Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 396 / 12 mai – La nuit à Gaza"
Brigitte Challande, 13 mai 2025. Paradoxe, au début de la journée après une nouvelle nuit gagnée sur la mort à Gaza, Abu Amir nous a envoyé ce texte le 12 mai au matin.
« Un cauchemar sans fin, telle est notre vie dans l’attente d’un avenir incertain.
À Gaza, lorsque la nuit tombe, ce n’est pas le calme qui s’installe comme ailleurs dans le monde, mais le cauchemar qui commence. La nuit ici n’est pas un moment de repos ou de sérénité, mais un instant de terreur qui débute dès les premiers instants du crépuscule et ne se termine qu’à l’aube — si elle arrive. Dans cet endroit assiégé, la nuit est synonyme de bombardements, de ténèbres et de peur enracinée dans les âmes. Il n’y a ni électricité pour éclairer les coins sombres, ni sons audibles hormis le vrombissement des avions et les explosions des missiles.
Chaque nuit, les mêmes scènes se répètent. Des cris d’enfants emplissent les tentes et les maisons, des explosions brisent le fil des rêves, et des cœurs tremblent face à l’horreur de la situation. La nuit à Gaza signifie attendre les projectiles, deviner sans cesse : quelle sera la cible cette fois ? La tente voisine ? Cette maison encore debout malgré les frappes ? Ou bien notre propre maison ?
L’occupation israélienne, de sang-froid, a choisi la nuit comme terrain pour mener ses raids les plus violents et meurtriers, profitant de la coupure d’électricité et de l’obscurité totale pour intensifier la terreur dans les cœurs des habitants. Elle sait bien que l’obscurité complique le travail des équipes de secours, empêche une intervention rapide, entrave la fuite des familles. La nuit, un outil de guerre psychologique utilisé pour semer l’épouvante et détruire de l’intérieur.
Dans cette longue nuit, aucune mère ne ferme l’œil, aucun père ne trouve le sommeil, et aucun enfant ne ressent la paix. Tous vivent dans une attente constante et une peur perpétuelle.
Chaque instant, ils s’attendent à ce qu’un missile les fauche à jamais, que le feu ravage leur tente ou que les murs de leur maison s’effondrent sur eux. C’est une vie au bord de la mort, qui commence au crépuscule et, si la chance leur sourit, se termine par une sécurité temporaire au lever du jour.
Israël a pratiqué, et continue de pratiquer, toutes les formes de violence et de torture, physiques comme psychologiques, contre les Palestiniens de Gaza et des territoires occupés. Aucun moyen de violence ou de violation n’a été épargné : bombardements aveugles, exécutions sommaires, blocus étouffant, famine, déplacement forcé, et exécutions lentes par le refus de soins ou de nourriture. Nul à Gaza n’est épargné par ce supplice : les petits avant les grands, les femmes avant les hommes, les malades avant les bien-portants, tous sont des cibles visibles d’une arme impitoyable. Même ceux qui survivent physiquement portent en eux des blessures psychologiques plus profondes et plus destructrices, vivant dans un état de terreur permanente et de choc répétitif, comme si l’occupation tuait le Palestinien plusieurs fois : une fois dans son corps, une autre dans son âme.
Les nuits ici ne se mesurent pas en heures, mais en nombre d’explosions qui secouent la terre, en nombre d’enfants qui tremblent, et en nombre de cœurs qui prient en silence pour que la nuit passe sans massacre. Chaque bombardement crée une nouvelle blessure dans l’âme, que le temps ne peut guérir, une douleur qui s’intensifie avec chaque nuit noire, jusqu’à ce que la vie devienne une chaîne de ténèbres ininterrompues.
La nuit à Gaza n’est pas seulement un temps de raids, c’est aussi le déclencheur des plus graves crises psychologiques parmi les habitants, en particulier les enfants. L’obscurité est désormais associée, dans leur chronique, faisant frissonner l’enfant dès que les lumières s’éteignent, qu’un bruit fort survient ou qu’il se sent seul. À force, des symptômes apparaissent : cauchemars, énurésie, crises de pleurs soudaines, mutisme, ou comportement agressif imprévu.
En l’absence de sécurité, la famille devient le seul rempart. Mais même ce mur n’est plus aussi solide. Les mères sont épuisées par les veilles, les tentatives d’apaisement, et l’effort de contenir leurs larmes devant leurs enfants. Les pères sont usés par le sentiment d’impuissance, l’incapacité de protéger, la conscience qu’il n’y a ni refuge ni force contre la machine de guerre impitoyable.
Les séquelles psychologiques de cette longue nuit ne se limitent pas à une peur passagère, elles vont bien au-delà. Le trouble de stress post-traumatique est désormais répandu dans la bande de Gaza, notamment chez les enfants et les femmes. Insomnie chronique, perte d’appétit, crises de panique, peur constante de mourir, et parfois même pensées suicidaires, sont devenues des manifestations courantes de cette société épuisée.
Quant aux enfants, ils vivent une tragédie complexe. Pas de véritable enfance, pas de jeux, pas de sommeil paisible, ni de sentiment de sécurité. Rien ici ne ressemble à l’enfance dans le reste du monde. Dormir est un défi, et se réveiller vivant au matin est un exploit. L’enfant à Gaza ne demande ni cadeau ni sortie, il demande simplement que la nuit passe en paix, et qu’il se réveille en retrouvant ses parents et ses frères et sœurs encore en vie.
L’accumulation de ces expériences quotidiennes laisse une empreinte profonde sur la structure psychique de ces enfants, et les accompagnera souvent jusqu’à l’âge adulte. L’esprit enfantin, qui devrait se développer dans un environnement sûr, se retrouve prisonnier de la peur, englouti dans un tourbillon d’angoisse, de terreur et de cauchemars, dont il ne pourra sortir qu’avec une intervention psychologique spécialisée – rarement disponible.
Les femmes aussi souffrent de crises multiples : chagrin pour celles qu’elles ont perdues, peur constante pour ceux qui leur restent et épuisement dû à des responsabilités qui dépassent leurs capacités. Nombre d’entre elles développent des symptômes physiques dus à l’anxiété, tels que palpitations, douleurs gastriques, vertiges et difficultés respiratoires, sans aucune cause organique.
La nuit à Gaza n’est pas seulement un manque de sommeil, c’est une souffrance psychique continue, une menace existentielle sans répit. C’est un moment où la terreur rencontre l’impuissance, la douleur croise le silence, et la mort flirte avec l’attente. Les habitants de Gaza n’ont pour se sauver que la prière et un mince espoir que la nuit finira, et que le jour portera une nouvelle sans destruction.
Mais quand cette nuit prendra-t-elle fin ? Quand cessera ce cauchemar ? Nul ne le sait. Seule Gaza, qui se réveille chaque matin sur de nouvelles ruines et continue d’avancer au milieu des décombres, tente encore de survivre — même si la nuit semble avoir décidé de ne jamais finir. »
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268) Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
Partie 393 : 10 mai. Partie 394 : 11 mai. Partie 395 : 11 mai (1).
Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.