Aux premières loges de l’implosion du gouvernement israélien

Anis Raiss, 4 septembre 2024. Imaginez une équipe sportive autrefois dominante aujourd’hui en plein désarroi : des joueurs en rébellion contre leur entraîneur, un staff technique en désaccord et des supporters, représentant le public israélien, manifestant en masse dans les rues. Tel est l’état actuel des choses en Israël.

Il y a à peine deux jours, Israël a été le témoin d’une nouvelle manifestation massive déclenchée par la mort de six captifs détenus à Gaza. La découverte de leurs corps a déclenché une colère généralisée et a conduit des centaines de milliers de juifs israéliens à descendre dans les rues de Tel Aviv et d’autres grandes villes. Au milieu des affrontements avec la police, ils ont exigé que le Premier ministre Benjamin Netanyahou conclue un accord de cessez-le-feu avec le Hamas, tandis que des appels à une grève générale ont été lancés par le syndicat national des travailleurs.

Les forces d’occupation, pierre angulaire des ambitions expansionnistes d’Israël, vacillent sous le poids des conflits internes. Les querelles publiques entre Netanyahou, le ministre de la Défense Yoav Gallant et le ministre de la Sécurité nationale d’extrême-droite Itamar Ben Gvir révèlent un gouvernement en proie au chaos, avec des agendas contradictoires et une stratégie qui s’érode.

Le Shin Bet, le service de sécurité intérieure d’Israël, a critiqué lui aussi les influences extrémistes au sein du gouvernement, révélant ainsi encore davantage les divisions croissantes. Le chef du Shin Bet, Ronen Bar, a pris l’habitude de qualifier les forces extrémistes de « terrorisme juif », qui, selon lui, « mettra en danger l’existence d’Israël ».

Les parallèles napoléoniens de Netanyahou et les discordes internes

Les actions récentes du Premier ministre Netanyahou ont encore davantage mis en évidence ces fractures. Le 17 juillet, lors d’un débat à la Knesset, Netanyahou a rejeté les appels à une enquête civile indépendante sur l’opération de résistance Déluge d’Al Aqsa du 7 octobre ; il a comparé ces exigences aux distractions bureaucratiques auxquelles étaient confrontés les dirigeants militaires pendant les guerres napoléoniennes.

Il a suggéré que toute enquête devrait attendre la fin de la guerre à Gaza, révélant une réticence à donner la priorité à la transparence en temps de guerre.

La comparaison de Netanyahou avec Napoléon est révélatrice : tout comme le retrait de Napoléon de Russie a marqué sa chute, l’évitement de la responsabilité de Netanyahou préfigure un repli similaire vers l’échec. Alors que les tireurs d’élite et les embuscades du Hamas infligent des pertes quotidiennes aux forces israéliennes, ce qui semblait autrefois être une campagne rapide et décisive s’est transformé en un conflit prolongé, marqué par la déloyauté et le désespoir dans les rangs de Netanyahou.

Le vote de la Knesset en juin dernier en faveur du projet de loi Haredi, qui oblige les juifs ultra-orthodoxes à servir dans l’armée, a également suscité un sentiment de trahison parmi les réservistes israéliens. Pendant des années, les Haredim, qui jouissent d’une influence politique importante au sein de l’État, ont évité la conscription, invoquant l’étude religieuse comme motif d’exemption.

Les réservistes, déjà surchargés par l’élargissement de la guerre, se sentent abandonnés par un gouvernement qui privilégie les alliances politiques aux besoins de sécurité nationale, creusant ainsi le fossé entre les communautés laïques et religieuses d’Israël.

De toute évidence, la discorde s’étend au-delà des désaccords politiques et imprègne profondément l’appareil de sécurité de Tel-Aviv. Le 20 août, la mère d’un des prisonniers israéliens s’exprimant devant une « commission civile » indépendante a révélé que le directeur du Mossad, David Barnea, lui avait dit qu’un accord sur les prisonniers était impossible « à cause de la politique ». Le Mossad a ensuite démenti cette affirmation.

Pendant ce temps, les familles des prisonniers ont accusé Ben Gvir d’entraver les initiatives d’échange de prisonniers, d’attiser encore davantage le sentiment public et d’intensifier la discorde au sein du gouvernement d’occupation.

Le terrorisme juif et l’érosion de l’unité militaire

Ben Gvir incarne le désarroi croissant au sein de la gouvernance israélienne. Le 19 avril, il a tweeté un seul mot – « Dardaleh ! » argot hébreu pour faible ou décevant – après l’attaque présumée d’Israël contre l’Iran. Ce tweet se moquait publiquement de l’armée israélienne, dépouillant le vernis de force que Tel-Aviv s’efforce de projeter.

L’imprudence de Ben Gvir ne s’est pas arrêtée là. Après les premières frappes de représailles de l’Iran au début du mois, qui, selon lui, ont détruit deux bases militaires israéliennes et causé de lourdes pertes – des déclarations en contradiction flagrante avec le récit officiel – Ben Gvir a approfondi les fissures existantes au sein de la direction israélienne.

Ses remarques ont porté un coup à l’image soigneusement élaborée d’unité militaire que la direction israélienne tente de maintenir, embarrassant un appareil militaire qui se targue d’être invincible.

Les provocations de Ben Gvir se sont étendues à de fréquentes visites et à des remarques incendiaires sur le site de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, un site d’une immense importance religieuse et de tensions historiques. Ces visites, accompagnées par les forces de sécurité israéliennes armées, loin d’être de simples gestes symboliques, ont déclenché des conflits non seulement avec les Palestiniens, mais aussi au sein du gouvernement israélien et de la communauté internationale.

Le 13 août, pendant Tisha BeAv – l’une des nombreuses apparitions provocatrices de ce type – les actions de Ben Gvir ont été largement condamnées dans tout Israël. Gallant et Bar ont exprimé leur profonde inquiétude quant à la création de « divisions internes » et au phénomène croissant du « terrorisme juif ».

Tel Aviv projette ses propres peurs

Cet avertissement fait écho au concept psychologique de « projection », théorisé par Sigmund Freud, selon lequel des individus ou des groupes projettent des traits ou des peurs indésirables sur les autres comme mécanisme de défense. Dans le cas d’Israël, le fait que les Gazaouis soient constamment qualifiés de « terroristes » reflète les actions violentes et extrémistes qui font de plus en plus surface au sein de ses dirigeants et de sa société.

Le gouvernement d’occupation, fervent dans sa dénonciation du terrorisme extérieur, est désormais confronté à une vérité troublante : son propre tissu sociétal s’effrite et de nombreux membres de ses rangs adoptent les tactiques mêmes qu’ils dénoncent.

Pour compliquer encore les choses, l’épouse de Ben Gvir, Ayala Nimrodi, joue un rôle dans l’administration du mont du Temple et renforce son influence sur l’un des sites religieux les plus instables d’Asie occidentale. Bien que son implication n’ait pas d’impact significatif sur la prise de décision, elle souligne l’investissement personnel que le couple a dans l’affirmation du contrôle juif sur le site.

Cela illustre un niveau de manque de professionnalisme inquiétant – même selon les normes israéliennes – au sein du gouvernement d’occupation, où vies personnelles et vies politiques s’entremêlent dangereusement. Tout comme Sara Netanyahou, l’épouse du Premier ministre israélien, au coeur de nombreux scandales, le rôle de Nimrodi montre comment les intérêts personnels peuvent s’immiscer dans la politique nationale, exacerbant les tensions et décrédibilisant des personnalités clés au sein du gouvernement.

Le clivage kahaniste

Le passé de Ben Gvir amplifie encore la gravité de ces évolutions. Disciple de Meir Kahane, dont le parti Kach a été interdit en Israël pour son idéologie raciste et violente et qui figurait sur la liste des organisations terroristes du Département d’État américain, Ben Gvir est depuis longtemps controversé.

Ses racines kahanistes sont caractérisées par une croyance en la suprématie juive – une idéologie qui considère les juifs comme des Übermenschen et les autres comme des Untermenschen. Cet état d’esprit suprémaciste ne se limite pas à Ben Gvir, mais imprègne la gouvernance israélienne. La distinction entre gauche et droite s’est estompée, ne laissant que la droite et l’extrême-droite, cette idéologie influençant des politiques qui perpétuent les inégalités et les tensions.

Ben Gvir n’est pas seulement une voix dissonante ; il représente une fracture qui a toujours couvé sous la surface, menaçant désormais de défaire l’illusion de leadership que la structure politique d’Israël a longtemps projetée.

Il ne s’agit pas d’un cas de déchirement d’un leadership autrefois cohérent, mais plutôt de l’exposition d’une fragilité inhérente masquée par une façade d’unité. Les actions de Ben Gvir sont les étincelles qui allument ces fissures présentes depuis longtemps, révélant l’instabilité sous-jacente de l’entreprise sioniste.

Et cela pousse les juifs israéliens à abandonner l’État et à fuir vers d’autres pays plus sûrs ; plus de 500.000 depuis le 7 octobre, beaucoup citant à la fois l’insécurité et la montée de l’extrémisme juif comme raisons de leur décision.

De la suprématie au chaos

Au cœur d’une guerre régionale, le gouvernement israélien est embourbé dans des conflits, Ben Gvir étant au centre de plusieurs différends. Sa récente menace de dissoudre le cabinet met en évidence son influence déstabilisatrice. La profonde méfiance entre Netanyahou et Ben Gvir découle de la détermination de ce dernier à promouvoir une idéologie extrémiste désormais omniprésente dans la politique israélienne, brouillant les frontières entre l’extrême-droite et le courant dominant.

Les actions de Ben Gvir ont non seulement tendu sa relation avec Netanyahou, mais ont également approfondi les divisions entre d’autres personnalités clés, telles que le ministre des Finances Bezalel Smotrich et le ministre de la Défense Yoav Gallant, qui s’affrontent sur des politiques susceptibles de porter atteinte à la sécurité d’Israël. Ces politiques ont également provoqué des conflits entre Gallant et Netanyahou, ce dernier menaçant de licencier son propre ministre de la Défense à plusieurs reprises.

Parallèlement, la volonté du ministre de la Justice Yariv Levin de procéder à des réformes judiciaires a déclenché des protestations généralisées, fragmentant encore davantage le gouvernement et menaçant les bases juridiques et la séparation des pouvoirs d’Israël.

Le cabinet israélien ressemble désormais à un vieil épisode du Jerry Springer Show – un spectacle chaotique où chaque personnage s’attaque à la gorge, les accusations fusent et le dysfonctionnement sous-jacent est exposé de manière flagrante.

Dans ce cirque politique divertissant, les provocations de Ben Gvir, y compris ses menaces de dissoudre le gouvernement, ne sont pas de simples manœuvres – ce sont des stratégies conçues pour exploiter les faiblesses au sein de la direction d’Israël.

De la même manière que Ben Gvir avait autrefois arraché l’emblème de la voiture du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin – assassiné en 1995 par un extrémiste juif opposé aux accords d’Oslo – en remettant symboliquement en cause l’unité, lui et d’autres responsables partageant les mêmes idées menacent désormais de démanteler complètement cette unité et de la briser de l’intérieur.

Article original en anglais sur The Cradle / Traduction MR