Ameer Makhoul, 8 juillet 2023. Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant , s’est vanté que l’offensive à Jénine ait « pleinement atteint » ses objectifs, affirmant que lorsque les combattants palestiniens retourneraient dans le camp de réfugiés, « ils ne le reconnaîtraient pas » en raison de l’intensité de l’attaque.
« La plupart d’entre eux ont quitté leur lieu de résidence, et ceux qui sont restés se sont cachés dans des endroits où ils étaient protégés par la population civile, comme les hôpitaux. C’est quelque chose qui indique plus que tout leur lâcheté et leur manque de courage », a déclaré Gallant.
La réaction de l’armée israélienne, en revanche, a été plus sérieuse. Elle a exprimé sa réelle inquiétude quant au fait que la résistance et les tactiques palestiniennes – y compris l’utilisation d’engins explosifs – pourraient s’étendre à diverses zones de la Cisjordanie occupée.
Gallant semble s’adresser au public israélien pour faire sa propre promotion et accroître son influence politique en dissimulant l’échec de son offensive plutôt qu’en présentant une image honnête de son résultat.
« Triomphe palestinien »
Cherchant à remonter le moral des Israéliens, Gallant a brocardé les combattants palestiniens qui auraient fui pendant l’attaque. Pourtant, on peut aussi dire que l’armée israélienne – considérée comme l’une des plus modernes au monde et équipée de son armée de l’air, de ses satellites, de ses forces d’élite et de sa technologie militaire de pointe – n’a pas réussi à pénétrer au coeur du camp de réfugiés de Jénine.
Au lieu de marcher, les soldats ont rampé sur le sol pour éviter de se faire tirer dessus. Lorsqu’ils ont quitté le camp, la scène était plutôt un repli dans des véhicules blindés et des véhicules de transport de troupes.
Les célébrations de la victoire des résidents du camp, avec les combattants, après le retrait de l’armée israélienne, furent exaltantes. Ils sont les réfugiés dont les familles et les grands-parents ont été expulsés de Haïfa et de ses environs pendant la Nakba en 1948, et qui ont récemment été déplacés de leurs maisons que l’armée a saisies pour les utiliser comme boucliers et casernes militaires après les avoir détruites.
Alors que le déplacement a touché un tiers de la population du camp, les scènes populaires spontanées de liesse ont célébré le triomphe palestinien.
Mais pourquoi le ministre israélien de la Guerre a-t-il utilisé le terme « fuir » pour qualifier les résistants, dont le nombre ne dépasse pas quelques dizaines et qui ne possèdent aucune arme létale, alors que les médias militaires et civils israéliens les présentent comme une armée régulière, avec un arsenal militaire et un état-major ?
La réponse à cette question réside dans les objectifs de l’attaque de Jénine, qui – comme l’ont mentionné les médias israéliens au préalable – était de transformer le camp de Jénine en un « cimetière pour terroristes ». Ron Ben-Yishai, analyste militaire israélien pour Ynet, a souligné la « déception de l’armée en raison du petit nombre de morts » parmi les combattants palestiniens.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et Gallant considèrent le camp de Jénine comme la « capitale du terrorisme », tandis que l’agence de sécurité israélienne, le Shin Bet, a déclaré que l’objectif était d’éliminer « l’infrastructure terroriste » et les « capacités de combat avancées, y compris le développement des capacités de fusées rudimentaires ».
Cependant, le général Tamir Hayman, directeur général de l’Institut d’études sur la sécurité nationale et ancien chef de la Division du renseignement militaire, a estimé que la résistance « vit dans le cœur des Palestiniens », n’a pas de capitale, et ne peut donc pas être éliminée en prenant d’assaut le camp de Jénine.
Hayman a ajouté qu’Israël n’avait « que l’option militaire sans aucun horizon politique ».
Une nouvelle ‘Nakba’
Si l’on considére que c’est l’objectif central du gouvernement israélien, alors il n’a pas réussi à l’atteindre. La résistance n’a pas été éliminée, ni ses capacités ni ses connaissances accumulées dans l’art du combat et de l’affrontement.
Au contraire, les événements sur le terrain ont prouvé que la résistance anticipait l’invasion de l’armée d’occupation, surveillait ses mouvements et déterminait comment, où et quand l’affronter dans une bataille entre deux parties inégales. Les Palestiniens ont tenu bon face à l’arsenal de guerre israélien.
Un autre objectif israélien était de cibler la base populaire palestinienne, c’est-à-dire le peuple palestinien dans son ensemble et les résidents du camp en particulier, les considérant comme faisant partie de « l’infrastructure terroriste ».
C’était le motif principal du ciblage des civils, la destruction complète des infrastructures, la coupure de l’eau, de l’électricité et des services de communication, ainsi que le déplacement forcé de 5.000 personnes de leurs maisons, qui rappelaient aux Palestiniens la Nakba.
La destruction de biens, quant à elle, leur a rappelé les attaques menées par des gangs de colons, dont l’incendie de villages et la destruction de biens à Huwwara, Turmus Ayya, Um Safa et Masafer Yatta.
Les objectifs de ces différentes opérations sont intégrés et interdépendants. Ils sont alignés sur l’idéologie sioniste religieuse dominante qui donne la priorité à un « projet de résolution » pour les Palestiniens – en d’autres termes, le nettoyage ethnique – et l’annexion au lieu de l’occupation.
L’idéologie cherche à créer une situation où il est dans l’intérêt des Palestiniens de quitter leur patrie. Ce projet a été formulé par le ministre de la sécurité, Betzalel Smotrich, qui est également le leader du parti Sionisme religieux et le responsable de la gestion des affaires et de la colonisation en Cisjordanie occupée.
L’occupation a voulu réprimer la conscience des Palestiniens, terroriser la population par des destructions massives et des expulsions, et lui faire payer le prix d’être l’incubateur populaire de la résistance.
En prélude à une autre vaste offensive sur la région nord de la Cisjordanie, y compris Naplouse, l’objectif politique central de l’offensive à Jénine est la « réinstallation » dans le nord de la Cisjordanie. Cela survient après que le parlement israélien a annulé en mars 2023 la loi sur le désengagement de 2005, qui imposait le désengagement d’Israël de Gaza et du nord de la Cisjordanie, et après le rétablissement de la colonie illégale de Homesh.
L’objectif est de construire des dizaines d’avant-postes coloniaux dans la région, de la judaïser et de l’annexer conformément aux accords de coalition.
Politique d’annexion
Pour l’occupation, atteindre cet objectif nécessite d’éliminer la résistance dans cette zone et de marginaliser le rôle de l’Autorité palestinienne, d’autant plus que la résistance vise l’armée et les colons israéliens. Les colons israéliens ne déménageront pas pour vivre dans cette région à moins que l’État ne leur fournisse la sécurité et la tranquillité, ce qui se fera aux dépens des Palestiniens.
Cela signifierait l’échec du projet de judaïsation et de colonisation du nord de la Cisjordanie, et un échec temporaire, au moins, du projet d’annexion, auquel les Palestiniens résisteront.
Ce projet était initialement marginal dans la politique israélienne mais a pris de l’importance après que l’ancien président américain Donald Trump l’ait approuvé et suite à la montée au pouvoir du sionisme religieux, qui a une influence importante sur la politique israélienne et une forte conviction idéologique.
Cela pourrait donner un poids politique au projet d’annexion alors que certains aspects de celui-ci ont été mis en œuvre sur le terrain dans les territoires palestiniens, dans le cadre de ce que l’on appelle l’annexion de facto, sans l’annoncer officiellement.
Les résultats de l’attaque de Jénine sont décevants pour ceux qui s’accrochent au projet d’annexion.
Par une décision politique, l’armée israélienne a cherché à procéder à une expulsion massive des réfugiés palestiniens du camp, ce qui indique que la mentalité de déplacement et la Nakba sont toujours profondément ancrées dans le régime israélien. Il y a des gens qui le soutiennent et plaident pour sa mise en œuvre.
Cependant, les Palestiniens ont réagi en retournant chez eux immédiatement après le retrait des forces d’occupation, tandis qu’une partie importante de la population a refusé de quitter leurs maisons malgré les menaces des soldats israéliens.
La mentalité de la Nakba et du déplacement n’a pas changé, mais celle des Palestiniens a changé. Ils ne veulent pas quitter leurs maisons, leurs villes ou leurs terres. Ils insistent pour rester chez eux, quelle que soit la gravité de l’occupation ou de l’agression.
Pour les forces israéliennes, en particulier lors d’opérations militaires, les Palestiniens sont des ennemis où qu’ils se trouvent, et doivent être ciblés en tant que tels.
Sur le plan politique, Netanyahu a réussi sur deux points importants. Sur le plan intérieur, il a obtenu le soutien des chefs de l’opposition parlementaire concernant l’attaque et la décision du gouvernement. Il a également bénéficié du soutien unanime du consensus national sioniste, y compris de l’opposition populaire, qui n’a pas pris position contre l’agression, tandis que les manifestations à grande échelle balayant le pays « pour la démocratie » ont ignoré l’attaque.
Sur le plan international, Netanyahu a reçu le soutien sans équivoque de l’administration Biden, ainsi que de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, qui ont soutenu « le droit d’Israël à protéger ses citoyens » et condamné le « terrorisme palestinien ».
Selon les estimations, la popularité de Netanyahu a augmenté, d’autant plus que la société et les médias israéliens ne se soucient pas du nombre de victimes palestiniennes ou des destructions massives. Ils se concentrent principalement et uniquement sur les pertes israéliennes.
La situation palestinienne est soumise à une agression israélienne continue dont les méthodes peuvent changer, mais son essence persistera toujours.
La classe politique israélienne dirigeante n’a aucune perspective de solution juste ni même de gestion efficace de l’occupation et du conflit. Elle s’appuie principalement sur la force militaire pour faire face ou reporter les crises. Cependant, ce qui se passe réellement, c’est que chaque agression déclenche le contraire de ses objectifs.
La résistance sort de la récente offensive plus déterminée, plus expérimentée et avec un soutien populaire plus large.
Israël cherchera à provoquer la discorde palestinienne interne, en particulier entre les deux principales factions politiques, le Fatah et le Hamas, afin d’atteindre ses objectifs militaires entre les mains des Palestiniens. C’est actuellement le scénario le plus dangereux.
L’agression d’Israël n’a pas changé les règles du jeu mais renforce plutôt la persistance de sa politique. L’armée d’occupation s’est peut-être retirée du camp de Jénine, mais sa prochaine offensive n’est qu’une question de temps et le compte à rebours a déjà commencé.
Assurer la protection des Palestiniens est donc un besoin urgent et doit devenir une priorité absolue.
Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR
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