulé « Détection des menaces : L’ombre du mont Cheikh, cible des missiles iraniens contre Israël » (« Threat Detection: The Shadow of Mount El-Sheikh as Iran’s Missiles Target Israel »). Il parle du danger d’une infiltration de l’Iran ou du Hezbollah dans les zones adjacentes au mont Cheikh, dans le sud de la Syrie, et il décrit cette montagne comme d’un point géopolitique dominant.
Les informations récurrentes, parfois véhémentes et incompréhensibles, relayées par les médias sur les opérations spéciales israéliennes visant des « milices ou groupes affiliés au Hezbollah ou à l’Iran » dans le sud de la Syrie, notamment dans les gouvernorats de Qouneitra, de la campagne de Damas et de Deraa, découlent apparemment de cette obsession sioniste pour la menace qui pèse sur la base de Jabal al-Cheikh.
Il est évident que tirer des missiles d’une portée de quelques kilomètres seulement, ou des drones, depuis les environs de la nouvelle base de Jabal al-Cheikh serait plus simple, tant sur le plan opérationnel que politique, que de les lancer depuis des lieux éloignés.
Dans le contexte immédiat de la base de Jabal al-Cheikh, le discours sur le désarmement du Hezbollah dans le gouvernorat de Nabatieh en particulier va dans le même sens, tout comme son désarmement dans le sud du gouvernorat de la Bekaa, dans le district de Rachaya et plus loin, à l’est, jusqu’à Baalbek, ce qui explique certaines tentatives de réinterprétation de la résolution 1701 pour y inclure le désarmement du Hezbollah à l’est et au nord du Litani, plutôt que seulement au sud.
L’essentiel ici est que garantir la protection de la nouvelle base de renseignement de Jabal al-Cheikh nécessite objectivement la transformation de la zone environnante, en Syrie et au Liban, en une zone militairement démilitarisée et un protectorat politique israélien, tout comme le contrôle de la mer au nord nécessite la capacité de surveiller « tout » radar et engin électronique depuis le sommet de Jabal al-Cheikh.
Cependant, bien qu’il s’agisse d’un point crucial, il serait erroné d’interpréter les objectifs stratégiques d’Israël en Syrie uniquement à partir de la base de Jabal al-Cheikh, plutôt que de la nouvelle base d’occupation de Jabal al-Cheikh à partir de ses objectifs stratégiques globaux en Syrie.
Israël a toujours cherché à imposer à la périphérie une formule consistant à y établir sa liberté d’action militaire et d’opérations spéciales, premièrement, sans que les forces opérant dans les zones ciblées puissent entraver cette « liberté », deuxièmement, ni même y répondre efficacement.
L’imposition de ce principe opérationnel nécessite de saper les capacités militaires, de démanteler les systèmes de commandement et de contrôle, voire de dissoudre l’armée, afin de transformer la périphérie, et pas seulement la Syrie, en un « arrière-cour » qu’Israël peut repenser et coordonner en fonction de sa vision stratégique pour la région.
Quiconque observe la carte de l’expansion de l’occupation sioniste dans le sud de la Syrie, à la veille du 8 décembre 2024, constate qu’elle prend la forme d’une langue qui s’étend aux alentours de la ville de Qouneitra, puis s’étend de nouveau vers le nord et l’est à mesure qu’elle se rapproche de Damas, malgré les déclarations de Netanyahou qui disait, à la veille de cette expansion : « Israël ne cherche qu’à se protéger et ne souhaite pas s’ingérer dans les affaires intérieures de la Syrie ».
Ce n’est pas en vain que l’opération israélienne en Syrie, après le 8 décembre 2024, a été appelée « Flèche de Bashan », dans une réinterprétation biblique du sud de la Syrie, qui ne peut qu’indiquer des ambitions d’expansion fondées sur le dicton de la « Terre promise » de l’Euphrate au Nil.
Le ministre des Finances Smotrich est apparu dans un documentaire pour la chaîne publique européenne Arte, environ deux mois avant l’opération Flèche de Bashan ; il y déclare avoir « écrit que l’avenir de Jérusalem est de s’étendre jusqu’à Damas » et qu’Israël s’étendrait « petit à petit » pour finalement inclure l’ensemble des « territoires palestiniens », ainsi que la Syrie, le Liban, la Jordanie, l’Irak, l’Égypte et l’Arabie saoudite.
Viennent ensuite l’extension du cordon des zones tampons, l’expansion des réserves démilitarisées pour protéger ces zones tampons, et l’imposition d’arrangements politiques avec les dirigeants des capitales arabes pour se soumettre à la logique de la « sécurité nationale israélienne », confirmant ainsi que le projet d’expansion sioniste bat son plein, que ce soit militairement ou non.
La tentative d’imposer des zones « démilitarisées » dans le sud de la Syrie, au sud du Litani au Liban, ou dans toutes les régions de l’Autorité palestinienne, n’est rien d’autre qu’une répétition du modèle des zones démilitarisées à des degrés divers au Sinaï, en vertu de l’accord du 26 mars 1979 (traité de paix israélo-égyptien, NdT), en particulier la zone C, entièrement démilitarisée, devenue un foyer de terrorisme takfiri, conséquence naturelle du déclin de l’autorité de l’État, et ce fut l’un des fruits de la normalisation avec l’ennemi sioniste, bien sûr.
L’opération Flèche de Bashan comprenait :
a) L’expansion géographique de l’occupation sioniste, conformément à ses ambitions expansionnistes ;
b) La destruction systématique des capacités militaires syriennes, sous forme de missiles, de moyens aériens et maritimes ;
c) L’affaiblissement de l’autorité centrale, ou de ce qui en restait, après une décennie et demie de guerre et de siège, en insistant sur une zone démilitarisée dans les gouvernorats de Quneitra, Deraa et Soueida.
Netanyahou avait déclaré le 23 février 2025 qu’Israël ne permettrait pas à l’armée du nouveau régime syrien d’opérer au sud de Damas.
Cependant, les résultats de l’opération Flèche de Bashan ne doivent pas être interprétés indépendamment de l’expérience de destruction des capacités militaires, de démantèlement des forces armées et d’affaiblissement de l’autorité centrale, de l’Irak à la Libye, ni des conséquences des « zones d’exclusion aérienne » imposées par les États-Unis en Irak, notamment la consolidation du séparatisme dans le nord, ni de la résolution sur la zone d’exclusion aérienne imposée par le Conseil de sécurité en Libye en 2011, et du démantèlement du pays en trois États qui en a résulté. L’Armée du Sud-Liban a récemment été déployée auprès du groupe Yasser Abou Shabab, à l’est de Rafah.
On peut prouver, sans trop d’efforts, que la main des sionistes n’étaient pas loin dans l’agression contre l’Irak, la Libye ou la Syrie, ni dans les tentatives de démantèlement de ces pays, ni dans les tentatives de démantèlement du Soudan, qui vit aujourd’hui un nouveau chapitre sanglant dans le processus de séparation de la région du Darfour, après en avoir séparé son sud et les trois quarts de ses richesses pétrolières.
Le lobby sioniste aux États-Unis a été le premier à prôner la sécession du Darfour il y a plus de vingt ans, sous prétexte de défendre les civils non arabes. Les Janjawids, accusés d’avoir massacré ces civils, sont aujourd’hui chargés de séparer le sud-ouest du Soudan de Khartoum, dans un contexte assez proche du projet israélien lui-même.
Dans le sud de la Syrie, comme au Soudan, nous assistons aujourd’hui à un conflit entre deux parties, toutes deux ayant ouvertement normalisé avec l’ennemi sioniste, et qui pensent et agissent de manière factionnelle fermée, source de divisions et de massacres, et qui sont tout bénéfice pour Tel-Aviv, car elles mènent à leur désintégration.
Bien sûr, cela ne diminue en rien la gravité des massacres, violations et crimes qui auraient naturellement été commis par le parti terroriste takfiri, car le singe ne se transforme pas en gazelle par la magie de la reconnaissance régionale et internationale. Cependant, nous affirmons que l’absence de projet national de part et d’autre, l’absence de dirigeants et d’élites nationaux, et l’absence d’une boussole sensible sur la question de la normalisation avec l’ennemi sioniste, laissent une large place à l’exploitation des griefs de la « majorité » ou de la « minorité » au service de l’agenda sioniste.
Sommes-nous donc entrés dans l’« ère israélienne » ? D’un côté, il y a la Flèche de Bashan, qui part dans toutes les directions, et de l’autre, il y a la pression du « Projet Abrahamique » (les Accords d’Abraham, NdT) pour intégrer l’entité sioniste dans la région, économiquement, politiquement et religieusement, en échange de divers avantages, dont la levée des sanctions ou l’obtention de l’approbation et de la protection de l’administration américaine.
Plusieurs médias évoquent un projet israélien visant à établir le « Couloir de David » en Syrie. Ce projet permettrait d’atteindre l’Euphrate depuis le Golan syrien, via Deraa et Soueida, en passant par la base d’Al-Tanf, où les Américains affirment qu’ils resteront après leur retrait progressif de Syrie, jusqu’à Albu Kamal et les zones contrôlées par les milices des FDS (Forces de Défense syriennes) dans l’est de la Syrie, puis vers le nord de l’Irak.
Certains situent le projet de « Couloir de David » dans le contexte du corridor indo-européen, à travers le Moyen-Orient, et de la confrontation occidentale avec la Russie et la Chine.
Cependant, l’expression « Couloir de David », qui circule de plus en plus ces dernières semaines, n’est que la version actuelle du projet de démantèlement de la Syrie par la création d’une « alliance minoritaire » en Syrie, sous l’égide des soi-disant « FDS », face à ce qui est présenté comme une « incursion de la majorité » dont les milices terroristes takfiristes sont devenues l’instrument.
Ce projet « minoritaire » n’est que l’autre face du projet « majoritaire », car tous deux sont en train de déchirer la Syrie.
Bien sûr, cela ne signifie pas qu’il existe un consensus sur le démembrement de la Syrie ici et maintenant car certains, du côté américano-sioniste, ont tiré les leçons de l’Irak et ont constaté que ce déchirement inconsidéré a conduit à un renforcement de l’influence iranienne dans ce pays. Certains craignent d’ailleurs que la Turquie ne s’étende de la même manière en Syrie si le nouveau régime s’effondre complètement.
Il faut prêter attention à un article important rédigé par deux experts israéliens, publié sur le site web de l’Atlantic Council le 2 juillet 2025 et intitulé « Pourquoi le succès de la charia en Syrie est-il bénéfique à Israël et aux États-Unis ? ». Ces deux experts soulignent que l’effondrement du nouveau régime syrien pourrait ouvrir la voie à une infiltration iranienne, comme ce fut le cas au Liban, et permettre aux milices takfiristes de s’échapper, ce qui entraînerait une expansion turque qui opposerait Israël à la Turquie en Syrie.
Les deux experts rassurent ceux qui s’inquiètent de l’intégration de terroristes étrangers dans la nouvelle armée syrienne, ou de l’inclusion de milices d’opposition syriennes, en affirmant que « le nouveau gouvernement de Damas n’est pas le Hamas et ne semble pas rechercher une confrontation ouverte avec Israël », après avoir énuméré ses « réalisations » dans les domaines de l’élimination des factions palestiniennes en Syrie et de la lutte vigoureuse contre les opérations de contrebande d’armes à destination du Hezbollah au Liban.
D’autre part, les deux experts estiment que la Syrie, sous son nouveau régime, offre à Israël des opportunités prometteuses dans le domaine du « développement énergétique », de l’établissement de routes commerciales terrestres potentielles sur la ligne Inde-Moyen-Orient, du « confinement des mandataires de l’Iran », et même de la normalisation complète dans le cadre des accords d’Abraham.
Ce qui importe ici, c’est que le projet de « détruire » le nouveau régime syrien et de démanteler la Syrie n’est pas résolu, même parmi les élites israéliennes. Par conséquent, mon humble avis est que le camp américano-sioniste maintiendra le nouveau régime suffisamment faible et désarticulé pour appliquer ses dictats extérieurs, et suffisamment fort pour éviter que l’expérience iranienne en Irak et turque en Syrie ne se reproduise, et qu’une partie légalement autorisée à signer des accords de normalisation soit créée (c’est le sens de la reconnaissance régionale et internationale générale du nouveau régime, malgré son passé criminel et ses antécédents terroristes takfiri).
D’un autre côté, chacun doit comprendre qu’Israël ne peut être un sauveur, que ce qui se passe aujourd’hui en Syrie est en grande partie ce qu’il a créé, avec la Turquie, et que s’appuyer sur eux et sur d’autres Syriens ne fera qu’engendrer des conflits et des massacres qui perdureront après la disparition de l’entité temporaire.
De grandes figures comme Sayyid Hassan Nasrallah, Sultan Pacha al-Atrash, Saleh al-Ali, Fares al-Khoury, Ibrahim Hanano ou Kamal Joumblatt se sont fait connaître en utilisant la secte qui les a vus naître dans un projet national d’envergure, plutôt qu’en réduisant la patrie à une étroite dimension sectaire, ethnique ou régionale.
Aujourd’hui, nous ne trouvons plus de héros comme Essam Zahr al-Din ou Samir Kuntar, mais plutôt des figures mesquines qui tirent leur rôle de l’occupation sioniste, turque ou américaine. À mon humble avis, il s’agit d’un problème généralisé, inhérent à la « conscience » factionnelle étroite, qu’elle soit « minoritaire » ou « majoritaire ».
L’un des succès du parti Baas en Syrie a été de créer un cadre d’intégration interconfessionnel et régional, doté d’une dimension nationale. L’érosion interne du parti Baas, l’érosion de son rôle dans la société syrienne et son éloignement de son idéologie sous prétexte de « modernisation » ont été l’une des causes du grand effondrement syrien. Mais c’est un autre titre pour une autre fois.
Article original sur Al Mayadeen / Traduction MR