Partager la publication "Plainte devant la CPI pour génocide et autres crimes (Art. 15.1) – LETTRE D’INFORMATION N° 5"
Communication des avocats, 10 décembre 2023. REMERCIEMENTS – LA PROCEDURE DEVANT LA CPI – L’ORGANISATION – LE DEBAT JURIDIQUE SUR LA PALESTINE
I – IMMENSES REMERCIEMENTS
Immenses remerciements à vous toutes et tous, qui d’une manière ou d’une autre, avez montré votre soutien et votre sympathie pour cette action juridique tendant à faire reconnaitre le génocide du peuple palestinien. En engageant cette action fin octobre, nous étions loin d’imaginer que nous allions rencontrer cet écho, désormais universel et ancré dans les réalités humaines.
Remerciements en particulier aux 180 ONGs, petites et grandes, qui ont eu la lucidité de nous donner les mandats, sans lesquels rien n’était possible.
Depuis, nous avons cherché à gérer au mieux, en gardant l’accent sur la priorité : obtenir une enquête urgente et approfondie, en vue d’obtenir des mandats d’arrêts chez l’agresseur. Nous sommes toujours sur cette phase, qui centralise nos efforts, dans un contexte très difficile.
Dans le même temps, nous avons aussi lancé les bases du futur travail collectif, avec une réunion à Stains, et de premiers déplacements (Algérie, Tunisie, Koweït…), pour rencontrer les avocats, les magistrats et les autorités, et répondre aux sollicitations de la presse, au plus près du terrain. D’autres déplacements sont en préparation.
Ajoutons à cela – les avocats le savent bien – que décembre est toujours un mois très chargé.
Bref, nous avons géré les urgences et porté notre action au plus haut, mais nous n’avons pu répondre aux très nombreux messages de soutien et aux demandes de coopération.
En janvier, s’ouvrira une autre phase, et nous trouverons les moyens de la disponibilité.
L’idée est que dans chaque pays, les juristes – avocat, magistrats, professeurs de droit – s’organisent sur une base professionnelle, en lien avec la société civile, chacun selon ses compétences et ses objectifs. En début d’année 2024, nous créerons une fédération internationale, organe de concertation et de ressources. L’objectif ne se limite pas à l’enquête sur le génocide. Il faudra être actif et au meilleur niveau, dans la durée.
Remerciements à tous, et des remerciements transmis de la part du peuple palestinien qui, soumis à la plus grande violence, voit, devant l’écroulement de pans entiers de la politique, le droit international comme un refuge.
ii – L’État de la procédure
Dans cette phase d’urgence, nous travaillons à démontrer que les éléments sont réunis, non pas pour juger l’affaire, mais pour décider d’un mandat d’arrêt. Nous démontrons que les faits sont largement établis, et même reconnus par la partie israélienne. Il faudra ensuite individualiser les recherches, mais les grandes lignes, qui établissent le génocide, sont parfaitement établies, spécialement à partir des analyses incontestables des organismes de l’ONU.
Nous identifions en outre quelques faits clairs, qui prouvent la culpabilité.
Ce mémoire complémentaire sera établi au nom de la société civile palestinienne de Gaza, avec des mandats donnés par les hôpitaux, les syndicats et les associations de Gaza.
Le mémoire sera remis au bureau du procureur, et diffusé quelques jours plus tard.
III – L’enjeu est l’accès à la justice internationale, et non pas la personnalité du Procureur de la CPI
La période est marquée par beaucoup d’interrogations et de critiques à l’encontre du Procureur, et une réponse précise s’impose.
L’élément déclencheur, c’est sa présence médiatique faite de déclarations, alambiquées, agrémentées d’incidences religieuses,… bien loin de la rigueur attendue d’un procureur, dont la parole n’a de valeur que si elle s’affirme dans le cadre de la loi, et en l’occurrence du statut de la CPI. On en est loin, et cela a de quoi dérouter. De plus, ses déclarations publiques ont été déséquilibrées, ce qui crée plus qu’un malaise, et donne un crédit alarmant à la pratique odieuse du double standard.
Il fallait certainement répondre à cette situation inédite : des Israéliens s’adressent à la Cour en tant que victimes et demandent justice, alors que le gouvernement d’Israël rejette violemment la Cour, l’accusant d’antisémitisme.
Cette incompréhension est d’autant plus vive que la période appelle à une rigueur simple, imposée par les évènements. En effet, le contraste est saisissant : chacun peut saluer la clarté des interventions du secrétaire général de l’ONU et des grands organismes internationaux – Rapporteur spécial, Haut Comité des Réfugiés, Organisation Mondiale de la Santé, Comité International de la Croix Rouge,…- de telle sorte que les oraisons du procureur laissent pantois. De même, comment le procureur peut-il aussi simplement invoquer le « terrorisme », qui n’est pas mentionné dans le statut de la Cour ?
Le désaccord est net, mais au final, ça change quoi ? Pas grand-chose.
Défendre les instances de régulation
La critique est libre, et il n’est pas besoin de diplôme pour s’exprimer sur les grandes questions qui marquent la vie de l’humanité. Mais pour qu’un point de vue soit entendu, il faut qu’il repose sur un minimum d’étude. Les grandes puissances qui entendent diriger le monde ne cessent de combattre le droit international et les instances de régulations, comme des empêcheurs. Elles rêvent de l’époque d’avant la décolonisation, où elles décidaient de tout… Aussi, nous déplorons la facilité avec laquelle des esprits critiques s’engouffrent dans cette propagande du discrédit, et que nous devons combattre. La justice internationale cherche à prendre sa place dans un monde dominé par la puissance de l’argent et des armes. À l’époque de Sabra et Chatila, il n’y avait rien, alors qu’aujourd’hui on discute de mandats d’arrêt… Aussi, notre devoir est de conforter ces instances pleines d’avenir, et de lutter contre tous ceux qui, par principe ou ignorance, veulent leur nuire.
Trouver un juge pour le peuple palestinien
Depuis 2009, nous avons une ligne constante : trouver un juge pour le peuple palestinien, et permettre au peuple palestinien de s’adresser directement à ce juge, pour forger dans la pratique judiciaire, le droit à l’autodétermination. Et dans cet effort de 14 ans, nos relations n’ont jamais été bonnes avec les procureurs : pourtant, cela ne nous a pas empêchés d’avancer. Notamment, M. OCAMPO manque de la plus élémentaire cohérence quand il affirme aujourd’hui que le blocus est un crime de guerre, après avoir tout fait pour classer sans suite la plainte que nous avions déposée en janvier 2009.
Être constructifs dans la procédure
Notre devoir professionnel est de dépasser cela. Dans notre mission qui est d’ouvrir les portes de la justice internationale au peuple palestinien, nous ne devons pas perdre du temps et de l’énergie dans des questions interpersonnelles, qui ne mènent à rien. La procédure ne nous place pas dans la dépendance des options personnelles d’un procureur. Ce qui nous permet de structurer le vrai travail, c’est la construction d’un raisonnement reposant sur les données objectives que sont les faits et le droit, et créant le terrain sur lequel devront se prononcer les juges. L’image d’un procureur qui décide de tout renvoie à des rapports d’infantilisation, que nous dénonçons. A nous d’être actifs, et de construire patiemment le chemin de l’accès au droit pour le peuple palestinien. La justice internationale n’appartient pas aux magistrats, mais aux peuples. Nous avons à construire un argumentaire, et à chercher à convaincre ; la justice est l’œuvre de l’effort des peuples, et tout résumer à la personne de ce procureur résulte de la pratique du moindre effort. Les magistrats exercent un mandat temporaire, alors que les peuples sont là pour toujours. Aussi, le travail de défense est de structurer, étape par étape, cette présence des peuples, et non pas de se mettre en arrêt en fonction des déclarations médiatiques d’un procureur.
Ce sont les actes qui comptent
Les paroles sont une chose, mais ce sont surtout les actes qui comptent. Or, sur les faits que nous avons qualifiés de génocide dans la plainte, le procureur a ouvert une enquête approfondie et urgente. Ce n’était pas acquis, et ses deux prédécesseurs n’en avaient pas fait autant. Une équipe solide a été constituée, avec la demande de prioriser ce dossier. Et nous avons été reçus de manière professionnelle et constructive par le bureau de victimes et cette équipe du bureau du procureur. Jusque-là, la norme était de s’en remettre à une commission d’enquête mandatée par le Conseil des Droits de l’Homme, et d’attendre de nombreux mois le rapport. Cette fois-ci, c’est le bureau du Procureur qui prend l’enquête à bras le corps. Or, chacun sait qu’instruire une telle affaire – avec 2,3 millions de victimes – prendra beaucoup de temps. Pourquoi aussi cette enquête urgente et approfondie ? Parce que le bureau du Procureur se pose la question de mesures urgentes, et les seules qu’il puisse prendre, est de saisir la chambre préliminaire d’une demande de mandat d’arrêt. Nous ne savons pas ce que sera l’avenir, mais nous savons que jamais cela n’a été aussi rapide et aussi proche d’une décision.
La seule instance présente sur le terrain juridique
Le procureur pourrait-il faire plus, et mieux combattre le double standard ? C’est une évidence. Mais regardons objectivement la réalité de l’environnement international, une fois passé le discours larmoyant sur la Palestine.
Le Conseil de sécurité laisse faire, bloque même les demandes de cessez-le-feu, et donc encourage la sauvagerie de l’agression militaire.
La Palestine garde une majorité à l’Assemblée générale, mais en recul, incapable d’imposer la reconnaissance comme État, et avec comme effort maximum, une saisine en 2023 de la Cour internationale de justice sur la notion d’occupation pratiquée… depuis 1967.
A ce jour, aucun État n’a osé saisir la Cour internationale de justice pour la prévention du génocide, alors que cela avait été fait pour les Rohingyas, contre le Myanmar (proie facile par rapport à Israël) …
Seuls 6 pays du monde arabo-musulman ont ratifié le traité de la CPI…, et sur ces 6 pays, seuls 2 ont déposé plainte pour le génocide.
Les pays arabes ayant signé les accords d’Abraham, pour la coopération économique avec Israël, n’ont pas remis en cause leur signature. La Ligue Arabe n’a strictement rien fait, et l’Organisation de la Coopération islamique est silencieuse.
Pas un mot, ni un geste des États européens, ou de l’Europe.
Alors, focaliser sur les atermoiements du procureur n’a aucun sens. Son bureau est la seule instance internationale qui travaille, et, dans les difficultés, nous mettons en avant des arguments et des preuves pour l’amener à ouvrir une enquête approfondie et urgente sur le génocide (c’est fait) et à la délivrance d’un mandat de d’arrêt contre le PM israélien, c’est le cœur des débats actuels.
Et en cas d’échec ?
Si le procureur ne donne pas suite, et ne saisit pas la chambre d’une demande de mandat d’arrêt ? Ou si ce mandat est refusé ? Ou si un mandat est délivré uniquement contre les responsables de groupes armés palestiniens ?
La réponse est claire : nous ne nous laisserons pas distraire, et nous poursuivrons notre effort, avec les droits que nous donne la procédure. Rappelons que la Cour est la seule instance qui a jugé, par sa décision du 5 février 2021, que « la Palestine est un État, avec une souveraineté sur la Cisjordanie, Gaza, et Jérusalem Est », ce qui était aussi l’avis du procureur. Aussi, il est hors de question de s’en prendre à cette institution, le seul endroit dans le monde où un Palestinien est un être humain, égal en droit.
Notre plan est général. Nous avons un projet très avancé de plainte pour Jérusalem, procédure essentielle car elle concerne la capitale, et qui ne pose pas du tout les difficultés de l’enquête sur le génocide. Également des projets devant le Comité des Droits de l’Enfant, la juridiction européenne, des juridictions nationales, et par la suite, la constitution d’un véritable réseau permettant un accès au droit à tous les Palestiniens, quelle que soit leur situation.
iV – Palestine : raisonner sur des bases justes
Bien des analyses sur sept bases entièrement fausses.
Première affirmation fausse : « La Palestine n’est pas un État »
La Palestine est un État, avec une souveraineté sur un territoire reconnu depuis 1921 : elle a été un État sous mandat, puis un État sous occupation. Cet État a été rejeté politiquement par l’ONU qui était le club des impérialistes avant la décolonisation, mais cela ne change rien à son existence. Après 1921, la Palestine jouissait de tous les pouvoirs d’États, comme les autres États sous mandat. Ce peuple sur son territoire disposait d’une organisation complète des pouvoirs, d’une nationalité, et la Palestine ratifiait les traités internationaux. En 1948, cela a permis à Israël de s’affirmer comme continuateur des traités signés par la Palestine sur son nouveau territoire.
L’ONU a en 2012 reconnu la Palestine comme État observateur, et le 5 février 2021, la Cour pénale internationale, statuant dans le cadre de son statut, a jugé que la Palestine était à ce jour un État, avec une compétence souveraine sur la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est.
Deuxième affirmation fausse : « L’État d’Israël a été créé par l’ONU en 1948 en compensation de l’holocauste nazi ».
La volonté de créer un « foyer national juif » en Palestine résulte de l’engagement pris par le ministre des affaires étrangères britanniques Balfour en 1917. À l’époque, la première guerre mondiale allait vers la victoire de la coalition occidentale, avec la défaite de l’Allemagne et de son allié l’empire ottoman. Alors que la révolution soviétique venait d’avoir lieu, la France et la Grande-Bretagne redoutaient que les peuples arabes, qui, avec l’écroulement annoncé de l’empire ottoman, avaient vocation à devenir des États, se lèvent contre leurs intérêts. D’où l’idée de créer un État qui défendra les intérêts occidentaux. La création de ce « foyer national juif » a été reprise dans le mandat donné par la SDN pour la Palestine en 1921, et l’immigration juive a aussitôt commencé. L’extermination des Juifs par le pouvoir nazi a conforté le projet, mais elle n’est pas à l’initiative.
Ensuite, l’ONU n’avait aucune capacité pour créer un État, car il y avait sur place la souveraineté palestinienne. La Palestine était reconnue comme un État sous mandat depuis 1921, avec une organisation politique complète, une nationalité, et la Palestine signait des accords internationaux. Une personne ne peut donner que ce qui lui appartient, et l’ONU n’avait rien à donner car aucune terre ne lui appartenait. La résolution de l’ONU de 1947 n’a été qu’une recommandation de plan partage, sans effet juridique mais avec un effet politique. L’État d’Israël s’est créé seul par une déclaration politique et l’enclenchement d’une opération militaire pour dégager 90 % des arabes musulmans de son territoire (La Naqba, 700 000 personnes), afin de créer un État juif avec une vraie majorité juive.
Troisième affirmation fausse : « La Palestine doit négocier avec Israël, qui dispose de toute la souveraineté, et qui pourra accepter des transferts progressifs de certains droits pour que la Palestine devienne un État »
Or, la Palestine était un État – un État sous mandat mais un État – entre 1921 et 1947, ce pourquoi l’ONU en 1947 voulait imposer un plan partage : on peut partager que ce qui existe. D’ailleurs, lorsque l’État d’Israël s’est créé, par une déclaration politique et une guerre en 1948, il devait conclure rapidement des traités internationaux pour avoir une vie internationale. Pour ce faire, Israël a déclaré à l’ONU qu’il était successeur des traités précédemment signés par l’État de Palestine sur son nouveau territoire, de telle sorte qu’il n’avait pas à ratifier de nouveaux traités. Ainsi par le jeu de la propagande, on est arrivé à une véritable inversion du jeu : l’État d’Israël, qui est le successeur de l’État de Palestine sur son territoire, se prétend aujourd’hui État d’origine, titulaire d’une souveraineté générale et en mesure de restituer des droits à l’Autorité palestinienne, qui deviendra peut-être un jour un État !
Quatrième affirmation fausse : « Dans la situation actuelle, Israël exerce son droit de légitime défense »
Israël est puissance militaire occupante, et une puissance militaire occupante n’a aucun droit de légitime défense vis-à-vis du peuple occupé. Dans l’affaire du Mur jugée en 2004 par la Cour internationale de justice, Israël invoquait la légitime défense pour la construction de ce mur, mais la Cour a expressément dit qu’Israel ne pouvait pas invoquer la légitime défense car elle était puissance occupante. C’est une règle parfaitement connue. En Algérie, la France n’avait aucun droit d’évoquer ce droit lorsqu’elle était en lutte armée contre le FLN, qui cherchait la libération du territoire.
Cinquième affirmation fausse : « Gaza n’est plus un territoire occupé »
C’est là encore faux. Il est exact que jusqu’à la fin des années 2000, il existait des colonies israéliennes sur le territoire de Gaza, qui ont été démantelées. Mais cela ne change rien au fait que le territoire relève de l’occupation militaire dès lors qu’Israël en contrôle tous les accès, et a en plus imposé un blocus. Selon le droit international, l’occupation est une donnée de fait : il y a occupation lorsqu’un État étranger assure son contrôle sur un territoire qui n’est pas le sien. C’est bien le cas à Gaza, et l’ONU le reconnait. Aussi, Israël doit la protection à la population du territoire occupé.
Sixième affirmation fausse : « Les pays européens soutiennent la solution à deux États ».
Affirmation fausse, car ce soutien des pays européens est une coquille vide : dans le processus d’Oslo, on ne peut discuter ni des frontières, ni de la capitale, ni de la constitution d’une armée, ni de la continuité territoriale, ni du retour des réfugiés. En outre, ce n’est pas à la partie israélienne d’accepter de transférer ces droits à la Palestine, car ce sont des droits palestiniens souverains. Aucun débat sérieux ne peut s’engager sans le démantèlement des colonies et la restitution de Jérusalem.
Septième affirmation fausse : « La CPI ne peut rien faire à Gaza, parce qu’Israël ne reconnait pas la Cour »
Cette question est définitivement tranchée par la décision de la Cour du 5 février 2021, qui s’est reconnue compétente sur la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-est. Israël affirmait que si la Cour rendait un arrêt de compétence, ses États alliés feraient appel. Or, aucun appel n’a été formé. Cette question est donc définitivement jugée.
La CPI peut donc instruire, décerner des mandats d’arrêts et juger les auteurs, à partir du moment où un élément des crimes a été commis sur le territoire palestinien, quelle que soit la nationalité de l’auteur des crimes.
Gilles DEVERS, Khaled AL SHOULI, Abdelmadjid MRARI