Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – Partie 1 (du 20.11 au 15.12.2023)

Brigitte Challande, 27 décembre 2023. Juste avant l’attaque du Hamas en territoire israélien le 7 octobre 2023, une mission d’information devait se rendre à Gaza, depuis la France, pour informer de l’action de la société civile gazaouie, sur le terrain. L’un des relais essentiels est Abu Amir Mutasem Eleïwa. Personnalité indépendante, très respecté dans la bande Gaza, il est l’animateur des Projets paysans. Il est aussi l’interlocuteur privilégié de l’Union Juive Française pour la Paix, qui soutient ce programme.

Ces Projets paysans (château d’eau, coopérative de production, autoproduction de semences, solidarité quotidienne – dont l’ouverture d’une crèche) visent à consolider l’autonomie du territoire et contrecarrer le désir de le fuir. Autre interlocuteur de choix : Marsel Alledawi, responsable du Centre Ibn Sina pour l’enfance, voué au suivi éducatif et psychologique. C’est l’une des rares structures strictement laïques du territoire.

La mission d’information n’ayant pu pénétrer à Gaza, c’est ensuite par conversations téléphoniques, messageries Messenger et WhatsApp que ces acteurs gazaouis ont entretenu un lien quotidien avec leurs interlocuteurs français. Dont le Marseillais Pierre Stamboul, vice-président de l’Union juive française pour la paix (UJFP), Sarah Katz (International Solidarity Movement), et Brigitte Challande, militante montpelliéraine de la solidarité avec les Palestiniens.

Ci-dessous, ils rendent publique la matière de ces récits reçus quotiennement depuis Gaza. Cela dans l’espoir de valoriser les ressources de solidarité, les capacités d’adaptation dans les pires situations, dont est capable de faire montre la société civile gazaouie ; tout ne se résumant pas au seul Hamas.

Pour une meilleure compréhension de ce suivi, il faut savoir qu’Abu Amir Mutasem Eleïwa (coordinateur des Projets paysans) s’était déplacé au Caire, à la rencontre de la mission française. ll s’y est alors trouvé bloqué jusqu’à son retour dans la Bande de Gaza à la faveur de la seule trêve humanitaire survenue à ce jour. Enfin, par souci de fluidité, les deux interlocuteurs gazaouis cités ci-dessous le sont le plus souvent sous leurs seuls prénoms (Abu Amir et Marsel). Le mode de retranscription de leurs récits alterne la reprise in extenso de textes et propos de ces deux personnes (alors entre guillemets et en italique), ou bien des synthèses reformulées en seconde main (par exemple en cas de retranscription après coup du contenu de conversations téléphoniques).

De Marsel Alledawoui (Centre Ibn Sina pour l’enfance), le 20 novembre

« Dès ce matin, je me rends à l’hôpital Al Emirati pour rendre visite aux prématurés qui étaient assaillis par l’armée d’occupation à l’hôpital Al-Shifa. Ils ont été transférés hier. J’ai rencontré le directeur de l’hôpital pour connaître les besoins de ces enfants et leur état de santé. Puis l’équipe de notre Centre Ibn Sina est allée acheter les fournitures nécessaires pour les prématurés, les a remises aux médecins et a visité ce service des prématurés.

Aujourd’hui est la Journée internationale de l’enfance, conformément à la Charte des Nations unies, il était donc important pour moi de mettre en œuvre cette action d’aujourd’hui pour les bébés prématurés qui ont été exposés au siège et aux bombardements de l’hôpital Al-Shifa alors qu’ils n’étaient âgés que de quelques jours ».

D’Abu Amir Mutasem Eleiwa (Projets paysans), le 22 novembre

A cette date, Abu Amir Mutasem Eleiwa reste bloqué au Caire, en Egypte, depuis le 5 octobre. Il est en contact continu avec sa famille, dans leur maison de Nuseirat (Nuseirat, proche de la côte, est la première localité au sud du wadi Gaza, c’est-à-dire exactement au milieu de la bande de Gaza). Ils mettent en oeuvre ensemble ce qui leur apparaît être une aide prioritaire : la maison familiale abrite une centaine de déplacés, et leur premier appel (10 novembre) concernait la possibilité même de manger pour les familles les plus démunies.

Abu Amir explique qu’en association avec une ONG gazaouie, ils ont réussi à mettre en place des transferts de fonds depuis l’extérieur. Cela permet de payer les commerçants pour les achats effectués. Plusieurs actions de terrain ont été menées à bien. Cela montre la volonté de la société gazaouie de maintenir une cohésion sociale, dans les terribles circonstances actuelles.

Quelques mots d’Abu Amir :

« Voici quelques photos de l’aide distribuée par Tatweer ( ONG gazaouie) aux habitants bloqués dans les maisons hier et avant-hier (samedi 18 et dimanche 20 novembre), en fonction du nombre d’habitants dans les maisons. Il n’a pas été possible de distribuer de l’aide dans les écoles car le nombre d’habitants y est très élevé et nécessite d’énormes quantités. Si l’une des écoles est approchée, les volontaires seront assaillis, car ils ne pourront pas distribuer l’aide à tout le monde en raison du trop grand nombre de personnes massées dans chaque école. La colère de la population envers les institutions est intense, compte tenu du manque d’aide et de la situation tragique dans laquelle se trouvent les habitants. C’est pourquoi l’aide a été distribuée directement dans les maisons. »

Avec l’avancée de la saison, l’arrivée de la pluie d’hiver (froide, mais positive d’un côté, car c’est de l’eau propre !), est dramatique pour les familles sans aucun abri. Abu Amir souhaite donc acheter des tentes pour mettre à l’abri les cas les plus criants, les familles avec de jeunes enfants.

Ces tentes sont facilement déplaçables et resteront pour les familles une aide la plus pérenne possible dans cette situation volatile.

Face à tous les frais à engager, l’Union juive française pour la paix (UJFP) demande d’aider de toute urgence la société gazaouie. Une collecte est lancée en ligne.

Abu Amir dresse le bilan de la journée du 23 novembre pour laquelle l’hypothèse d’un premier cessez-le-feu avait été évoquée

1. Pas de cessez-le-feu. L’armée israélienne a arrêté hier le directeur de l’hôpital Al-Shifa. Ordre lui avait été intimé de partir vers le sud. Mais à la hauteur de Netsarin, l’armée, qui a installé là un check-point, l’a arrêté. Le Hamas a alors stoppé les pourparlers.

2. L’armée israélienne mène des actions au sol. C’est le cas au moins à Netsarin. Elle contrôle des points de passage obligés pour les déplacés cherchant à rejoindre le sud de la bande. Les Palestiniens rapportent le vol d’argent, de vêtements… « Il faut s’y présenter sans rien ! »

3. Par ailleurs, de fortes attaques aériennes se poursuivent.

4. La distribution de tentes a commencé pour des écoles de Nuseirat abritant les déplacés.

Il y a deux types d’écoles, les écoles de l’UNWRA et les écoles « citoyennes ». L’UNWRA est l’organisme qui porte assistance spécifiquement aux réfugiés (de 1948), pour le compte de l’ONU. Les écoles « citoyennes » sont directement issues de la société gazaouie, et ne dépendent en rien de l’UNWRA.

Source UJFP

Malgré l’extrême difficulté de déplacement (il ne reste plus guère de possibilité que la marche et les carrioles tirées par des ânes), l’équipe d’Abu Amir a réussi à atteindre une première école, de l’UNWRA. Ils se sont alors heurtés au refus du directeur de les laisser entrer : pas de distribution d’aide à l’intérieur des écoles de l’UNWRA, qui ont leur propre règlement. L’équipe est alors allée vers une école « citoyenne ». Là il a été possible d’agir avec le plein accord du directeur. Quinze tentes ont été installées dans cette première école.

En fait, les écoles étant submergées, de nombreuses familles sont entassées juste au dehors, contre le mur. La distribution s’est faite aussi là, selon le critère du nombre d’enfants à mettre à l’abri.

L’un des problèmes dans cette zone centrale de la Bande de Gaza (donc à Nuseirat), c’est le renchérissement très important des prix. Les familles ne peuvent plus rien acheter. Le directeur de l’école a demandé à l’équipe de considérer la possibilité d’apporter des vêtements, des chaussures, des couvertures, des matelas…

L’équipe pense commencer par repérer où peuvent se trouver des stocks, en recherchant les propriétaires des nombreux magasins fermés, pour voir avec eux ce qu’ils pourraient avoir en stock.

5. Abu Amir doit-il quitter Le Caire et rentrer à Gaza ?

Quelques opportunités de cet ordre semblent se présenter. Mais la famille d’Abu Amir fait tout son possible pour l’en dissuader : « nous, on a une chance, même très faible, de pouvoir sortir, mais toi, si tu entres, tu ne pourras jamais ressortir ! » Abu Amir confirme son intention de rentrer dans la bande de Gaza (et il le fera quelques jours plus tard, à la faveur de la trêve).

Sa famille lui a dressé le tableau suivant : Pas de nourriture, pas d’eau, même pour les toilettes, pas de couvertures ni matelas, tout est allé aux familles de déplacés qui ont été accueillies ; impossibilité de se déplacer autrement qu’à pied ou avec un âne… sans compter la difficulté et le prix (500 shekels pour faire le trajet Rafah – Nuseirat).

Mais Abu Amir veut retrouver sur le terrain son équipe qui «  travaille vraiment bien ! Ils veulent se tourner vers ce que le directeur de la première école leur a demandé ». Il mentionne encore un nouveau massacre dans une école de l’UNRWA dans le camp de Jabalia. La puissance occupante bombarde comme un fou avant d’activer la trêve. Maintenant il a été officiellement annoncé de toutes parts que la trêve commencera demain à sept heures du matin, pour durer quatre jours.

Distribution des tentes au camp de réfugiés de Nuseirat – Compte rendu à partir du récit d’Abu Amir Mutasem Eleïwa (Projets paysans), le 24 novembre

« Cette guerre dure depuis plus de 47 jours. Elle a fait des dizaines de milliers de civils morts et blessés. Elle a provoqué le déplacement forcé de plus d’1,2 million de Palestiniens du nord vers le sud de la bande de Gaza. La plupart se sont installés dans les écoles de l’UNWRA. L’équipe en lien avec l’UJFP (Union juive française pour la paix) a donc effectué des visites sur le terrain de certains des abris de ces écoles dans le camp de Nusseirat, pour évaluer les besoins fondamentaux des familles déplacées. Lors d’une réunion avec les responsables de ces lieux, il a été constaté que les centres avaient absorbé plus du double de leur capacité et plus de la moitié des enfants, des femmes et des personnes âgées déplacées.

Le plus catastrophique est le manque d’abris effectifs pour la plupart des personnes déplacées dans ces écoles. Elles ont investi les terrains, les jardins et les routes adjacentes dans l’espoir d’une certaine sécurité. Le besoin fondamental reste la fourniture immédiate de tentes aux familles déplacées ainsi que la fourniture de toute une liste d’aliments et d’articles sanitaires. Grâce à une réponse rapide et avec les fonds disponibles, l’équipe en lien avec l’UJFP a immédiatement fourni et distribué trente tentes à des personnes déplacées dans les abris du camp de Nuseirat. L’équipe a en core besoin de fonds pour répondre à d’autres besoins fondamentaux. Des membres de l’équipe sur le terrain ont été attaqués à cause du nombre insuffisant de tentes par rapport aux nécessités. »

Au téléphone le 24 novembre, Abu Amir estime que de tels faits permettent de réaliser à quel point les gens sont à cran, à quel point ce qu’on apporte est petit par rapport à l’océan de besoins. Ça a vraiment failli mal finir, ce sont les personnels de l’école qui ont « exfiltré » l’équipe d’une foule très en colère. Il s’agit de gens qui n’ont pas trouvé place dans l’école, et se sont installés de manière très précaire autour, pensant que cela leur apportait quand même une forme de protection. Ils ont particulièrement besoin de tentes justement, et ont réclamé énergiquement d’être servis. Les explications d’Amir (un fils d’Abu Amir Mutasem Eleïwa), que le lot était déjà épuisé, que l’équipe continuerait à chercher des financement, sont mal passées…

Abu Amir revient aussi sur sa décision personnelle d’essayer de rentrer d’Egypte. Tout le monde s’y oppose fermement dans sa propre famille, en décrivant une situation matérielle très difficile, un danger incessant, et l’absurdité qu’il soit piégé dedans si la famille arrive à sortir… Même ses proches au Caire argumentent sur l’idée qu’il vaut mieux qu’il reste un vivant dans la famille.

Abu Amir a demandé conseil à la Doctora Mariam Abudaqa, grande personnalité de la société gazaouie, se trouvant elle aussi au Caire. Selon elle, le danger est trop grand pour entrer maintenant à Gaza… Mais lui n’arrive pas à se résigner.

Par contre, il souhaite que ce retour soit utile. On est maintenant probablement dans un rapport 1 à 10, quant à la différence de prix entre Le Caire et Gaza, et donc, sachant que le besoin de vêtements est énorme parmi les déplacés, il envisage d’acheter des lots de vêtements au Caire, autant qu’il pourra en porter.

Il a demandé à son interlocutrice de l’UJFP si on lui donnait le feu vert pour cette action, sachant qu’il n’y aura guère le temps de délibérer. Celle-ci a pris sur elle de le lui donner.

L’envers insupportable d’une trêve dite « humanitaire » – Autre récit d’Abu Amir, informé depuis Gaza, ce 24 novembre

Les habitants de la bande de Gaza sont éveillés depuis l’aube, attendant sept heures du matin, début de la trêve, pour aller inspecter leurs maisons dans la zone située dans la région centrale et au sud de dans la bande de Gaza et à l’est de Khan Yunis. Mais ils ont déjà commencé à revenir dans les écoles de l’UNRWA cet après-midi, désespérés par les destructions qui ont frappé les maisons qu’ils ont laissées dans la région de Khuza’a. Ne restent que des ruines, comme tout le reste des zones frontalières. Quant aux habitants déplacés depuis le nord de Gaza vers le sud, nombre d’entre eux ont tenté d’y retourner.

Certains d’entre eux ont réussi à dépasser les chars stationnés au carrefour de Netzarim, en empruntant des routes secondaires, mais la plupart ont essuyé des tirs. Beaucoup d’entre eux ont été blessés et au minimum une personne a été tuée. Ils ont donc rebroussé chemin. Les personnes entassées dans les écoles de l’UNRWA et dans les rues secondaires vivent des conditions tragiques. Les maladies se sont propagées, en raison du manque d’hygiène et du manque d’eau, de sorte que ces personnes déplacées ont décidé de risquer leur vie et celle de leurs familles pour rentrer chez elles.

95 % des voitures ne peuvent pas circuler en raison du manque de carburant. Cela oblige les gens à se rabattre sur des moyens de transport primitifs, tels les charrettes tirées par des ânes, qui ont joué un rôle efficace pendant la guerre pour transporter les personnes et les blessés vers les hôpitaux. Le prix d’une bouteille de gaz de 12 kilos a atteint 250 euros, et pour un litre d’essence, le prix a atteint 20 euros Ce qui rend très difficile le déplacement vers des régions éloignées.

On apprend aussi, par un responsable qui a pu s’y rendre, le fils d’Abou Jamal, que la crèche qui fait partie des Projets paysans a été bombardée par un missile F16 et complètement détruite. Il faut comprendre que la crèche était, en effet, partie intégrante de la résistance à l’occupation. Tout ce qui aide les paysans à renforcer leur organisation sociale, en plus de leur activité économique directe, les aide à rester fidèles à leurs terres, à ne pas renoncer ni envisager de partir, comme beaucoup de jeunes en ont la tentation. Dans ce sens, même une crèche peut paraître un obstacle aux occupants. « Honte à l’occupation ».

Compte rendu des actions pour les bébés prématurés, conduite le 20 novembre, par Marsel Alledawi (Centre Ibn Sina pour l’enfance)

«  Nous sommes aujourd’hui le lundi 20 novembre 2023, Journée mondiale de l’enfance.

En ce jour anniversaire, des enfants âgés de quelques jours seulement, y compris ceux nés avant leur date de naissance naturelle (prématurés), ont été des victimes. La guerre a détruit leur parcours de soins et leur a retiré leurs droits les plus fondamentaux, à savoir terminer leur traitement à l’intérieur d’une petite couveuse en verre. Les forces d’occupation ont attaqué l’hôpital Al-Shifa. Les soldats de l’occupation ont encerclé ces bébés prématurés avec des chars et sous les bombardements intensifs des avions de guerre. Après plusieurs jours de siège, les trente-et-un prématurés ont été transférés à l’hôpital El-Emirati de la ville de Rafah, au sud de la bande de Gaza, et leur état de santé était très critique.

Le personnel du Centre Ibn Sina s’est immédiatement rendu à cet hôpital. Une réunion a été organisée en urgence avec le directeur financier et administratif, le Dr Sami Abu Huwaishil, afin de faire le point sur l’état de santé de ces enfants et d’examiner les possibilités d’intervention d’urgence.

Les médecins ont informé le personnel du Centre Ibn Sina de l’état de santé des bébés prématurés, qui souffrent d’émaciation, de malnutrition, de complications et de maladies graves après avoir été bloqués pendant plusieurs jours à l’hôpital Al-Shifa dans des conditions humanitaires et sanitaires difficiles. Le directeur de l’hôpital nous a dit que ces enfants avaient besoin de soins d’urgence, de médicaments intensifs et de nourriture (lait maternisé).

La capacité de l’hôpital El Emirati, comme nous l’a dit le Dr Houshli, est suffisante pour onze enfants, mais en réalité ils ont actuellement quinze enfants en plus de ces trente-et-un prématurés qui ont été transférés de l’hôpital Al-Shifa. Donc le nombre total d’enfants dans le service des couveuses est de quarante-six enfants, à ramener à la capacité disponible, pour onze bébés prématurés seulement. Donc plusieurs bébés ont été placés dans la même couveuse.

En ce qui concerne les besoins de ces enfants, l’hôpital a besoin de Pampers pour les prématurés. L’hôpital a commencé à en manquer, ainsi que les marchés et les magasins, en raison de la pénurie ou de l’épuisement de tous les matériaux de base que connaît la bande de Gaza avec la fermeture des points de passage et l’absence d’entrée des marchandises ou de l’aide. Ils avaient également besoin de lait… Le personnel du centre a immédiatement collecté et acheté des fournitures pour bébés prématurés (lait, Pampers, papier hygiénique stérile) pour trente-et-un bébés prématurés présents à l’hôpital. Ces fournitures ont été remises à l’administration de l’hôpital et au médecin spécialiste du service des couveuses.

A notre demande, l’administration de l’hôpital nous a permis de visiter le département des couveuses et d’examiner certains cas, que leur état de santé permettait de voir. Nous avons vu des prématurés dont les corps étaient épuisés, maigres et émaciés. Une aile de papillon peut égratigner leur corps en raison de sa délicatesse. Je n’exagère pas si je dis que je suis devenu un opposant à certaines théories de l’éducation et de la psychologie qui affirment que les enfants prématurés et les nouveau-nés ne ressentent pas la peur. Vous voyez la peur dans leurs yeux, dans leurs petits traits, sur ces visages doux. Ils ne savent peut-être pas ce qui s’est passé, mais toute leur faute est qu’ils sont nés dans un cycle de conflits sanglants et d’occupation brutale.

Parmi eux, il y a ceux qui sont nés après le martyre de leur mère, ceux qui sont sortis du ventre de leur mère martyre. Quelle est la faute de cet enfant, si sa mère a été bombardée alors qu’il était dans le ventre de sa mère, pour donner naissance à un orphelin ? Chaque enfant a une histoire déchirante. Ils ne sont pas que des chiffres. Le directeur de l’hôpital nous a dit qu’aujourd’hui, seize enfants seront transférés en Égypte pour y être soignés en raison de la détérioration et de la difficulté de leur état de santé, et il a été annoncé ce soir que deux d’entre eux sont décédés au cours de leur transfert en Égypte.

En fin de compte, bien qu’il soit peut-être trop tôt pour parler de la fin, les conditions ici sont tragiques et désastreuses où que l’on se tourne. La Journée mondiale de l’enfance est une journée que nos enfants sont censés célébrer avec les enfants du monde entier, et ici, les questions habituelles que nous posons depuis des décennies se répètent. Combien de temps allons-nous continuer à perdre nos enfants ? Combien de temps nos enfants vivront-ils dans cet enfer ? Quand nos enfants vivront-ils leur enfance ?

Plus important encore, combien d’années nous faut-il pour effacer ne serait-ce qu’un peu de la mémoire de nos enfants le génocide auquel ils ont été exposés ? Je suis presque certain que ces questions sont posées par chaque personne parmi nous qui a une conscience vivante, et par le reste de l’humanité. Les questions persistent, et l’occupation continue de commettre des massacres, de déchirer l’enfance, de larguer des missiles et des obus de haine sur les corps d’enfants innocents. La communauté internationale reste silencieuse, parfois la communauté internationale est inspirée et libère des expressions auxquelles elle est habituée, comme la condamnation et, dans le meilleur des cas, la réprobation.  »

De Marsel, les 25 et 26 novembre

«  Pour profiter des jours de cessez-le-feu et de la facilité de circulation sans danger, nous pouvons faire de nombreuses activités, si possible. Des activités de soutien psychologique de groupe peuvent être réalisées en plus de la fourniture de vêtements d’hiver, comme des vestes par exemple, à certains enfants déplacés en raison de l’arrivée de l’hiver et du froid régnant dans les centres d’hébergement.  L’un des pères m’a raconté que pendant la pluie, il y a quelques jours, il s’est déshabillé et est resté en sous-vêtements pour couvrir ses enfants, car il vit dans une tente au milieu de l’une des écoles-abris.  Il m’a dit qu’après avoir enlevé ses vêtements et couvert ses enfants, et après s’être assuré qu’ils étaient au chaud et dormaient, il s’est assis dans un coin de la tente et a commencé à pleurer, jusqu’à ce qu’il s’effondre.

Il y a un nombre illimité d’activités qui peuvent être réalisées. Je vous enverrai quelques suggestions. Les besoins sont gigantesques évidemment, et pour tirer le maximum parti de l’arrêt des bombardements, Ibn Sina, qui a pu regrouper un peu ses forces (des psychologues du Centre Ibn Sina sont arrivées aujourd’hui. Elles connaissent très bien la nature de notre travail et ont travaillé avec nous au cours des dernières années dans le cadre d’initiatives telles que Think of Others et Let’s Smile Together.). Elles ont pris une initiative, en puisant sur leur ressources individuelles.

Après l’arrivée des volontaires du Centre Ibn Sina, nous avons pu fournir aujourd’hui des vestes d’hiver aux enfants déplacés afin de les garder au chaud en raison du froid et de leur apporter de la joie dans leur cœur. » 

Abu Amir, le 1er décembre

Abu Amir Mutasem Eleïwa est rentré à Gaza, et arrivé à Nuseirat. Il nous joint :

«  Chers Sarah et Pierre, je suis arrivé très tard hier, donc je ne pouvais pas vous contacter car il n’y a pas internet. À partir du moment où je suis entré dans le passage de Rafah, et le long du chemin de la maison, les bâtiments ont été détruits et les routes étaient inutilisables. Oui, ils ont ramené Gaza cinquante ans en arrière. Je suis allé le matin pour inspecter la région de Nuseirat et j’ai trouvé des gens qui marchaient dans les rues et ne savaient pas où aller. Des gens qui vivent sans rien du nécessaire pour la vie. Ce qui m’a affecté, c’est de voir tant d’enfants marcher pieds nus et porter des vêtements légers qui ne convenaient pas au froid de l’hiver. Par conséquent, une campagne de dons doit être lancée pour fournir rapidement des secours aux habitants de Gaza. Maintenant, j’étudie ce qui peut être fourni aux déplacés de ce qui est disponible. »

Marsel, le 1er décembre, en soirée

« Les forces d’occupation ont tiré ce soir des fumigènes sur les écoles de la zone d’Abou Zeitoun, dans le camp de Jabalia, qui compte plus de 60.000 personnes déplacées. Toujours dans le camp de réfugiés de Jabalia des avions d’occupation détruisent la tour Al-Daour qui est à proximité immédiate du centre Ibn Sina. Cent-dix martyrs depuis la fin de la trêve, dont trois journalistes. »

Communiqué du correspondant du BDS à Gaza, Haidar Eid, le 1er décembre au soir

« Alors qu’Israël reprend ses bombardements meurtriers avec des avions de guerre américains, son objectif est limpide : une deuxième Nakba, un #EthnicCleaning des Palestiniens à Gaza. Le #BDS appelle à une mobilisation massive et à une perturbation pacifique du statu quo pour mettre fin au #GazaGenocide en Israël. Si pas maintenant, quand ? » 

Est-ce une nouvelle Nakba ? Le but d’Israël n’est-il pas de provoquer un nouvel exode massif des Palestiniens de Gaza. Partout, la question est très sérieusement posée : ce qu’Israël fait en termes de bombardements d’hôpitaux, de lieux de culte et de maisons, d’écoles, de déplacement de résidents et de meurtres de sang-froid, c’est l’anéantissement du peuple. Partout où les citoyen.nes de Gaza fuient, ils et elles trouvent la mort devant eux.

Urgence, le 2 décembre

L’armée israélienne opère au sol et effectue des arrestations : directeur d’hôpital à Khan Younis, des ambulanciers…

Abu Amir (Projets paysans) au téléphone le matin du 4 décembre

1) Israël est en train de réussir ce qu’il a déjà fait dans le nord et Gaza-ville : les tanks séparent la zone médiane (Nuseirat.. Burej… Deir el Balah…) du reste du territoire.

Il crée la séparation d’avec Khan Younis, par bombardements puis arrivée des tanks.

On va arriver à trois zones : Nord+Gaza Ville ; Zone centrale ; Khan Younis et Rafah au sud.

On peut penser qu’ensuite ils sépareront Khan Younis de Rafah.

Dans l’horreur, il y a maintenant cette gradation : le pire est le nord, puis la zone médiane, puis Khan Younis, puis enfin Rafah, où Abu Amir pense qu’on peut à peu près vivre (aux bombardements près bien sûr).

2) l’état des marchés : les prix doublent. Les intermédiaires sont en cause, le gouvernement a essayé d’agir, mais c’est impossible, les marchandises arrivent dans les lieux de vente à ces prix, impossible d’attraper les responsables.

Exemple : hier il a pu acheter deux lots de chaussures à 30 shekels la paire, aujourd’hui elles sont vendues entre 50 et 60 shekels. Tout vient de Rafah et Khan Younis, donc par des circuits très fragiles, qui peuvent s’interrompre à tout instant.

Abu Amir a donc pu acheter 250 chaussures au prix d’hier. Aujourd’hui, en concertation avec les deux directeurs (d’écoles-abris pour déplacés), il va les distribuer dans ces deux lieux. Il a pu aussi se procurer trente ensembles chauds (25 shekels chacun). Il n’y en avait pas davantage, alors qu’il a « ratissé » Burej et Deir al Balah. Il n’a maintenant plus d’essence. Le dilemme est le suivant : il y a un médecin parmi les déplacés dans sa maison, doit-il prendre sa voiture pour tenter de se ravitailler pour distribuer dans les écoles ? On était, pour l’essence, dans les prix suivants : 500 shekels pour douze litres, mais maintenant on n’en trouve plus.

La distribution d’aujourd’hui dans les deux écoles va concerner 430 familles, pour lesquelles il va aussi essayer de confectionner des repas. Abu Amir répète que pour les enfants la pénurie est extrême, en médicaments et couches (on ne trouve plus de couches que pour les nouveau-nés).

Abu Amir a demandé le feu vert pour sauter sur toute marchandise valable trouvable. Son interlocutrice de l’UJFP indique lui avoir renouvelé avec force son feu vert.

3) Le circuit de l’argent

Abu Amir n’a pas encore reçu sur son compte les deux virements (correspondant aux tentes) de 1.500 et 600 euros. Et bien sûr pas celui de 2.000 posté samedi.

Donc le dernier envoi reçu sont les 700 euros (sur son compte le 10 novembre) affecté à une aide aux familles, distribuée les samedi 18 et dimanche 19 novembre.

Depuis son compte, Abu Amir tire du liquide par ATM – il en reste quelques-unes encore actives. C’est la raison pour laquelle il a ouvert un second compte : quand il ne peut pas tirer sur QUDS bank, il tire sur Palestine Bank, etc…

Toutes les banques étant fermées, les deux circuits actuellement actifs sont l’envoi sur son compte – pour l’instant sur QUDS Bank, tant que des distributeurs fonctionnent, et Western Union. Il n’est pas impossible qu’il trouve un guichet Western Union ouvert dans la zone centrale. Mais si cela se produit, il y aura des milliers de personnes cherchant à retirer des versements. Abu Amir demande donc instamment : s’il se trouve en possibilité d’approcher un guichet Western Union, lors il faudra lui envoyer de l’argent dans l’instant (comme je l’ai fait récemment pour Marsel et le Centre Ibn Sina).

Abu Amir conclut : «  j’attends de voir arriver les virements en cours sur mon compte, n’envoyez rien de plus tant qu’au moins un ou deux des virements ne sont pas arrivés. Tenez-vous prêt, s’il vous plait, à manoeuvrer immédiatement si je trouve un guichet Western Union ».

4) Enfin, Abu Amir certifie : « le meilleur de ce que nous avons fait jusqu’ici, ce sont les tentes. C’est de loin l’aide la plus nécessaire ».

Un récit transmis par Mariam Abudaqa, grande figure de la société civile gazaouie, le 7 décembre

« Tôt le matin, quarante femmes sont arrivées au camp de Bureij, après avoir parcouru cinq kilomètres à pied. Les femmes se trouvaient dans une situation désespérée après de longues heures de siège et de détention. Elles ont raconté les horreurs auxquelles elles ont été confrontées dans le quartier de Zaytoun, au sud de la ville de Gaza. Les soldats sionistes ont ordonné à tout le monde de quitter les maisons, ont séparé les hommes et les ont abattus devant leurs femmes et leurs filles. Ils ont ensuite détenu les femmes pendant des heures, les forçant à voir leurs maris et leurs enfants se noyer dans leur propre sang. Par la suite, ils ont été relâchés pour raconter le massacre, dans le but de semer la terreur chez les autres et de les contraindre à fuir après avoir entendu ces horribles témoignages sur ce qui s’est passé. Ce scénario précis, y compris ce type d’exécutions, s’était produit à Acre, Kafr Qasim, Deir Yassin, al-Zib, Tantura, Bayt Daras, Majdal Kurum et dans de nombreux villages palestiniens lors de la catastrophe de 1948. Les mêmes auteurs et la même méthode de meurtre. La catastrophe elle-même nous menace, nous rappelant qu’elle se poursuit de manière plus brutale ».

Abu Amir, le 8 décembre au matin

« Le spectre de la famine hante maintenant des milliers de familles déplacées ainsi que les familles qui ont accueilli les déplacés.

La situation dans la bande de Gaza est devenue désastreuse avec un manque de stocks alimentaires, de médicaments et de carburant, et les gens ont commencé à couper des arbres pour cuisiner ce qu’ils peuvent trouver sur les marchés.  Il y a beaucoup d’appels des familles à l’UNRWA, alertant que leurs enfants meurent de faim et manquent de tout pour vivre.

Les vols se sont multipliés, des gens ont attaqué des entrepôts de l’UNRWA il y a deux jours, et saisi le stock de farine, en raison de la faim extrême. 

Il y a une propagation généralisée des maladies de la peau, par manque d’hygiène et manque d’eau pour se baigner et boire. La population ne peut plus suivre les prix fous imposés par les commerçants pour les quelques produits disponibles sur les marchés.

En ce qui concerne les conditions de guerre, la nuit dernière a été très chaude dans toutes les régions, en particulier à l’ouest de Nuseirat et Madinat Al-Zahra, et personne ne pouvait dormir en raison de l’intensité des bombardements et des secousses des maisons comme si un tremblement de terre se déplaçait constamment, et il y avait des cris de femmes et d’enfants accompagnant le bruit des explosions ; une peur intense.

L’occupation a également commencé à répéter le scénario qu’elle a mené dans le nord de Gaza et dans la ville de Gaza, qui consistait à bombarder les réfugiés qui se réfugiaient dans les murs des hôpitaux.  Hier, l’occupant a bombardé des réfugiés abrités autour des murs de l’hôpital des martyrs d’Al-Aqsa dans la ville de Deir Al-Balah, ce qui a entraîné un certain nombre de martyrs et de blessés.

Le nombre de morts au cours des dernières 24 heures était d’environ 350, selon les statistiques du ministère de la Santé et les familles qui fuient leurs maisons en raison de l’intensité des bombardements sont forcées de lever des drapeaux blancs pour quitter leurs zones en toute sécurité, mais les soldats de l’occupation séparent les femmes et les enfants des hommes et laissent les femmes passer pendant qu’ils emmènent les hommes pour les exécuter, et ainsi de suite…

L’occupation et ses partisans ont violé toutes les conventions internationales et les valeurs humanitaires.

Quant au travail de secours que nous effectuons, nous avons pu distribuer 600 repas, chaque repas suffisant pour deux à trois personnes, et nous avons couvert environ 450 familles. Chaque repas coûtait 25 shekels et le coût de tous les repas était de 15 000 shekels. La question ici est : suis-je sur la bonne voie avec le budget disponible ou non ? Il s’agit d’une reconnaissance de l’école qui a reçu de l’équipe de l’UJFP 600 repas, chaque repas suffisant pour deux personnes, et qui ont été distribués aux personnes déplacées dans les deux écoles ainsi qu’à un certain nombre de personnes déplacées à l’extérieur de l’école.

Il y a aussi une lettre de remerciement adressée à l’UJFP pour les efforts qu’elle déploie en faveur des réfugiés. Ce qu’il y a de beau dans cette guerre, c’est que la direction de l’école m’a demandé quel type d’institution offrait des services, et je leur ai expliqué le travail et l’identité de l’institution, et que c’est une institution juive française qui reconnaît le droit des Palestiniens dans leur lutte et cherche la paix. Ils ont été très surpris par cette affaire et ont clairement indiqué que nous étions toujours les bienvenus ».

Par téléphone avec Abu Amir le 9 décembre à midi

1) Abu Amir a passé toute la matinée pour pouvoir accéder au guichet Western Union pour toucher enfin l’envoi de Dominique. Échec : le bureau n’a pas voulu lui délivrer l’argent, sous prétexte qu’il a déjà reçu un envoi ce mois-ci. Il m’apprend que maintenant, chaque bureau Western Union « appartient » à une banque donnée. Celui-ci est lié à QUDS bank, et QUDS bank a décidé qu’elle ne servira qu’un transfert par mois.

2) Abu Amir et son équipe ont distribué (compte rendu de ma part à venir demain inch’Allah) 600 repas, chacun pouvant alimenter 2 (voire 3) personnes. Chaque repas coûte 25 shekels. Il me demande de manière récurrente si on valide, malgré la dépense. Je réponds de manière récurrente que seuls eux, l’équipe sur place, peut savoir ce qui est le plus indispensable, et que la collecte est là pour les soutenir.

Le problème crucial est celui du riz : la cuisine qui a préparé les 600 repas a pu fournir elle-même tous les ingrédients, sauf le riz. L’équipe Abu Amir a dû en rechercher et l’apporter à la cuisine pour que les repas soient confectionnés. Ils continuent à rechercher activement cette denrée.

Donc 1.200 (probablement plus) personnes réfugiées dans l’école proche ont bénéficié de la distribution. Ce qui torture Abu Amir, c’est le sort des familles qui n’ont pas trouvé refuge dans les écoles. Il voudrait les servir aussi, mais pour que cela se passe sans heurt, il lui faut une liste d’adresses à servir, ce qu’il est en train de confectionner.

3) le travail essentiel de toute l’équipe est d’acheter les marchandises encore trouvables pour assurer des distributions, c’est à cette recherche qu’ils passent leur  énergie. Pour l’instant, ils ont obtenu (c’est stocké dans la maison d’Abu Amir) :

100 vestes (2 à 10 ans), 400 bonnets d’enfants, 500 paires de chaussures. Cela, ils vont le distribuer maintenant partout où c’est possible.

20 tentes. Pour Abu Amir  –  et vous verrez dans un compte rendu à venir que c’est vrai aussi à Rafah, c’est une population entière qui est « à la rue »  – , c’est la priorité des priorités pour les familles avec enfants.

Bref, il dit : tout ce que l’équipe peut trouver… car le froid est là, les nuits sont très froides.

4) Enfin, il rapporte deux infos :

il y a deux jours (si j’ai bien compris), l’armée israélienne est entrée à Nuseirat, a kidnappé des ambulances, et s’est efforcée de trouver des soldats israéliens prisonniers et de les libérer. Il dit : quand ils voient qu’ils n’y arriveront pas, les hélicoptères  Apaches attaquent et tuent tout le monde, des résistants palestiniens, mais aussi de leurs propres soldats !

Des médias israéliens rapportent ce matin que l’Égypte aurait accepté d’ouvrir la frontière de Rafah pour la sortie de personnes demandant à se réfugier (il cite par exemple les étudiants). Mais ceux-là ne devront pas rester dans le Sinaï. L’idée est de soulager un peu la pression humaine sur le poste de passage de Rafah

Abu Amir, depuis Nuseirat, 10 décembre 2023 au matin

« Nous avons passé une nuit violente hier, car l’occupant a bombardé la maison voisine à dix heures du soir. Ce bombardement a entraîné la mort du mari, de la femme et d’une petite fille. De plus, la femme était enceinte d’un mois et nous avons trouvé le fœtus gisant sur le sol, mort, après que la femme ait perdu la moitié inférieure de son corps.

Deux enfants déplacés dans ma maison ont également été légèrement blessés par une vitre éclatant aux étages inférieur et supérieur. Il convient de noter que cette famille n’appartient pas au Hamas et que nous la connaissons depuis plus de trois ans. Hier midi, j’étais assise avec le mari et un groupe de voisins pour parler de la situation à Gaza.

Je ne sais pas ce qui se passe, mais il semble que l’objectif de l’occupation israélienne ne soit pas d’éliminer le Hamas, mais de procéder à un nettoyage ethnique de la population de la bande de Gaza. Ce que j’ai dit précédemment au sujet des exécutions sur le terrain dans la ville de Gaza et dans le nord de la bande de Gaza est vrai, et nous vérifions chaque jour les récits des survivants de ces villes ».

Abu Amir, le 11 décembre

« C’est très clair. L’argent n’est pas un problème ici, la plupart des commerçants me connaissent bien et me disent de prendre ce dont j’ai besoin et de ne pas m’inquiéter. Je vais informer la cuisine de préparer 200 repas à distribuer aux personnes déplacées demain ». La stratégie adoptée par Abu Amir et son équipe consiste à rechercher très activement toutes denrées utiles pour soulager un peu la situation des familles déplacées du nord ou de la ville de Gaza. La ville de Nuseirat est débordée de centaines de milliers de déplacés, dont une grande partie est directement à la rue, n’ayant trouvé de places ni dans les centres d’accueils (les écoles en fait) bondés, ni chez des particuliers (comme la propre maison d’Abu Amir, ou s’entassent, limite « acceptable » dépassée depuis longtemps, 250 personnes).

Les familles ne peuvent pas acheter ces denrées, dont les prix ont flambé de manière honteuse. Grâce à l’argent de la collecte UJFP, l’équipe achète, et redistribue gratuitement au mieux. La distribution n’est pas simple, tout le monde ayant d’immenses besoins, et les stocks achetés étant forcément bien en dessous de ce qui serait nécessaire. L’équipe s’adapte, fait au mieux.

1) Ce qui a été distribués jusqu’ici :

les tentes. C’est de loin, le plus crucial pour les familles à la rue avec enfants, mais il n’est pas simple d’en trouver, et elles sont évidemment fort chères. 30 ont été distribuées la semaine dernière.

Les paniers alimentaires. Abu Amir est en relation avec une cantine capable de confectionner ces repas, prévu pour 2 personnes. 600 repas ont été distribués dans deux écoles-abris la semaine dernière.

Remarque : la distribution a eu lieu dans une école de l’UNRWA et une école gouvernementale, en concertation avec les deux directeurs. Les bénéficiaires identifiés dans l’école de l’UNRWA ont dû se déplacer jusqu’à l’autre école, aucune distribution n’étant autorisée dans les écoles de l’UNWRA.

La denrée cruciale manquante est le riz. Pour la distribution de repas de la fin de la semaine dernière, l’équipe a dû se mettre en recherche de riz, pour l’amener à la cantine, qui n’en avait plus du tout.

2) Le stock constitué la semaine dernière, qui va être distribué maintenant :

20 tentes (250 shekels chacune). Somme engagée 5.000 shekels ( approximativement 1.250 euros).

54 bidons, à remplir d’eau saine. Chaque bidon rempli coûte 30 shekels, soit une dépense de 1.620 shekels (approximativement 405 euros).

541 paires de chaussures enfants, 30 shekels la paire, soit une dépense de 16.230 shekels ( approximativement 4.062 euros).

360 bonnets d’enfants, à 10 shekels chaque, soit une dépense de 3600 shekels (approximativement 901 euros).

110 vestes pour garçons et fillettes (tout le stock disponible), chacune coûtant 35 shekels, soit une dépense de 3.850 shekels ( approximativement 963 euros).

3) Les problèmes de distribution et la solution actuelle

Deux obstacles majeurs : les drones et autres apaches attaquent tout groupe qu’ils repèrent (donc aussi bien une distribution de secours à des civils), et par ailleurs on ne trouve plus d’essence pour se déplacer.

Pour contourner ces deux obstacle, l’équipe vient de mettre en place la solution suivante : pour chaque lieu où s’entassent les réfugiés, dans toutes les directions mais pas excessivement éloignés de la maison d’Abu Amir, l’équipe distribue aux cas les plus en nécessité un document, comportant le sigle et le timbre de l’UJFP, avec mention d’un jour et d’une heure pour retirer les denrées qu’il est possible de leur donner – ceci de demi-heure en demi-heure, pour éviter les attroupements trop dangereux. Ils ont ainsi à aujourd’hui un fichier de 150 familles.

4) Action en cours

Le problème crucial est le riz, aliment de base.

Il n’a pas été possible d’en trouver à Nuseirat. Abu Amir a pu commander la venue d’un camion (par le trajet de la plage) depuis Khan Younis, convoyant une tonne de riz (ce camion était espéré le 10, il n’a pas pu venir, peut-être aujourd’hui 11 décembre).

Accord a été passé avec la cuisine préparant les repas, l’équipe gardera (et fera préparer par la cuisine) ce dont elle a besoin pour les distribution de repas chauds, la cuisine rachètera tout le surplus.

Urgence – Transmis par Marsel le 13 décembre au matin

Urgent| Ministère de la Santé à Gaza : « Nous annonçons que les vaccinations infantiles ont été complètement épuisées, ce qui aura des répercussions sanitaires catastrophiques sur la santé des enfants et la propagation des maladies, en particulier parmi les personnes déplacées dans des centres d’hébergement surpeuplés. Nous appelons les organisations internationales à intervenir rapidement pour fournir les vaccins nécessaires et garantir leur accès à toutes les zones de la bande de Gaza afin de prévenir la catastrophe ».

Abu Amir au téléphone le 14 Décembre

Concernant la distribution des denrées de première nécessité (pour les deux opérations d’avant-hier et hier, il s’agit de repas) achetés grâce à l’argent de la collecte.

Abu Amir et son équipe se sont tournés vers les milliers et milliers de familles qui sont à l’extérieur de ces structures. Il propose de se concentrer sur une zone clairement identifiable, un rectangle s’étendant le long de la mer, depuis le Wadi Gaza vers le sud, sur quelque 3 à 4 km de long, pour 1,5 de largeur environ. C’est un grand territoire dans lequel se sont installées à l’arrache des milliers et milliers de familles déplacées.

Son équipe a effectué une forme de recensement, famille par famille, du nombre de personnes dans la famille, quand ils sont arrivés, d’où vient la famille. Cela leur fournit une base de données – qui sera aussi utile pour organiser l’aide après les bombardements, si après il y a…

La distribution sur place par l’équipe est impossible, cela demanderait d’avoir accès à suffisamment d’essence pour embarquer en voiture les denrées et effectuer la distribution, c’est inenvisageable à cause du prix et de la rareté de l’essence. Le système mis en place est le suivant : l’équipe vient sur place et distribue aux familles des tickets, une carte portant le nom de l’UJFP authentifiant les tickets, à charge à la famille de venir à la maison d’Abu Amir (maison qui sert aussi d’entrepôt…), avec la carte UJFP et leur CI, pour récupérer leur dû.

Les débuts montrent que cela fonctionne très bien, avant-hier 2.000 repas (pour deux personnes chacun) ont été ainsi distribués, 1.000 hier. Les retours des bénéficiaires sont hyper chaleureux et encourageants.

Quand nous racontons les manifestations de solidarité française, Abu Amir nous répond :

« Oui, il y a de la solidarité et un grand éveil des gens à travers le monde. Ce qui se passe à Gaza a réveillé le peuple, mais le prix de ce réveil est très élevé. Des massacres sont commis quotidiennement, et Israël a franchi les lignes rouges et ne reculera pas pour commettre d’autres massacres tant qu’il est assuré qu’il ne sera pas puni, surtout à la lumière du soutien aveugle de l’Amérique et de l’Occident » .

Source de cet article : Altermidi.org

Brigitte Challande

Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association « Les Murs d’ Aurelle » lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.