EXCLU BLAST / Expulsions, arrestations, descentes dans les hôtels, interrogatoires : au Caire, des tensions croissantes entre les autorités égyptiennes et les membres du convoi de la marche pour Gaza

Ibrahim Benaïssa, 11 juin 2025.– Alors que des milliers de citoyens venus de 52 pays s’apprêtent à entamer une marche pacifique de 48 km vers la bande de Gaza pour réclamer un couloir humanitaire, plusieurs dizaines de participants sont actuellement retenus, expulsés ou interrogés au Caire. Des Français sont bloqués à l’aéroport depuis l’aube, certains sans eau ni nourriture. Un responsable de la délégation française pour la Marche affirme que les autorités égyptiennes arrêtent presque systématiquement les ressortissants français, faute de disposer d’une liste officielle des participants. Des descentes de police ont également eu lieu dans plusieurs hôtels du centre du Caire, où des membres des délégations séjournaient. Plusieurs personnes y ont été interpellées. La France, qui avait été informée de la mobilisation, reste silencieuse malgré les appels à l’aide des organisateurs. Contactée, l’ambassade française au Caire dit n’avoir reçu aucune information.

Ce jeudi 12 juin, ils avaient rendez-vous au Caire pour poursuivre la marche mondiale vers Gaza et pour réclamer l’ouverture d’un couloir humanitaire vers le territoire assiégé. Mais à la veille du départ, la tension monte autour de cette initiative citoyenne internationale. Plusieurs membres des délégations étrangères, notamment française et algérienne, sont actuellement retenus à l’aéroport du Caire – voire expulsés manu militari. Certains sont privés d’eau et de nourriture depuis plusieurs heures, selon les témoignages recueillis sur place.

Arrestations et descentes de police

Selon les responsables de la délégation française que nous avons eus au téléphone, au moins une dizaine de Français auraient déjà été expulsés. Des dizaines d’autres sont retenus à l’aéroport du Caire depuis 4h du matin, sans accès à l’eau ni à la nourriture, dans des « conditions difficiles ».

Les autorités égyptiennes ne disposant d’aucune liste officielle des participants, elles procèdent à l’arrestation systématique de tous les Français arrivant à l’aéroport du Caire.

Une descente de police a également eu lieu dans un hôtel du centre-ville de la capitale égyptienne, le Down Town, où séjournaient des membres de la délégation française. Une seconde intervention aurait eu lieu dans un autre établissement. Plusieurs Français ne répondent plus aux appels téléphoniques, ce qui nourrit l’inquiétude des familles et des proches.

Des voyageurs français à destination du Caire seraient même interrogés par les douaniers dans les aéroports français.

À cela s’ajoute la situation d’un groupe de trente-six Algériens, eux aussi retenus à l’aéroport. Certains ont été renvoyés dès ce matin.

« Ils vont tous nous arrêter et nous renvoyer« 

Le docteur Hicham El Ghaoui est porte-parole de la délégation suisse et l’un des initiateurs de la marche. Pour lui, les agissements des autorités égyptiennes envoient un message clair : « En bloquant cette initiative, l’Égypte montre qu’elle n’est pas sincèrement engagée pour la levée du blocus. S’opposer à cette marche, c’est s’opposer à la paix. » Et d’ajouter : « Nous sommes déjà en marche depuis des semaines, des mois. Il s’agit de faire comprendre au monde entier que cette cause nous concerne tous. Les prochaines 24 heures seront décisives. Le monde verra si l’Égypte choisit la paix ou continue d’en empêcher le chemin. Nous avons un devoir moral d’essayer. Quoi qu’il arrive, je serai à l’aéroport du Caire et ces arrestations ne nous intimideront pas. »

« Ils vont tous nous arrêter et nous renvoyer », alerte un membre de la délégation. Selon lui, des militants déjà arrêtés confirment que tous les arrivants sont « systématiquement interpellés. » D’autres se voient dire que s’ils n’ont pas les moyens de payer leurs billets, « ils iront en prison ».

VIDEO BLAST : Une ressortissante française présente sur place est parvenue à filmer des images de la situation.

Une mobilisation internationale sous pression

La marche, initiée par un collectif citoyen international, devait réunir des participants venus de 52 pays. L’objectif : rallier symboliquement, à pied, une zone proche de Rafah pour appeler à l’ouverture d’un passage pour les convois humanitaires vers la bande de Gaza. Une action pacifique soutenue notamment par l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin et le médecin humanitaire Rony Brauman.

Mais côté français, le soutien institutionnel est quasi inexistant. « Aucune grande ONG française ne s’est engagée », déplore un membre de la coordination. Seules quelques voix individuelles se sont élevées pour soutenir les marcheurs.

Au départ, Ehab Ahmed Badawy, l’ambassadeur d’Égypte à Paris, avait exprimé son soutien à cette mobilisation et s’était même engagé à trouver des solutions pour faciliter l’entrée des marcheurs. Mais ces derniers jours, le ton a changé. Dans un message récemment adressé à certains organisateurs de l’initiative, elle évoque désormais un « avis défavorable », en invoquant des risques liés à une potentielle présence de l’armée israélienne dans la zone concernée. Un argument qualifié de « fallacieux » par les organisateurs : « Les camions humanitaires, eux, accèdent sans problème à cette région. Le problème, ce n’est pas la sécurité. C’est qu’on veut empêcher cette mobilisation », ajoute notre source.

Pressions bilatérales et silence diplomatique

Les autorités françaises, de leur côté, avaient émis des consignes de prudence, déconseillant à leurs ressortissants de se rendre en Égypte, rappelant sur le site du ministère des Affaires étrangères que « tout rassemblement, non formellement autorisé par les autorités locales, est strictement interdit en Égypte et que les participants s’exposent à un risque d’arrestation et de détention ».

La délégation française au Caire a tenté à plusieurs reprises de contacter Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, pour lui demander un soutien clair à une initiative pacifique. À ce jour, aucune réponse ne leur a été adressée.

Le 21 mai dernier, les ministres des Affaires étrangères égyptien et français se sont rencontrés à Bruxelles. Lors de cet échange, l’Égyptien a exprimé son soutien à la position commune de la France, du Royaume-Uni et du Canada en faveur de l’ouverture de l’aide humanitaire à Gaza et de la levée du blocus. La réalité sur le terrain semble désormais bien éloignée de cette promesse diplomatique.

Contactée, l’ambassade de France en Égypte affirme n’avoir reçu aucune information concernant les ressortissants français retenus. Une absence de communication d’autant plus préoccupante que, selon les règles diplomatiques en vigueur, les autorités égyptiennes sont censées notifier systématiquement les ambassades lorsqu’elles interpellent des citoyens étrangers.

Critiqué pour son absence de soutien aux Palestiniens de Gaza depuis le 7 octobre, les mauvaises conditions de vie et le harcèlement policier dont sont victimes la centaine de milliers de réfugiés gazaouis ayant réussi à passer la frontière, le président Abdel Fattah Al-Sissi a vu arriver cette marche internationale et ces « étrangers » d’un mauvais œil. Elle le pousse à prendre des décisions de soutien ou d’opposition. Il devient de plus en plus compliqué pour lui, si lointain héritier de Nasser et Sadate, de passer pour un ami des Palestiniens et de cacher ses liens privilégiés avec Israël. Même au Caire, la politique d’extrême droite de Netanyahu fait des dégâts.

Source : Blast-info.fr