Que signifie pour le Hamas le plan d’après-guerre de l’Égypte pour Gaza ?

Rayhan Uddin, 6 mars 2025.- Le plan de 91 pages de l’Égypte pour l’avenir de Gaza, dévoilé lors d’un sommet extraordinaire de la Ligue arabe au Caire cette semaine, ne fait aucune mention du Hamas.

« Gaza, 7 mars 2025. L’unité d’ingénierie poursuit son travail inlassable et dangereux, sans équipement de protection, pour retirer des tonnes d’explosifs abandonnés par l’armée israélienne pendant le génocide et le nettoyage ethnique. Gaza regorge de héros. » (source)

La proposition prévoit un budget de 53 milliards de dollars et un calendrier de cinq ans pour la reconstruction de l’enclave palestinienne dévastée par 15 mois de guerre israélienne. Elle décrit également une vision de la gouvernance d’après-guerre à Gaza.

Les États arabes, dont l’Égypte, proposent leur propre alternative au plan d’expulsion forcée des Palestiniens de Gaza proposé par le président américain Donald Trump.

Le plan du Caire stipule que pendant les six premiers mois, le territoire serait dirigé par un comité technocratique non partisan, supervisé par l’Autorité palestinienne (AP).

L’AP, qui administre la Cisjordanie occupée, pourrait alors revenir pleinement à Gaza.

Le Hamas, qui contrôle Gaza depuis 2007, n’est pas mentionné une seule fois dans le long document. Et pourtant, le Hamas a réagi positivement à la proposition et a appelé à sa mise en œuvre.

Si certains titres ont qualifié la proposition de l’Égypte de « marginalisation » ou d’« exclusion » du Hamas, le groupe reste au cœur de l’avenir de l’enclave.

« Personne ne dirigera Gaza sans l’accord du Hamas », a déclaré à Middle East Eye Qossay Hamed, expert sur le Hamas et universitaire à l’Université ouverte Al-Quds de Ramallah.

« Cela ne signifie pas que le Hamas participera au gouvernement de Gaza à l’avenir. Mais au moins, le Hamas ne sera pas hors jeu. »

Sami al-Arian, universitaire palestinien et militant des droits de l’homme, a acquiescé.

« La structure bureaucratique de Gaza a été contrôlée par le Hamas au cours des 17 dernières années. Elle ne va pas disparaître du jour au lendemain », a-t-il déclaré à MEE.

Les responsables du Hamas ont réitéré cette semaine que le groupe n’était « pas intéressé » de faire partie d’une quelconque structure administrative dans la bande de Gaza d’après-guerre.

Le groupe se définit comme un mouvement de résistance islamique qui, a expliqué Hamed, « met l’accent sur l’action militaire et met en retrait l’action politique ».

En tant que tel, il serait susceptible d’accepter de revenir sur sa gestion quotidienne du territoire – quelque chose qui n’a jamais fait partie des objectifs déclarés du groupe. Mais rendre les armes est une toute autre affaire.

La branche armée du Hamas « intouchable »

Bien que le plan égyptien ne mentionne pas spécifiquement le Hamas, il fait référence aux groupes armés de Gaza.

La proposition stipule : « Le dilemme de la multiplicité des partis palestiniens porteurs d’armes demeure, ce qui peut être résolu. »

« Au contraire, il ne peut être définitivement résolu que si ses causes sont éliminées grâce à un horizon clair et à un processus politique crédible qui restitue les droits à leurs propriétaires. »

Le plan pose comme principe que la création d’un État palestinien, la fin de l’occupation israélienne qui a commencé en 1967 et un retrait israélien de toutes les terres palestiniennes « sont censés constituer la fin de toutes les activités de résistance palestiniennes de toute sorte ».

Le gouvernement d’extrême-droite israélien n’exigeant pratiquement pas de mettre fin à l’occupation ou de parvenir à une solution à deux États, la formulation de la proposition de la Ligue arabe semble permettre au Hamas et aux autres groupes de Gaza de rester armés.

« Le plan égyptien identifie précisément l’occupation israélienne comme la cause profonde des actes de violence perpétrés par le Hamas et d’autres groupes », a déclaré à MEE Annelle Sheline, une ancienne fonctionnaire du département d’État américain qui a démissionné en raison de la guerre de Gaza.

Sheline a déclaré que tant que les États-Unis continueraient à fournir à Israël un soutien financier et diplomatique illimité, Israël n’aurait aucune raison de mettre fin à l’occupation, « donc le Hamas ou un groupe similaire restera puissant ».

Selon la proposition de la Ligue arabe, l’Égypte et la Jordanie formeront les forces de police palestiniennes en vue de leur déploiement dans la bande de Gaza d’après-guerre.

Le plan stipule également que le Conseil de sécurité de l’ONU devrait envisager « une présence internationale » à la fois dans la bande de Gaza et en Cisjordanie occupée.

Cela inclurait « l’adoption d’une résolution visant à déployer des forces internationales de protection/de maintien de la paix » dans le cadre d’un calendrier visant à établir un État palestinien.

Hamed a déclaré que toute discussion sur des forces alternatives à Gaza devra impliquer le Hamas.

« Que ce soit l’AP, les troupes arabes ou même les troupes internationales, aucun d’entre eux ne parviendra à diriger Gaza sans un véritable accord avec le Hamas », a-t-il déclaré.

Il a noté que même si le Hamas réduisait probablement sa présence dans les rues, il ne permettrait pas que sa branche armée, les Brigades Qassam, soit démantelée.

« Pour le Hamas, c’est un sujet intouchable », a-t-il déclaré. « Je ne pense pas que le Hamas acceptera que Gaza soit hors de son contrôle.

« Le Hamas veut contrôler Gaza mais ne veut pas diriger Gaza. »

Une telle réalité a déjà existé.

Le Hamas était armé à Gaza pendant plusieurs années alors que le Fatah dirigeait la bande, jusqu’à ce que les deux groupes se battent en juin 2007 et que le Hamas prenne le contrôle de l’enclave.

Le manque de légitimité de l’AP

Pour que l’AP, dirigée par le président Mahmoud Abbas, très impopulaire, et dominée par sa faction du Fatah, puisse revenir à Gaza, elle devra obtenir le soutien de l’opinion publique palestinienne.

« Il doit y avoir un processus de transition vers une élection, par lequel Abbas permettra que des élections aient lieu dans tous les territoires palestiniens », a déclaré à MEE Andreas Krieg, professeur adjoint au département des études de défense du King’s College de Londres.

Krieg a déclaré que le Hamas pourrait se réinventer en un nouveau parti politique, en utilisant les structures politiques existantes sous un nom différent.

« Les électeurs palestiniens de Gaza qui se sentent représentés par le Hamas sur ce type de spectre pourraient ne pas voter pour le Fatah, et voter pour une alternative », a-t-il déclaré.

Sheline a déclaré que la proposition de l’Égypte ne tenait pas compte du fait qu’Israël « a utilisé l’AP pour imposer son occupation de la Cisjordanie ».

« Cela, combiné à la corruption de l’AP et au manque de responsabilisation démocratique, a érodé toute la légitimité que l’AP avait autrefois », a-t-elle dit.

Abbas a notamment annoncé mardi une amnistie pour les membres du Fatah précédemment expulsés.

Certains y ont vu une mesure qui pourrait ouvrir la porte au retour de Mohammed Dahlan, l’ancien chef du Fatah en exil qui est maintenant conseiller du président des Émirats arabes unis.

« Je ne pense pas que Dahlan reviendra à Gaza, mais je pense qu’il contrôlera probablement beaucoup de choses si les Émirats arabes unis font partie d’une structure future », a déclaré Arian.

Krieg a déclaré que Dahlan avait très peu de soutien sur le terrain à Gaza et avait miné sa crédibilité en travaillant en étroite collaboration avec les Émiratis ces dernières années.

Marwan Barghouti, la figure du Fatah emprisonnée depuis longtemps et qui bénéficie d’un large soutien populaire parmi les Palestiniens, a été présenté comme une figure potentiellement unificatrice à Gaza et en Cisjordanie.

Barghouti, dont la libération est en cours de négociation dans le cadre de la deuxième étape du cessez-le-feu, est l’un des rares hommes politiques à avoir des partisans au sein du Hamas, du Jihad islamique et de certaines parties du Fatah. « Il pourrait être en mesure de rassembler suffisamment de soutiens, compte tenu de sa stature au sein de la communauté palestinienne », a déclaré Sheline. « Cependant, Israël ne souhaite pas que les Palestiniens aient des dirigeants forts. Ils préfèrent Abbas, un homme corrompu, âgé et inefficace. »

Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR