Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 300/ 2 février – Voyage vers le nord"
Brigitte Challande, 3 février 2025. Abu Amir nous raconte son voyage vers le nord, le 2 février.
« Mon voyage à Gaza et au nord de la bande : entre scènes de destruction et résilience humaine
Début du voyage : de la plage de Nuseirat à la plage de Gaza
Mon voyage vers Gaza et le nord de la bande a commencé vendredi à 16h, partant de la plage de Nuseirat en direction de la plage de Gaza. Le moyen de transport que j’ai utilisé était inhabituel : une charrette tirée par des animaux, illustrant la difficulté des déplacements en raison de la destruction des routes et des infrastructures. Le trajet n’était pas physiquement épuisant, mais le paysage qui défilait sous mes yeux alourdissait mon cœur de tristesse et de douleur. Les ruines des villes et des villages racontaient des histoires de souffrance et de tragédie.
Des villes réduites en ruines
En traversant le pont de Wadi Gaza, la destruction est apparue sous forme de bâtiments en ruines. Le premier choc fut ce qui était autrefois un modèle d’architecture moderne. Il n’en restait que quelques colonnes éparses et le minaret d’une mosquée encore debout malgré les bombardements. Une école, presque méconnaissable au milieu des décombres, témoignait de la brutalité des frappes. Dix minutes après avoir quitté cette ville, nous nous sommes approchés de Zahra, l’un des quartiers les plus chics de Gaza avant la guerre. À 1500 mètres de distance, seules deux tours résidentielles restaient debout, le reste ayant été réduit en poussière. Même les gravats semblaient avoir disparu, comme si la ville avait été complètement effacée. Nous avons continué notre route sur la côte, atteignant Sheikh Ajlin, une région autrefois célèbre pour ses vignobles et ses paysages verdoyants. Ce lieu de beauté et de tranquillité n’était plus qu’un désert de sable et de décombres. C’est là que j’ai compris l’ampleur du désastre : Israël n’a pas seulement détruit des bâtiments, elle a cherché à effacer tout ce qui faisait la vie et l’histoire de Gaza.
Tel al-Hawa : quand les ruines deviennent une partie de la route
En arrivant à Tel al-Hawa, nous avons été frappés par l’ampleur des destructions. Les rues étaient presque impraticables à cause des décombres, les bâtiments effondrés bloquaient la plupart des routes. Selon les estimations, plus de 70% de la région avait été rasée. Malgré ces obstacles, nous avons poursuivi notre chemin jusqu’au centre-ville de Gaza, où la destruction devenait encore plus intense à mesure que nous avancions vers le nord.
Une nuit à Gaza : survivre au quotidien
À Gaza, j’ai passé la nuit chez un ami. Nous avons discuté des difficultés de la vie quotidienne : la rareté de l’eau potable, les coupures d’électricité permanentes et l’impossibilité d’accéder à Internet. Les quelques stations alimentées par l’énergie solaire étaient devenues le seul moyen pour les habitants de recharger leurs téléphones, et se connecter en ligne relevait désormais du luxe.
Les pêcheurs : une résilience face à la destruction
Le lendemain matin, je me suis rendu au port de Gaza pour rencontrer Zakaria Bakr, président du Syndicat des Pêcheurs. Il m’a montré les destructions infligées à l’infrastructure maritime. Bien que le port ne soit pas un site militaire, il a été méthodiquement détruit.
Zakaria a décrit comment plus de 25 missiles F-16 ont frappé le quai, le scindant en deux et laissant un cratère de 20 mètres de profondeur. Les pertes sont catastrophiques :
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93 grands bateaux, coûtant chacun environ 350 000 dollars, détruits.
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500 bateaux de taille moyenne et petite anéantis.
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120 ateliers de réparation et de stockage démolis.
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L’usine de glace qui alimentait le marché aux poissons anéantie.
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Des filets de pêche d’une valeur de centaines de milliers de shekels brûlés.
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21 bateaux touristiques complètement détruits.
Une image triste au fond de la mer
En regardant les eaux du port, nous avons vu des dizaines de bateaux coulés, brisés et abandonnés, comme des témoins silencieux du désespoir des pêcheurs qui dépendaient de la mer pour survivre.
Les pêcheurs ciblés : la mort les traque sur l’eau comme sur la terre
Outre les destructions, les pêcheurs eux-mêmes ont été directement pris pour cibles. Le 31 janvier 2025, le pêcheur Saher Al-Qara’an a été tué par les tirs des navires israéliens. Il était le 47e pêcheur tué en mer en 15 mois. En tout, plus de 150 pêcheurs ont été tués, certains en mer, d’autres chez eux lors des bombardements.
Le nord de Gaza : scènes de mort et de ruines
Après notre visite au port, j’ai poursuivi mon voyage vers le nord de Gaza, accompagné par des militants humanitaires.
Une destruction totale : une vie devenue impossible
En entrant dans Jabalia, la dévastation était omniprésente. Il n’y avait plus de routes, seulement des montagnes de gravats et de poussière. Les quartiers entiers avaient disparu, des milliers de familles se retrouvaient sans abri. En avançant vers Beit Lahia et Beit Hanoun, les scènes devenaient encore plus effroyables. Pas une seule maison n’avait été épargnée, les infrastructures d’eau et d’électricité étaient hors service. Au milieu de ce chaos, des enfants erraient parmi les ruines, cherchant désespérément des souvenirs de leurs foyers détruits.
La lutte pour l’eau potable
Les militants m’ont emmené voir des puits détruits. À Jabalia, un puits a été complètement démoli, incapable de pomper la moindre goutte d’eau. À Beit Lahia, un autre puits est hors service, privant des centaines de familles d’eau potable. Un habitant m’a dit, la voix brisée :
« Nous ne demandons que de l’eau. Nous ne cherchons plus le confort, juste de quoi survivre.«
Rencontre avec les habitants : témoignages d’une vie impossible
À Beit Hanoun, un homme nommé Abou Mohammed m’a montré les ruines de sa maison en disant : « Ici se trouvait ma maison, où vivaient mes six enfants. Maintenant, nous dormons sous les décombres et buvons une eau sale. Mais où pouvons-nous aller ?«
À Jabalia, une vieille femme, Oum Khaled, assise sous une tente de fortune avec son petit-fils, m’a confié en larmes : « Nous menions une vie simple mais digne. Aujourd’hui, nous n’avons plus rien, ni nourriture, ni eau, ni même un endroit pour dormir. »
Efforts humanitaires : un espoir au milieu des ruines
Malgré la détresse, les militants humanitaires s’efforçaient de mettre en place des initiatives pour soulager les souffrances :
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Réparer les puits d’eau endommagés.
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Installer des stations de dessalement mobiles.
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Construire de nouveaux camps pour les sans-abri.
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Distribuer des denrées alimentaires et de l’eau potable.
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Utiliser des camions-citernes pour approvisionner les zones les plus touchées.
Touché par leurs efforts, j’ai décidé de financer deux camions d’eau, l’un pour Beit Lahia et l’autre pour Beit Hanoun, via l’organisation UJFP.
Conclusion : Gaza, un symbole de résilience
Mon voyage à Gaza et au nord de la bande s’est terminé, mais les scènes de destruction resteront gravées en moi. Malgré les ruines, les pertes et la souffrance, Gaza reste debout, portée par la détermination et le courage de son peuple. Gaza n’est pas qu’une ville, c’est une histoire de résistance. Et tant qu’il y aura des Palestiniens pour y vivre, Gaza ne mourra jamais.
Photos et vidéos ICI.
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025.
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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.