Ahmad Ibsais, 11 août 2025. Si vous lisez la presse occidentale ce matin, vous en viendrez peut-être à croire que le désir du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu de prendre le contrôle militaire de Gaza est nouveau. Mais larguer des bombes de 2000 livres ne sauve pas les captifs et anéantir des quartiers entiers ne se fait pas sans des plans pour construire quelque chose à leur place.

11 août 2025. Un autre journaliste a été tué ce soir à Gaza. Ziyad Youssef al Razi travaillait pour la chaîne de télévision officielle « Falastin » ou Palestine TV.
Vendredi, le cabinet de sécurité israélien a approuvé l’occupation de la ville de Gaza, officialisant ce qui a toujours été la fin de ce génocide. Le plan suit une séquence délibérée : d’abord détruire, puis affamer, occuper, exiger la démilitarisation, et enfin procéder à un nettoyage ethnique complet une fois que les Palestiniens n’ont plus de pouvoir politique et de capacité à résister. C’est ainsi que le rêve du « Grand Israël » est réalisé.
Mais pourquoi officialiser cette occupation maintenant, après 22 mois de massacre systématique ? Parce que la scène de crime doit être nettoyée avant que le monde ne voie ce qui reste de Gaza.
Dimanche, l’armée israélienne a assassiné les journalistes d’Al Jazeera Anas al-Sharif, Mohammed Qreiqeh, Ibrahim Zaher, Mohammed Noufal et Moamen Aliwa en larguant un missile sur une tente des médias près de l’hôpital al-Shifa. Leurs noms s’ajoutent désormais à la longue liste de plus de 230 journalistes et professionnels des médias palestiniens qu’Israël a tués depuis octobre 2023.
Alors qu’Israël interdit à tous les médias étrangers d’accéder librement à Gaza, les journalistes palestiniens sont les seuls responsables de la couverture et de la documentation des crimes de guerre israéliens. L’assassinat est un message clair pour eux d’arrêter, de se taire.
Pendant ce temps, les journalistes étrangers qui ont pris part aux vols de largage aérien d’aide à destination de Gaza ont également été mis en garde. Les images aériennes qu’ils ont diffusées ont permis d’entrevoir le cadavre de Gaza : un patchwork de béton brisé, de ruines et de rues creusées. La désolation la plus totale.
Les images ont choqué les téléspectateurs du monde entier et le gouvernement israélien a donc rapidement interdit de filmer lors de ces vols, avertissant que les largages d’aide seraient interrompus en cas de violations.
Israël sait qu’il ne peut pas continuer à bloquer éternellement l’accès des médias étrangers à Gaza. Le génocide finira par prendre fin ; les convois d’aide et les travailleurs humanitaires seront autorisés à entrer et avec eux, les journalistes étrangers avec des caméras.
Donc, avant que ce jour n’arrive, Israël se précipite pour effacer les preuves parce qu’une fois que le monde verra Gaza, il ne sera plus en mesure de prétendre que la guerre portait sur autre chose que le massacre des Palestiniens et l’effacement de leur histoire.
L’occupation de la ville de Gaza, c’est le meurtrier qui revient sur la scène du crime pour cacher le corps. L’objectif n’est pas seulement de dissimuler les crimes, mais de convaincre le monde que les morts ne sont pas morts et que ce que nous voyons n’est pas ce qu’il est.
Le bilan officiel à Gaza s’élève à 60.000 morts, un nombre qui, selon de nombreux experts, est sous-estimé. Selon les estimations, des centaines de milliers de Palestiniens ont probablement été assassinés. Comme l’ont déclaré des experts de l’ONU le 7 août, « Israël extermine le peuple de Gaza par tous les moyens ». Il y a beaucoup de crimes à dissimuler.
Nous avons déjà vu le modus operandi de l’armée israélienne pour tenter de détruire des preuves à Gaza. Elle a enterré des civils massacrés dans des fosses communes avec des bulldozers ; elle a dissimulé les corps de victimes palestiniennes de torture ; elle a enfoui dans le sable des scènes entières de crime ; elle a placé des armes dans des hôpitaux qu’elle a saccagés ; elle a menti sur la découverte de tunnels.
Tout cela s’inscrit parfaitement dans la longue histoire d’Israël d’enterrer les preuves d’atrocités. Depuis 1948, les autorités israéliennes ont systématiquement effacé leur nettoyage ethnique des Palestiniens en construisant sur les ruines des villages et des villes palestiniens pillés.
Les services de renseignement israéliens ont également retiré des archives des documents qui fournissent des preuves que les forces sionistes et israéliennes ont commis des crimes de guerre pendant la Nakba de 1948. Certains des documents qui ont disparu donnent des détails horribles sur la brutalité des combattants sionistes lors des massacres de Palestiniens, comme dans le village de Dawaymeh, près d’Hébron, où des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants palestiniens ont été tués par des tirs d’artillerie ou exécutés directement. En 1955, la colonie d’Amatzia a été construite sur les ruines du village palestinien.
En occupant maintenant la partie nord de la bande de Gaza, Israël aura certainement recours à ces mêmes méthodes d’effacement et de falsification. Il sera également en mesure de contrôler la couverture médiatique étrangère, comme il l’a fait jusqu’à présent.
L’armée israélienne n’a autorisé l’accès à Gaza à Gaza qu’à des conditions strictes qui transforment les reporters en participants à la hasbara. Les journalistes embarqués doivent soumettre tous les documents à un examen militaire avant d’être publiés, doivent opérer sous observation constante et ne peuvent pas parler librement avec les Palestiniens.
Les journalistes deviennent ainsi les porte-parole de l’armée israélienne, répétant comme des perroquets leurs justifications pour la destruction massive et propageant leurs mensonges sur les civils palestiniens comme des « boucliers humains » et les hôpitaux et les écoles de Gaza comme des « centres terroristes ».
L’occupation à grande échelle peut également contribuer à faciliter d’autres massacres et nettoyages ethniques. Ceux qui refusent le déplacement forcé seront qualifiés de « militants » pour excuser leur massacre. Israël a utilisé cette stratégie au début du génocide, larguant des tracts avertissant les Palestiniens du nord de Gaza qu’ils seront considérés comme des « partenaires d’une organisation terroriste » s’ils ne se conforment pas aux « ordres d’évacuation ».
Les déplacements de masse sont essentiels à la dissimulation car ils créent un nouveau récit selon lequel les Palestiniens migrent volontairement plutôt que d’être nettoyés ethniquement. L’objectif à court terme est de forcer ceux qui acceptent de se soumettre à se réfugier dans des camps de concentration dans le sud et de les séparer de leurs maisons et de leurs terres. Au fil du temps, il deviendra plus facile d’expulser les Palestiniens ailleurs et de leur refuser le droit au retour. C’est de la même manière que les réfugiés de la Nakba ont été contraints de fuir vers Gaza puis privés de leur droit au retour internationalement reconnu.
La réponse de la communauté internationale au plan israélien n’a été que de nouvelles condamnations. L’Allemagne est allée jusqu’à suspendre les exportations militaires susceptibles d’être utilisées à Gaza – une mesure qui aurait dû être prise il y a 22 mois, lorsqu’Israël a commencé à bombarder aveuglément des civils.
Ces actions sont pathétiques. Elles n’absolvent pas ces gouvernements de leur complicité dans l’aide et l’encouragement au crime de génocide ; elles ne sont qu’un autre signe de leur lâcheté morale.
La communauté internationale doit prendre des mesures décisives. Elle doit entreprendre une intervention militaire, comme le prévoit le droit international, pour contraindre Israël à mettre immédiatement fin aux violences, autoriser l’acheminement sans restriction de l’aide humanitaire à Gaza et accorder aux Palestiniens la liberté à laquelle ils ont droit. Les journalistes internationaux doivent bénéficier d’un accès immédiat afin de recueillir les preuves restantes des crimes d’Israël avant qu’elles ne disparaissent sous le couvert d’« opérations militaires »..
Il est temps que le monde commence à croire les Palestiniens. Pendant 22 mois, ils ont dit que c’était un génocide. Ils l’ont dit alors qu’ils étaient coincés sous les décombres, alors qu’ils mouraient de faim, alors qu’ils portaient les corps de leurs enfants. Ils ont dit qu’Israël ne se défendait pas, mais essayait d’effacer les Palestiniens. Ils ont déclaré que l’occupation et le nettoyage ethnique étaient l’objectif. Les hommes politiques israéliens eux-mêmes l’ont dit.
En l’absence d’une action internationale urgente, l’expression « plus jamais ça » ne se référera pas à la prévention du génocide, mais à l’existence de la vie palestinienne à Gaza. La vérité pour laquelle tant de Palestiniens sont morts ne doit pas être enterrée avec leurs corps.
Article original en anglais sur Al Jazeera / Traduction MR
L’auteur :
Ahmad Ibsais est un Américain d’origine palestinienne de première génération et un étudiant en droit. Il administre le blog State of Siege.