Aujourd’hui j’ai essayé d’entrer à Jérusalem

Mazin Qumsiyeh, 10 juillet 2024. Aujourd’hui j’ai essayé d’entrer à Jérusalem (où j’étais professeur de lycée) et j’ai été refoulé par les colonisateurs de l’apartheid. Mon épouse aussi. Malgré nos passeports américains. Il s’agit d’une violation flagrante de l’accord conclu avec le Département d’État américain qui permettait aux Israéliens d’entrer aux États-Unis dans le cadre d’un programme d’exemption de visa. Les citoyens américains ne sont pas traités avec respect, comme convenu.

Sliman Mansour, Gaza, 2024.

Au cours du week-end, les forces du régime d’apartheid nous ont empêchés de faire notre travail sur le terrain dans la vallée du Jourdain. Ce n’était pas la première fois. Nous sommes si souvent harcelés et empêchés de vivre une quelconque normalité.

Dans d’autres régions de Palestine, la situation est bien pire. Rien que dans la bande de Gaza, au cours des neuf derniers mois, 186.000 Palestiniens ont été tués par les bombardements, par le refus de nourriture, d’eau, de médicaments et par la destruction de leurs infrastructures, etc. Comme je suis en contact téléphonique avec de nombreuses familles de Gaza, j’entends des histoires d’horreur, notamment des morts de faim et s’il y a un aliment, ce n’est que du pain ou du riz (pas de protéines, de légumes, de lait, de fruits, etc.). Et ce qui m’inquiète le plus, ce sont les familles avec lesquelles nous avons perdu tout contact (pas de téléphone). Le régime bafoue notre droit à la religion, notre droit à la circulation, notre droit à l’éducation, essentiellement nos droits à la vie.

Je réfléchis à ces horreurs. Je réfléchis à la collusion et à la collaboration occidentales (États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, Australie, etc.) avec un génocide en cours et un processus de nettoyage ethnique en cours. Je réfléchis à l’hypocrisie et à la lâcheté. Je réfléchis au racisme et à la haine qui ont laissé 8 millions d’entre nous réfugiés et déplacés et le reste enfermé dans des camps de concentration. Je pense aux 21.000 Palestiniens dans les prisons israéliennes qui sont traités plus mal que n’importe quel régime n’a jamais traité son peuple opprimé dans ses prisons. Torture, famine, amputations, refus de soins médicaux et des dizaines de morts sous la torture que nous connaissons (mais le sort de 98% des prisonniers est inconnu puisqu’aucune représentation légale ni visite de la Croix-Rouge/Croissant-Rouge n’est autorisée). Je réfléchis au contrôle des grands médias occidentaux qui assurent peu ou pas de couverture de la réalité et beaucoup de régurgitations de mensonges et de distorsions.

Je réfléchis à tout cela mais je ne me décourage pas. Pourquoi ? À cause d’une chose : la résistance. Mon livre « Résistance populaire en Palestine : une histoire d’espoir et d’autonomisation » résume 120 ans de résistance, 14 soulèvements (ce soulèvement du ghetto de Gaza est le 15ème). Cela inclut des centaines de formes de résistance ; seule une infime minorité est armée et elle est également légale et encouragée par le droit international.

Puisse-t-il vivre (et mourir) en résistant, de Mazin Qumsiyeh

Des bulldozers arrachent des oliviers vieux de 2000 ans
Pendant que les réfugiés sont toujours aux portes, tenant leurs clés
Colons et soldats maraudant et tuant
Des terres et des maisons qu’ils aiment piller
Un grand-père pleure une fillette de 7 ans, âme de son âme
Les partenaires coloniaux envoient de l’argent et des soldats pour jouer un rôle
Le cerveau des enfants dans la main de leur père
Pendant que le fils de Netanyahu bronze sur une plage de Floride
Des têtes sanglantes jetées loin des corps
Des corps en décomposition laissés dans des hôpitaux détruits
Tandis que les pirouettes verbales des politiciens minimisent
les bombes de 2000 livres fournies par les USA
qui nivellent les quartiers
pendant que le sioniste Blinken fait pression sur la CCI et la CIJ
pour qu’elles arrêtent ou diffèrent
Une fillette affirme qu’elle a reconnu sa mère à ses cheveux
Mais un monde consumériste hausse les épaules – on s’en fiche
Les soldats et les politiciens d’une armée des plus fascistes menacent et se moquent
alors que les F35 bombardent Nuseirat, Gaza-ville, Bureij, Rafah… et chaque pâté de
maisons
Pas d’endroit sûr dans un camp de concentration plein de réfugiés
à qui tout est refusé, la nourriture, les médicaments, le carburant et toutes les commodités
Bulldozers D9, drones bourdonnants, phosphore blanc, ceintures de feu,
gémissements de mort sous les décombres et la chair des bébés fond
pour faire monter en flèche les cours des actions des fabricants d’armes
pendant que Génocide Joe joue le rôle d’une pute
tout cela pour voler les champs de gaz de la Palestine
un nouvel accord routier Asie-Europe de 6.000 milliards
le canal de Suez remplacé par le canal Ben Gourion
Cabale du « peuple élu » du Nil à l’Euphrate
La Nouvelle route de la soie remplacée
un nouvel empire à créer
Les anciens soumis
aux lobbies
Les oliviers détruits
Des pins plantés
Les communautés déracinées
Des racistes validés
Une guerre mondiale déclenchée
Pour rendre les riches encore plus riches
et les pauvres encore plus pauvres
À tout cela, il existe un antidote
La résistance est possible
Nous résistons en insistant sur nos droits
à revenir, à vivre, à manger, à allumer nos lumières
à espérer, à vivre, à planter nos arbres
à prendre soin de nos légumes et de nos abeilles
car nous croyons qu’exister
signifie résister
et résister signifie vivre libre
comme les êtres humains devraient l’être
Car il n’y a pas d’autre chemin
pour éviter la rage
vivre une vie qui a du sens
et mourir en paix
Et quand je serai mort
Qu’on dise
Ci-gît un bon fauteur de troubles
d’actions et d’idées un boulanger
né pauvre, mort pauvre
qui a aidé les autres lors de son court séjour
au pays de sa naissance
a vécu une vie riche en résistance
avec une persévérance acharnée
a gardé l’espoir vivant
a pleuré devant l’injustice
a parcouru le chemin des luttes
il les a colportées à travers les tempêtes
puisse-t-il réaliser son souhait de mourir en résistant
comme il vivait joyeusement en participant
aux chagrins de la vie
Il a esquivé les flèches
sans repos
Il a aimé pleinement
à vécu une vie pleine de sens
et est mort en paix.

Article original en anglais sur le blog de Mazin Qumsiyeh, « Popular Resistance » / Traduction MR