Partager la publication "Comment la guerre génocidaire menée par Israël contre les Palestiniens est une tradition coloniale"
Joseph Massad, 18 décembre 2023. L’horreur ressentie par Israël et ses sponsors occidentaux depuis l’opération de représailles du Hamas du 7 octobre découle de leur mépris raciste à l’égard des Palestiniens autochtones, qui les a amenés à croire qu’Israël ne pourrait jamais être attaqué militairement avec succès.
Mais ce sentiment d’humiliation occidentale face au fait qu’un peuple non européen colonisé et « racialement inférieur » puisse résister et vaincre ses colonisateurs n’est pas sans précédent dans les annales de l’histoire coloniale.
À la fin du XIXe siècle, les Britanniques ont subi une défaite coloniale des plus illustres face à l’armée du royaume zoulou. Au cours de la bataille d’Isandlwana en janvier 1879, en Afrique australe, l’armée zouloue, forte de 20.000 hommes légèrement armés, humilia les forces coloniales britanniques, malgré leur armement supérieur, tuant 1.300 (dont 700 Africains) sur un total de 1.800 soldats d’invasion et 400 civils. La bataille a fait entre 1.000 et 3.000 morts chez les Zoulous.
Vengeance coloniale
La défaite stupéfiante a laissé la fierté britannique en lambeaux et a fait craindre au sein du gouvernement de Benjamin Disraeli que la victoire zouloue n’encourage la résistance indigène à travers l’Empire. En juillet 1879, les Britanniques entreprirent de ré-envahir les terres zoulous avec une force beaucoup plus importante, battant cette fois les Zoulous. Ils se vengèrent en pillant leur capitale, Ulundi, en la rasant, puis en capturant et en exilant le roi zoulou. Au total, 2.500 soldats britanniques (y compris leurs recrues africaines) et 10.000 Zoulous ont été tués.
Toujours en Afrique australe, Cecil Rhodes, un magnat minier britannique, fonda la British South Africa Company en 1889. La Compagnie partit du nod de l’Afrique du Suud pour conquérir davantage de terres et installer des colons anglais. En 1890, 180 colos et 200 policiers de la Compagnie partirent du Bechuanaland (aujourd’hui Botswana) vers le Mashonaland (aujourd’hui Zimbabwe). Cette année-là, Rhodes devint Premier ministre de la colonie du Cap.
La main-mise de la Compagnie s’est heurtée à une forte résistance locale de la part des peuples Shona et Ndebele en 1893 et 1896. En 1893, la sauvagerie des colons blancs était telle qu’ils ont qualifié le massacre du peuple Ndebele de « chasse à la perdrix ». Au cours de la révolte de 1896, les Shona et les Ndebele ont tué 370 colons blancs, ce qui a incité les Britanniques à envoyer 800 soldats dans la nouvelle colonie pour réprimer le soulèvement anticolonial, surnommé Chimurenga (qui signifie « libération » en Shona). Au total, 600 Blancs ont été tués sur une population coloniale de 4.000 habitants.
La réponse des Blancs fut encore plus sauvage que les meurtres de 1893. Un colon blanc « tirait sur les bergers et leur récupérait les oreilles, un autre coupait des morceaux de peau à ses victimes pour en faire des morceaux de tabac ». Les colons ont tué des Africains sans discernement, détruit les récoltes et dynamité les maisons. Les massacres et les destructions provoquèrent des famines généralisées, tandis que les chefs de la révolte furent tués et ceux qui survécurent furent pourchassés, jugés et pendus.
De même, en 1896, les Italiens, qui avaient établi une colonie de peuplement en Érythrée, décidèrent, avec les encouragements britanniques, d’envahir l’Éthiopie pour acquérir davantage de terres, pour ensuite être humiliés et vaincus par l’armée éthiopienne armée par les Français de l’empereur Ménélik II. Des milliers de soldats éthiopiens, érythréens et italiens ont été tués lors de la bataille d’Adwa.
La défaite d’une armée européenne face à une armée africaine a humilié l’Italie devant ses pairs européens ; sa soif de veangeance a dû attendre l’arrivée du régime fasciste. C’est Mussolini qui a vengé la défaite d’Adwa en envahissant l’Ethiopie en 1935. Cette fois, les Italiens ont tué 70.000 Ethiopiens et transformé leur pays en une colonie de peuplement.
Au nord encore, l’armée du dirigeant soudanais Muhammad Ahmad bin Abdullah, connu sous le nom d’al-Mahdi, conquit Khartoum des mains des colonisateurs britanniques et vainquit leurs forces en janvier 1885. Al-Mahdi mourut en août 1885 du typhus.
Inquiets devant la défaite italienne à Adwa, les Britanniques ont reconquis le Soudan en 1896 et ont pris Khartoum en 1898 après avoir tué 12.000 Soudanais avec de l’artillerie et des mitrailleuses, blessé et capturé plus de 15.000. Les Britanniques ont perdu 700 personnes, dont des soldats égyptiens et soudanais qui faisaient partie des forces britanniques.
Même morts, les dirigeants autochtones restaient soumis à la pratique coloniale européenne de la décapitation. Le conquérant britannique Lord Kitchener a ordonné l’exhumation du corps d’al-Mahdi, l’a décapité, l’a jeté dans le Nil et aurait utilisé son crâne comme encrier si des instructions venues de la reine Victoria après avoir entendu parler de l’abomination ne l’en avaient dissuadé.
Vengeance israélienne
Ces précédents coloniaux sont fondamentaux pour étudier la vengeance des puissances occidentales blanches lorsqu’elles sont humiliées militairement par des « peuples inférieurs » qui résistent à leurs conquêtes coloniales.
En 1954, après que les Français aient subi une défaite catastrophique à Dien Bien Phu, dans le nord du Vietnam, les Américains ont immédiatement pris le relais de la guerre, tuant des millions de personnes au cours des deux décennies suivantes dans toute l’Asie du Sud-Est.
Après son humiliation du 7 octobre aux mains des combattants dirigés par le Hamas, qui continuent de remporter d’importantes victoires militaires contre les forces d’invasion à Gaza, la vengeance d’Israël s’est poursuivie en menant une guerre génocidaire totale contre les Palestiniens. Cet assaut continu est soutenu logistiquement et financièrement par les pays suprémacistes blancs – européens et États-Unis – qui lui donnent également une couverture politique et morale.
La presse européenne et américaine a joué un rôle actif dans la promotion de justifications du génocide israélien du peuple palestinien à travers la promotion d’histoires racistes de violence palestinienne barbare et primitive, dont un bon nombre ont déjà été démystifiées et rétractées. Pourtant, ces fabrications racistes continuent d’être répétées comme étant vraies par les dirigeants politiques occidentaux.
Ce consensus occidental sur la nécessité de perpétrer un génocide contre le peuple palestinien a été résumé avec précision par le président israélien Isaac Herzog qui a déclaré que la guerre génocidaire de la suprématie juive d’Israël « n’est pas seulement entre Israël et le Hamas. C’est une guerre qui vise réellement à sauver la civilisation occidentale, à sauver les valeurs de la civilisation occidentale. »
Il a ajouté, en hommage à l’utilisation par Ronald Reagan de la moralité chrétienne dans sa campagne pour faire tomber l’URSS, que l’ennemi d’Israël n’est rien de moins qu’« un empire du mal ». Pour expliquer pourquoi il existe un si large consensus blanc en Europe et aux États-Unis en faveur de « l’anéantissement » de Gaza et de sa population, Herzog a soutenu que « sans nous, l’Europe serait la suivante, et les États-Unis suivraient ».
Une telle défense est caractéristique des colons européens suprématistes blancs. En 1965, deux mois avant que les colons blancs de Rhodésie ne déclarent leur indépendance, le brigadier Andrew Skeen, dernier haut-commissaire de la Rhodésie à Londres défendit la suprématie blanche et le colonialisme de peuplement en Rhodésie à Londres en affirmant qu’ « il est possible de stopper et repousser une invasion orientale de l’Occident », et le sort de la Rhodésie « étant en jeu, elle a assumé le rôle de champion de la civilisation occidentale.»
Tout comme les colons chrétiens blancs qui ont souvent invoqué la supériorité raciale et la défense de la civilisation occidentale pour justifier leurs crimes génocidaires, Israël invoque également la suprématie juive et la civilisation occidentale pour justifier ses crimes génocidaires. Cependant, le gouvernement israélien et ses partisans sionistes ont une autre justification puissante, dont ne disposent pas les colons chrétiens blancs, à savoir l’invocation de l’Holocauste et l’histoire de l’antisémitisme qui, selon Israël, lui confèrent le droit moral d’opprimer et de nettoyer ethniquement le peuple palestinien, une défense spécifique à la colonie juive de peuplement.
La défense toujours disponible et repoussante d’Israël pour ses crimes génocidaires est son affirmation selon laquelle, parce que les Juifs européens ont été soumis à un génocide perpétré par des chrétiens européens blancs, le gouvernement israélien peut donc infliger au peuple palestinien, au nom des juifs, toutes les atrocités qu’il juge nécessaires – même si cela signifie passer au bulldozer et enterrer vivants des dizaines de civils.
Quiconque oserait remettre en question ce noble génocide israélien des Palestiniens pour défendre la civilisation occidentale, comme le ferait la Cour pénale internationale si elle enquêtait sur les crimes israéliens, pratiquerait un « pur antisémitisme », comme l’a proclamé Benjamin Netanyahou avec beaucoup de morgue.
Héritages coloniaux
Compte tenu de l’horrible histoire d’atrocités commises par Israël contre les Palestiniens, en particulier contre ceux du camp de concentration de Gaza, qui ont subi ses manifestations les plus cruelles depuis près de deux décennies, de nombreux commentateurs ont trouvé diverses analogies pour condamner ou expliquer ce qui s’est passé le 7 octobre.
Dans une récente interview accordée au New Yorker, l’historien palestino-américain Rashid Khalidi, qui a été conseiller auprès de l’Organisation de libération de la Palestine à Madrid et à Washington au début des années 1990 sur la manière de négocier le soi-disant « processus de paix » kissingérien, a condamné la résistance palestinienne : « Si un mouvement de libération amérindien venait et tirait un R.P.G. dans mon immeuble parce que je vis sur un terrain volé, est-ce que cela serait justifié ? » Il a affirmé : « Bien sûr, cela ne serait pas justifié… Soit vous acceptez le droit international humanitaire, soit vous ne l’acceptez pas. »
Mais l’analogie de Khalidi, qui a suscité des critiques sur X, est erronée. Si les citoyens palestiniens colonisés d’Israël avaient bombardé les juifs israéliens qui vivent désormais sur leurs terres volées, l’analogie avec les Amérindiens aurait pu avoir quelque bien-fondé. Même dans ce cas, cependant, cela rappellerait la représentation raciste des colons blancs des Amérindiens dans la « Déclaration d’indépendance » des États-Unis comme « les sauvages indiens impitoyables dont la règle de guerre connue est une destruction sans distinction de tous âges, sexes et conditions », a rétorqué l’universitaire et activiste Nick Estes, de l’organisation amérindienne Red Nation.
Proposant une analogie différente, l’historien juif américain Norman Finkelstein, dont les parents étaient des survivants des camps de concentration, a comparé la résistance palestinienne aux détenus juifs s’échappant des camps de concentration et « enfonçant les portes ». Il a ajouté que sa propre mère avait soutenu le bombardement aveugle de civils allemands à Dresde. De nombreuses autres analogies abondent, notamment la révolution haïtienne et la rébellion des esclaves de Nat Turner.
Pendant ce temps, personne n’a proposé d’analogie avec le soutien massif que le public israélien apporte à l’anéantissement des Palestiniens à Gaza. Selon les sondages de l’Institut israélien de la démocratie et du Peace Index de l’Université de Tel Aviv, réalisés plus d’un mois après le début du bombardement israélien massif de Gaza qui avait alors tué des milliers de personnes, « 57,5 % des Juifs israéliens ont déclaré qu’ils pensaient que Tsahal utilisait trop peu de puissance de feu à Gaza, 36,6 pour cent ont déclaré que Tsahal utilisait une puissance de feu appropriée, tandis que seulement 1,8 pour cent ont déclaré qu’ils pensaient que Tsahal utilisait trop de puissance de feu. »
Plutôt que de développer des analogies réelles ou fictives, il faut toujours replacer la résistance palestinienne au colonialisme de peuplement israélien dans l’histoire de la lutte anticoloniale qui l’a précédée. La récente colère raciste de l’Occident et la guerre génocidaire menée par Israël contre le peuple palestinien captif s’inscrivent dans la continuité de cette lignée coloniale.
Les Éthiopiens, les Zoulous, les Soudanais et les Zimbabwéens font partie des personnes qui ont perdu des dizaines de milliers de personnes à cause de la suprématie blanche et du colonialisme de peuplement. Les autochtones algériens, tunisiens, mozambicains, angolais et sud-africains, sans parler des vietnamiens, cambodgiens et laotiens, en ont également perdu des millions dans leurs luttes respectives entre 1954 et 1994.
Au cours des 140 dernières années, et de manière plus dramatique au cours des 75 dernières années, les Palestiniens autochtones ont également été victimes de cet héritage persistant du colonialisme de peuplement européen fondé sur la suprématie juive et la défense de la « civilisation occidentale ».
Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR