Georges Ibrahim Abdallah : « Nous n’accepterons jamais que le Levant arabe devienne une nouvelle Somalie. »

Alain Marshal, 5 août 2025. Cette interview de Georges Abdallah, accordée à un média iranien arabophone, démontre que l’ex-doyen des prisonniers politiques d’Europe reste entièrement fidèle à son engagement. Loin des propos aseptisés publiés dans L’Humanité, il exprime un soutien sans réserve à l’Axe de la Résistance et à la libération totale de la Palestine, sans aucune considération pour l’imposture du processus de paix ou de la solution à deux Etats, qui n’ont fait que servir l’expansion d’Israël et la lente liquidation de la cause palestinienne. Ceux qui conditionnent leur solidarité avec Gaza à une condamnation du Hamas (ou du Hezbollah) y trouveront un désaveu cinglant.

INTERVIEW DE GEORGES IBRAHIM ABDALLAH, par Al-Alam, 31 juillet 2025 – Traduction et notes entre parenthèses : Alain Marshal

Présentatrice : Depuis le village de Qobayat, dans le nord du Liban, je vous souhaite la bienvenue, chers téléspectateurs, dans cette édition spéciale de l’émission Invité et Dialogue. Nous sommes venus ici pour rencontrer directement et dialoguer avec un grand militant, le professeur Georges Abdallah [instituteur de métier], qui a passé 41 années derrière les barreaux des prisons françaises. Qui est ce militant ? Après ce reportage, nous reviendrons pour l’entretien.

Reportage : Quarante et un ans d’incarcération, sans avoir commis d’autre crime que celui de lutter. Georges Ibrahim Abdallah, militant libanais, est enfin de retour dans son pays natal, après avoir passé plus de quatre décennies dans les prisons françaises, emprisonné pour des motifs politiques dissimulés sous un vernis juridique.

Né en 1951 à Qobayat, dans une famille maronite, Abdallah choisit très tôt d’être la voix des opprimés, soutenant les causes nationalistes arabes et se tenant aux côtés de la Palestine, non par les mots mais par l’action et le terrain. Il rejoint les rangs du Front populaire de libération de la Palestine, affronte l’occupation israélienne du Liban en 1982, puis devient l’un des fondateurs des Fractions armées révolutionnaires libanaises, sous la bannière de la résistance contre l’impérialisme et l’occupation.

En 1984, il est arrêté dans des circonstances troubles par les autorités françaises, accusé de complicité dans des opérations menées en soutien à la cause palestinienne. En 1987, il est condamné à la réclusion à perpétuité. Il déclare alors : « Je suis un combattant, pas un criminel. C’est la violation des droits humains en Palestine qui a déterminé mon engagement. »

Bien qu’il remplisse depuis 1999 toutes les conditions légales pour être libéré, la France refuse de le relâcher, cédant aux pressions américaines et israéliennes. On exige de Georges Abdallah qu’il présente des excuses, qu’il reconnaisse son erreur et admette que ses actes relevaient du crime. Sa réponse est légendaire : « Je ne regretterai jamais rien, je ne transigerai pas, et je resterai un résistant. »

S’en sont suivies des années de solidarité, de mobilisations, de sit-in devant les ambassades françaises, et un refus constant d’un État qui se dit démocratique, tout en maintenant derrière les barreaux un homme uniquement pour avoir résisté.

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Présentatrice Je vous souhaite à nouveau la bienvenue, chers téléspectateurs, dans cette édition de l’émission « Invité et Dialogue », dans laquelle nous rencontrons le grand militant, le militant géant, le professeur Georges Abdallah, après son retour au Liban suite à 41 années de détention dans les prisons françaises. Bienvenue, professeur Georges. C’est tout le Liban, et même tout le monde arabe qui t’accueille après cette longue absence. Malgré cette absence, la lutte a continué. Nous parlerons de tout cela, mais je commencerai par une question : quelle a été la première impression de Georges Abdallah lorsqu’il a foulé le sol libanais ?

Georges Ibrahim Abdallah : C’est un sentiment de chaleur… la chaleur du peuple. Ce sentiment que notre peuple est un peuple résistant, digne de la liberté, et qui possède tous les atouts pour la défendre sous toutes ses formes. Dès mon arrivée, avant même ma sortie de l’avion, des Libanaises et des Libanais étaient à bord. Dès qu’ils ont su que j’étais présent, ils se sont levés et ont exprimé leurs sentiments. Cela m’a réchauffé le cœur et m’a rassuré.

Présentateur Et que dire des foules venues t’accueillir ?

Georges Ibrahim Abdallah : Au départ, il y avait les agents de sécurité. Leurs visages étaient radieux, et ils exprimaient beaucoup d’amour. Puis, dès mon arrivée dans le hall de l’aéroport, j’ai vu toutes les forces vives du Liban exprimer le sens de leur engagement. Cela m’a rassuré, car je les ai vues toutes unies. Cela confirme la capacité de nos forces vives à faire face victorieusement au projet de « somalisation » mené par les puissances impérialistes pour transformer tout le Levant arabe en foyers de conflits sanglants, dont l’extermination serait supervisée par Israël.

Présentateur Une question, professeur Georges : lorsque tu as appris que ta libération allait réellement avoir lieu cette fois, et que tu allais rentrer au Liban, ce retour s’est fait dans des circonstances très préoccupantes. Le Liban traverse une période difficile, après une guerre dévastatrice et la perte de nombreux dirigeants de la Résistance. Quelle a été ta plus grande inquiétude concernant le Liban ?

Georges Ibrahim Abdallah : La perte des martyrs a en réalité deux visages. L’un douloureux, très douloureux, car ce sont des dirigeants historiques qui nous quittent. Mais l’autre est radieux : lorsque les dirigeants tombent en martyrs, cela signifie que le mouvement populaire qu’ils dirigent ne peut être vaincu. En général, les dirigeants porteurs d’idées et de valeurs révolutionnaires restent à leur poste, quels que soient les dangers. Les dirigeants hypocrites, eux, fuient. En réalité, quand on voit que les meilleurs des dirigeants sont tombés, on sait que la victoire approche, et qu’elle est inévitable. Un mouvement capable de produire de tels dirigeants…

Présentateur Cela ne t’inquiète donc pas ? Cela te rassure ?

Georges Ibrahim Abdallah : Non, cela ne m’inquiète pas du tout. J’ai vu les compagnons de ces dirigeants en première ligne, ils étaient les premiers à m’accueillir. Cela m’a rempli de sérénité. Quand vous voyez les compagnons de Sayed [Hassan Nasrallah] en tête, côte à côte avec ceux des autres partis, vous vous dites : la « somalisation » échouera inévitablement.

Présentateur Tu suivais donc la trajectoire de Son Éminence Sayed Hassan Nasrallah ?

Georges Ibrahim Abdallah : Je suivais de près tous les développements au Liban, dans leurs moindres détails, par tous les moyens à ma disposition.

Présentateur Tu as donc suivi tout le parcours du Sayed martyr. Quand et comment as-tu appris la nouvelle de son martyre ?

Georges Ibrahim Abdallah : J’ai tout suivi. Je ne m’attendais pas à ce qu’ils réussissent à l’atteindre. Je vous parle avec une totale franchise.

Présentateur Tu ne pensais pas qu’ils en auraient l’audace ? Ou qu’ils en seraient capables ?

Georges Ibrahim Abdallah : Qu’ils parviennent à leurs fins. Qu’ils essaient, oui, ils avaient déjà essayé de le faire, mais je ne m’attendais pas à ce qu’ils réussissent à l’assassiner.

Présentatrice Et quand as-tu appris la nouvelle ?

Georges Ibrahim Abdallah : Ce fut une véritable catastrophe, car c’est une grande perte. Il était une source de fierté et d’honneur, car il était en première ligne.

Présentatrice Si le martyr Sayed Hassan Nasrallah se tenait devant toi aujourd’hui, que lui dirais-tu ?

Georges Ibrahim Abdallah : Je le saluerais comme un chef de la révolution et de la Résistance, avec respect et admiration, qu’il soit vivant ou tombé en martyr.

Présentatrice Penses-tu qu’il a accompli son devoir envers la cause palestinienne ?

Georges Ibrahim Abdallah : Nous aurions souhaité que les circonstances lui permettent de vivre plus longtemps. Mais les circonstances suivent leurs propres lois. Il était en première ligne, et il est tombé sur le chemin de la Libération de la Palestine. C’est ainsi que je vois les choses.

Présentatrice Revenons à tes années d’emprisonnement. Quarante et un ans. Ta peine de réclusion à perpétuité devait prendre fin en 1999. Pourquoi Georges Abdallah n’a-t-il pas été libéré à ce moment-là ?

Georges Ibrahim Abdallah : En réalité, la libération des militants ne dépend pas du nombre d’années passées en détention. Quand l’impérialisme emprisonne un militant… La France, dans toute son histoire, n’a jamais libéré un militant arabe sans contrepartie. Dans toute son histoire, jamais elle n’a libéré un militant politique ou militaire, ou quoi que ce soit de ce genre, sans échange. Vous prenez un prisonnier, nous prenons un prisonnier.

Présentatrice Cela signifie donc que le système français des droits…

Georges Ibrahim Abdallah Cette propagande, c’est autre chose. C’est une autre affaire. Ils prétendent donner des leçons sur les droits de l’homme…

Présentatrice La France est le pays des libertés et le berceau des droits de l’homme…

Georges Ibrahim Abdallah : C’est ce que dit la propagande française. Elle se prétend le berceau des droits de l’homme, le berceau de la séparation des pouvoirs : judiciaire, politique, militaire, etc. Chacun peut faire sa propre propagande, mais cela n’a aucun rapport avec la réalité.

Le militant arabe dans les prisons européennes, le militant du Levant dans les prisons européennes, et pas seulement en France, n’est libéré que lorsque son maintien en détention devient plus coûteux que sa libération. Lorsque la France a estimé que libérer Georges Abdallah était la meilleure façon de diminuer le mouvement de soutien à la Palestine, elle a décidé de me libérer.

La solidarité avec le militant, que ce soit en France ou ailleurs, ne réussit pas en le mettant au frigo. Elle réussit quand ses camarades dehors, solidaires, parviennent à inscrire leur solidarité dans une lutte active contre les forces impérialistes à l’œuvre, pas dans des luttes fictives. Autrement dit, lorsque le manifestant qui réclame la libération de Georges Abdallah le fait comme moyen de condamner la guerre d’extermination, comme moyen de condamner les guerres d’agression contre le Liban, contre l’Iran, contre l’Irak, etc.

Présentatrice Donc (tu as été libéré) parce que ton nom ou la revendication de ta libération est devenue indissociable de toute mobilisation pour la Palestine ?

Georges Ibrahim Abdallah : C’est la principale raison. C’est cela, et ce n’est pas moi qui le dis, c’est ce que dit le jugement lui-même.

Présentatrice Exactement.

Georges Ibrahim Abdallah : Le jugement rendu comportait des justifications. La première : la présence de Georges Abdallah en prison provoque des troubles internes, et sa libération serait moins dangereuse que son maintien en détention. Telle est la première raison, et elle est significative. Elle réduit à néant tous les discours sur la liberté, la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire, etc. Quand votre maintien en détention dépend de la signature d’un ministre, et pas d’un ministre des transports (mais du ministre de l’intérieur, NdT).

Présentatrice  : C’est une décision politique, pas judiciaire.

Georges Ibrahim Abdallah : C’est la décision politique qui prime.

Présentatrice Professeur Georges, est-ce qu’on t’a proposé des accords par le passé ?

Georges Ibrahim Abdallah Il n’est pas possible de me proposer des accords. Ma position est de principe. En vérité, c’était clair dès le début, dès mon arrestation. Pendant ma détention, j’ai refusé d’entrer dans toute négociation judiciaire. Je n’ai jamais assuré ma défense, à aucun moment. Je me suis simplement levé et j’ai dit…

Présentatrice On t’a dit : « Exprime des regrets et tu pourras sortir. »

Georges Ibrahim Abdallah : Il m’est impossible d’exprimer des regrets. Je suis en prison parce que je considère que ce qu’ont fait les Forces révolutionnaires en France était légitime. Toute (autre) légitimité, toute loi qui s’y oppose, nous la piétinons. Voilà ma position face à la justice, en général. Et c’est cette position qui est la raison fondamentale.

Présentatrice Exactement, et c’est cette position qui est la raison essentielle pour laquelle ta peine a été renouvelée en 1999.

Georges Ibrahim Abdallah : Lors de ma comparution devant la justice, le procureur n’a pas requis la perpétuité. Habituellement, le procureur demande la peine maximale. Mais il a requis moins de neuf ans. Le procureur a requis moins de neuf ans, alors que normalement il réclame toujours la peine la plus lourde.

Je n’ai pas été condamné pour des faits matériels sur le terrain, mais pour ma position de principe. A savoir que ce qui s’est passé en Palestine, ce qui se passe au Liban, les massacres de Sabra et Chatila, l’occupation, l’usurpation, les 30.000 morts lors de l’agression de 1982, etc., tout cela transforme les cibles de l’impérialisme en objectifs légitimes, quel que soit l’endroit. Lorsque vos soldats combattaient au Liban, entre Vichy, les partisans de Pétain et ceux de De Gaulle, ils étaient sur notre terre. Si vous avez le droit, pour défendre votre pays, de combattre sur notre sol, alors nous avons encore plus le droit de vous combattre sur le vôtre pour nous défendre face à vous [la France était partie prenante, aux côtés d’Israël et des Etats-Unis, à l’agression contre le Liban, et garante de la sécurité des camps palestiniens, d’où l’attaque de 1983 contre la base du contingent français à Beyrouth qui a causé la mort de 58 parachutistes français, et celle de 241 marines sur la base américaine, NdT ].

Présentatrice Oui, tu as dit : « Je ne regretterai jamais rien, je ne transigerai pas, et je resterai résistant. »

Georges Ibrahim Abdallah : Oui, et c’est ce que j’ai fait.

Présentatrice Et c’est ce qui a conduit au renouvellement de ta condamnation.

Georges Ibrahim Abdallah : C’est ce qui m’a permis d’être dans une position de militant, comme n’importe quel militant ordinaire. Il n’y a aucun héroïsme là-dedans.

Présentatrice  : Tu ne regrettes pas d’avoir perdu 41 ans de ta vie ?

Georges Ibrahim Abdallah : Non. Cela signifie que j’ai passé 41 ans dans un engagement militant. C’est une position de combat. Un militant lutte, qu’il soit en captivité ou libre. Bien sûr, en tant que militant captif, je lutte dans des conditions particulières.

Heureusement, j’ai été entouré de camarades, hommes et femmes, qui ont facilité l’ancrage du mouvement et de la résistance dans le cadre du combat. Et j’espère, j’espère très fortement, et je le répète, que nos camarades emprisonnés en Palestine recevront une part de la solidarité dont j’ai moi-même bénéficié. Ce que subissent aujourd’hui les révolutionnaires dans les prisons israéliennes est indescriptible [voir Institutionnalisation du viol des détenus Palestiniens : le vrai visage d’Israël].

Présentatrice Et cela s’adresse aux peuples.

Georges Ibrahim Abdallah : Cet appel s’adresse aux peuples, aux militants et aux militantes.

Présentatrice Comment conçois-tu la suite de cette lutte ? Elle a commencé il y a plus de 41 ans, avant ton arrestation en 1984, et tu as dit : « Elle continuera après la Libération. » Quelles sont les prochaines étapes ?

Georges Ibrahim Abdallah : Les prochaines étapes dépendent du cadre actuel du combat. Je considère qu’actuellement, la « somalisation » est le plus grand danger, le visage général de l’attaque contre notre peuple palestinien, libanais, arabe et musulman dans toute la région. Quelle sera ma place ? Elle sera définie par les directions et les forces actives. Je ne viens pas sur un cheval pour prendre les rênes ici ou là. Je suis un militant. Je me conforme aux ordres, aux instructions, aux orientations des directions qui supervisent la lutte.

Présentatrice Professeur Georges Abdallah, tu étais derrière les barreaux, mais tu suivais ce qui se passait à Gaza, ainsi que la guerre au Liban. Concernant Gaza, la guerre d’extermination, et maintenant la famine imposée, est-ce que tu considères que les peuples arabes ont été à la hauteur de l’événement ? Que doivent-ils faire ?

Georges Ibrahim Abdallah : Je considère que les masses arabes en général, les musulmans en général, et les Égyptiens en particulier, ne sont pas seulement défaillants : ils sont honteux. Vraiment honteux. Que chaque Arabe, que chaque musulman regarde cette jeune fille de 17 ans venue de Suède, Greta (Thunberg], Rima Hassan, dans la trentaine, qui montent chacune sur un petit bateau de quelques mètres, chacune avec une boîte de lait (infantile), alors que Gaza est à quelques mètres, entourée par une mer d’Arabes et de musulmans, et que ses enfants attendent une goutte d’eau… On voit, vous voyez, sur les réseaux sociaux ou à la télévision, les corps d’enfants, des squelettes encore vivants, qui attendent une goutte de lait. Posons la question : où sont les Arabes ? Où sont les musulmans ? Nous avons le droit de poser cette question. Où sont-ils ? On attend…

En France, chaque jour, dans plusieurs villes, il y a des manifestations de solidarité. Dans toute l’Europe…(Voir Greta Thunberg et Rima Hassan ont tenté d’éveiller la conscience de l’Occident)

Présentatrice Quel message adresses-tu aujourd’hui au peuple égyptien en particulier, et aux peuples arabes en général ?

Georges Ibrahim Abdallah : Le peuple égyptien détient la clé pour mettre fin à la guerre d’extermination. L’Égypte compte 104 millions d’habitants. 104 millions, dont 80 millions de musulmans. Si seulement un million de ceux qui prient chaque jour se dirigeaient vers la frontière de Gaza, la bataille d’extermination prendrait fin.

À tous les Égyptiens, à tous les Arabes, à tous les musulmans : regardez-vous dans un miroir. Regardez les corps squelettiques tremblants. Regardez les manifestations en Suède et ailleurs. Regardez les (militants) solidaires sur la Méditerranée… Et regardez ce que vous faites. Qu’ils regardent les corps squelettiques tremblants, alors qu’eux mangent (à satiété).

Ainsi, la responsabilité incombe aux masses, plus encore qu’aux régimes. Ces régimes sont traîtres, il n’y a pas à en débattre, ce sont des régimes vassaux et traîtres. Mais il ne s’agit pas des régimes, il s’agit des masses. Ces masses ont des forces. Il leur incombe, à tout le moins, d’assumer leur responsabilité pour préserver un tant soit peu la dignité de leurs croyances.

Présentatrice Professeur Georges, au Liban, la situation est extrêmement complexe. Tous les regards se tournent vers la Résistance (Hezbollah) et ses armes, surtout après la dernière guerre et le coup dur que lui a porté Israël. Penses-tu qu’il soit désormais temps pour l’armée libanaise de prendre le contrôle des armes de la résistance ? Et qu’ainsi nous serions à l’abri du danger israélien ?

Georges Ibrahim Abdallah : La menace israélienne est une menace existentielle. Cela ne fait aucun doute. Et une menace existentielle doit être affrontée par des forces existentielles. Le Liban est, bien sûr, en première ligne. Et c’est un honneur pour lui d’avoir une Résistance qui s’est dressée au nom du Liban, de la Palestine, de toute la Oumma arabe et du monde musulman. Elle s’est portée en première ligne et a offert ses meilleurs éléments, ses meilleurs dirigeants tombés en martyrs.

Présentatrice Tu ne critiques donc pas, contrairement à tant d’autres, la guerre de soutien [déclenchée par le Hezbollah dès le 8 octobre 2023 pour venir en aide à Gaza ; à ce sujet, voir Nasrallah : le Hezbollah fera le nécessaire pour que le Hamas soit victorieux] ?

Georges Ibrahim Abdallah : Je dirais plutôt que la guerre de soutien a été insuffisante. Elle aurait dû aller plus loin. Je ne vais pas entrer dans les détails. Je dis simplement que le Liban résistant est l’incarnation même de la dignité au Liban. Nous aspirons tous à avoir un Etat qui nous protège. Je ne suis pas un amateur d’armes, ni de milices, ni de structures parallèles. Nous aspirons tous à vivre dans un État dont les dirigeants possèdent une certaine dignité, et qui impose l’existence d’une armée dotée d’un armement capable de faire face à l’agression américaine partout au Liban.

Les responsables politiques, de tous bords, nous disent : « Nos amis en Amérique, nos amis en France, nos amis à Londres, nos amis dans tels pays… » Et ces pays produisent des armes. Alors, notre question à ces forces est simple : pourquoi notre armée est-elle dépourvue d’armement ? L’armée a une mission, comme toute armée nationale : protéger la patrie, et protéger la dignité du citoyen en protégeant sa patrie, c’est-à-dire en protégeant ses frontières.

Nous ne sommes pas amateurs d’autre chose. Nos soldats sont honorables. Nos sous-officiers sont honorables. Nos officiers sont courageux et honorables. Il suffit simplement de leur fournir l’armement nécessaire. Ce n’est pas au soldat ou à l’officier de chercher des armes. C’est à la direction politique d’assumer ses responsabilités, de leur fournir ce qu’il faut pour faire face, et d’assumer les responsabilités liées à la mission de l’armée. Que notre armée reste à son poste, et que notre peuple, par sa Résistance et ses masses, la soutienne et la porte en avant.

Présentatrice Les puissances occidentales disent : « Déposez les armes de la Résistance. »

Georges Ibrahim Abdallah Les puissances occidentales nous disent clairement : « Vous n’avez pas le droit d’avoir des armes. » C’est le discours de tous les pays occidentaux, et quiconque affirme le contraire est dans le mensonge et l’hypocrisie. C’est ce que disent les Américains : « Vous, Libanais, n’avez pas le droit d’avoir une armée dotée des capacités d’une véritable armée, car vous représentez une menace pour l’agresseur (israélien) ». Lorsque l’armée libanaise a découvert un dépôt d’armes, ils lui ont dit : « Attention, ne l’utilisez pas ! Il représente une menace pour Israël. Détruisez-le ! »

Ils ne lui ont pas dit : « Nous allons vous fournir des armes pour affronter Israël. » Ils lui ont dit : « Votre mission, c’est d’agir comme un policier. D’identifier l’ennemi d’Israël, de le désarmer, afin que nous venions le tuer. » Voilà ce que dit l’Occident.

Présentatrice  : L’Occident veut faire de l’armée libanaise un simple auxiliaire de police au service d’Israël.

Georges Ibrahim Abdallah : Même moins qu’un policier, en réalité. C’est une humiliation pour l’armée. Lorsque l’armée libanaise déclare : « J’ai trouvé une arme ici, je vais l’utiliser », ils lui répondent : « Non ! Non seulement tu vas la détruire, mais tu vas aussi nous fournir un certificat attestant que tu l’as détruite toi-même. Et nous voulons des photos de toi en train de le faire. » Il n’y a pas d’insulte plus grande que cela. Qui parle de souveraineté ? La souveraineté, c’est notre armée. Nous voulons que notre armée soit celle qui protège la patrie.

Présentatrice Si telle est la position de l’Occident, que dit Georges Abdallah au sujet des armes de la Résistance, et aux chefs de la Résistance qui subissent de fortes pressions pour les forcer à déposer les armes ?

Georges Ibrahim Abdallah : Ce sont là des pressions régulières, il est inutile d’entrer les détails. Il y a une posture claire qui dit : « Nous pouvons vous écraser, vous détruire. Votre résistance est vaine. » Et il y a un peuple qui répond : « Nous résisterons, malgré tous les rapports de force. » Il y a des gens qui nous disent : « Si vous vous permettez de résister, nous vous exterminerons. » Et nous leur répondons : « Vous échouerez dans tout ce que vous entreprendrez. »

Ils disent aux dirigeants politiques : « Vous avez été placés là par nos soins pour remplir cette mission. » Et nous leur disons : « Nous avons des soldats, des officiers, et nous ferons l’impossible pour leur permettre de remplir cette mission. Nous ferons l’impossible. »

Résistance ou non, les forces vives du Liban ne se réduisent pas à la Résistance. Toutes les forces vives veulent une armée qui protège la dignité de la patrie, pas une ferme. Une armée qui protège la dignité de la patrie, c’est-à-dire qui maintient Israël hors de nos frontières et l’empêche de porter atteinte à notre souveraineté, sous quelque forme que ce soit. Nous n’accepterons jamais que le Levant arabe devienne une nouvelle Somalie.

Présentatrice Ils cherchent à délégitimer la Résistance armée…

Georges Ibrahim Abdallah : La légitimité ne découle d’aucune décision de quiconque. La légitimité est celle… La Résistance continue, et continuera à jamais au Liban comme ailleurs. La Résistance n’est pas un slogan, c’est un principe. C’est l’affrontement avec l’occupant usurpateur. Et cet occupant sera éliminé, quoi qu’il fasse.

Certains disent : « Nous préférons vivre sous les bottes de cet envahisseur. » D’autres répondent : « Nous ne tolérerons les bottes de personne. Ni les siennes, ni celles d’un autre. Ni les siennes, ni celles de son maître. »

Présentatrice Oui, mais maintenant on vous dit : « Si vous ne déposez pas les armes de la Résistance, les Israéliens reviendront faire pression sur le Liban par une nouvelle guerre…

Georges Ibrahim Abdallah : N’entrons pas dans ces détails. Nous sommes un peuple résistant, et nous ne transigeons pas sur notre dignité. Ils nous disent : « Abandonnez votre dignité, et nous vous laisserons en vie — d’une façon ou d’une autre. » Voilà ce que disent les Américains. Pour reprendre vos mots : ce que nous dit l’Amérique, c’est : « Vous devez tous vous agenouiller, ou nous vous tuerons. »

Voir Naïm Qassem : le désarmement du Hezbollah est un prélude à la dislocation du Liban

Présentatrice Professeur Georges, tu as quitté le Liban en 1984, cela remonte a 41 ans. Mais même avant cela, la situation du Liban était déjà extrêmement difficile, notamment après l’invasion israélienne de 1982 et les catastrophes qui ont suivi. Aujourd’hui encore, la situation est difficile. À ton avis, les forces nationales et la Résistance sont-elles dans une meilleure posture qu’à l’époque des années 1980 ?

Georges Ibrahim Abdallah : Evidemment. La situation est bien meilleure aujourd’hui. Meilleure, parce que les contours du conflit sont désormais plus clairs. Parce que la Résistance de notre peuple s’est dotée d’un héritage de grandeur et de valeur incommensurable. Nous avons des dirigeants martyrs, nous avons vu déverser une mer de sang (pour la libération), et nous avons des peuples debout. Évidemment que la situation est meilleure.

Nous sommes capables de comprendre que la force sociale porteuse du changement au Liban est aujourd’hui plus proche de la compréhension mutuelle, plus apte à coopérer. Et nous répétons toujours « Ensemble, et ensemble seulement, nous vaincrons », en ignorant les appartenances secondaires. C’est une expérience qui a coûté la vie à de nombreux martyrs.

Aujourd’hui, plus que jamais : « Ensemble, et ensemble seulement, nous vaincrons. » Toutes les expressions des forces vives du Liban sont appelées à incarner ce processus concrètement. Ce n’est pas une affaire de détails (où la question serait) : « Est-ce que je pose un Kalachnikov ici ou est-ce que je prends un pistolet là ? ». La vraie question est : « Ce pays est-il une patrie, oui ou non ?  » Si oui, comment construire son Etat ?

Présentatrice Tu estimes que la marche vers la victoire tracée par Son Éminence Sayed Hassan Nasrallah se poursuivra ?

Georges Ibrahim Abdallah : Évidemment. Evidemment. Elle a été tracée par Sayed Nasrallah et par tous les autres combattants. Dans le grand monde arabe, il y a une résistance permanente, qui a échoué ici, réussi là, etc., mais qui, après un siècle, a prouvé qu’après un siècle entier, le projet colonial de peuplement est un échec complet. Un siècle entier de guerre d’extermination déclarée. Quand on parle de colonialisme de peuplement, c’est d’une guerre d’extermination contre les peuples autochtones qu’il s’agit.

Ils ont réussi en Amérique du Nord. En Amérique du Nord, cela n’a même pas pris un siècle. Les fondements des États-Unis reposaient sur l’extermination d’environ 20 à 25 millions d’Amérindiens. Ils ont été anéantis, et les Européens venus d’Irlande, de France, d’Allemagne et de Grande-Bretagne sont devenus les nouveaux habitants.

Présentatrice Professeur Georges Abdallah, la cause palestinienne… Que dis-tu aujourd’hui, face au génocide et aux massacres que nous voyons ?

Georges Ibrahim Abdallah : La guerre d’extermination est un échec. Elle représente le dernier chapitre de l’histoire de la colonisation soutenue par l’Occident impérialiste.

Israël, c’est quoi ? C’est une extension organique de l’Occident impérialiste. Aujourd’hui, malgré son impérialisme, la jeunesse de l’Occident impérialiste se lève et dit : « Nous n’avons rien à voir avec eux. » Même les Juifs des États-Unis disent : « Ceux-là ne sont pas des nôtres, nous ne sommes pas des leurs. »

Autrement dit, ceux qui nous présentait naguère Israël comme une oasis de démocratie n’ignoraient pas ses crimes, mais ils espéraient qu’ils réussiraient, par leurs crimes, à exterminer les peuples de cette région, du Moyen-Orient en général, et de Palestine en particulier. Et après un siècle de guerre d’extermination déclarée, le peuple palestinien de la Palestine historique est désormais plus nombreux que les colons juifs. On compte aujourd’hui environ 7.372.000 Palestiniens contre 7.250.000 ou 7.255.000 Israéliens.

Présentatrice Après 76 ans.

Georges Ibrahim Abdallah Après un siècle ! Pas seulement après 76 ans, mais après un siècle entier depuis le début du XXe siècle… Dès la fin du XIXe siècle, la colonisation a commencé sous l’égide des Britanniques. Le nombre de Palestiniens vivant en Palestine et en dehors de la Palestine est resté constant. Autrement dit, le peuple palestinien compte aujourd’hui 15 millions de personnes, malgré une guerre d’extermination commencée il y a un siècle.

Nous pouvons affirmer que cette guerre d’extermination a échoué lamentablement. C’est donc le dernier chapitre de l’histoire de cette entité tyrannique.

Présentatrice Professeur Georges Abdallah, Dieu merci, tu es revenu parmi nous sain et sauf. Et bien sûr, nous espérons te revoir bientôt sur les terrains de la lutte, dans les jours à venir. Les tâches sont nombreuses, les responsabilités aussi, mais nous avons toujours connu cette énergie qui ne vieillit pas, cet esprit de résistance toujours à son apogée. Nous espérons te retrouver dans les champs de bataille de cette longue marche. Merci infiniment de nous avoir accueilli dans ta belle maison à Qobeyat, au nord du Liban.

Georges Ibrahim Abdallah : Merci à toi, et merci à votre chaîne respectable. Je vous souhaite à tous la réussite.

Présentatrice Chers téléspectateurs, c’est ainsi que se conclut cette édition de votre programme « Invité et dialogue ». Merci pour votre fidélité, et à très bientôt.

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Source : Le Blog d’Alain Marshal, sous le titre : Georges Ibrahim Abdallah : « La destruction d’Israël est inéluctable »