Sur la question de l’Autorité palestinienne, les institutions sécuritaires d’Israël divergent

Ameer Makhoul, 27 juin 2023. Avec l’influence croissante de l’actuel chef du Shin Bet, Ronen Bar, une divergence notable émerge entre l’agence de sécurité israélienne et l’armée.

Des champs en flamme près du village palestinien de Qusra, pendant le pogrom mené par les colons israéliens le 22 juin 2023 (Flash90)

Ce clivage stratégique – récemment souligné par le raid de l’armée israélienne, le 19 juin, à Jénine – s’articule autour de deux questions : l’approche envers l’Autorité palestinienne (AP) et la question des incursions dans les villes palestiniennes, en particulier dans la zone nord de la Cisjordanie.

Le Shin Bet est favorable à l’invasion des villes palestiniennes et à la destruction de toute nouvelle formation de groupes de résistance. Cependant, son incapacité à détecter les menaces potentielles avant le raid militaire a conduit à des attaques surprises et à la destruction de véhicules blindés par des bombes placées en bordure de route.

L’armée israélienne, en revanche, avait des réserves quant à la conduite de raids en Cisjordanie. Selon eux, contrairement à la situation en 2003, où l’Autorité Palestinienne avait soutenu la Seconde Intifada, déclenchant l’invasion israélienne des villes de Cisjordanie, l’Autorité palestinienne a depuis fait volte-face.

L’armée estime qu’une Autorité palestinienne forte joue un rôle central dans le maintien de la sécurité d’Israël et le contrôle des activités palestiniennes. C’était également la position du Shin Bet jusqu’à récemment.

Saccages de colons

Depuis que le gouvernement d’extrême-droite est arrivé au pouvoir, il y a eu un changement marqué dans la politique israélienne en Cisjordanie. Hormis les affaires militaires, toutes les questions concernant le territoire occupé relèvent de la compétence de Bezalel Smotrich, chef du parti religieux sioniste et ministre des Finances.

Ce changement est conforme aux accords de coalition, qui orientent le programme du gouvernement.

Smotrich, personnalité puissante du gouvernement israélien, se concentre stratégiquement sur la dissolution de l’AP. Conformément à sa doctrine stratégique d’établissement de la « souveraineté juive » sur toute la terre de Palestine, il plaide pour l’invasion des villes et des camps pour obtenir des résultats décisifs.

Les colons israéliens agissent sous la direction de Smotrich, un leader des colons d’extrême-droite, qui, à son tour, travaille à façonner les politiques gouvernementales selon la volonté des colons.

Le Shin Bet maintient un œil vigilant sur les mouvements et les plans des colons et a même un département dédié à cette fonction. Appelé à l’origine le « département non arabe », il est maintenant appelé « le département juif » (toutes les institutions de l’État et la littérature officielle utilise le terme « non-juifs » alors que pour le Shin Bet, c’est « non-arabes »). Cependant, aucune mesure n’est prise pour contrecarrer leurs activités ou leur violence.

L’incapacité du Shin Bet à contrôler les colons suggère qu’il voit un rôle dans leur violence : établir une domination sur les Palestiniens, agir comme un moyen de dissuasion et briser tout soutien populaire aux organisations armées qui résistent à l’occupation.

La sauvagerie récente des colons est donc le résultat d’une stratégie mesurée et calculée plutôt que d’une « frénésie sanglante ». C’est une tactique pour faciliter les objectifs plus larges d’Israël d’intimidation et de nettoyage ethnique des Palestiniens.

Parmi les exemples récents, on trouve les incendies criminels à Huwwara, Turmus Ayya et Um Safa, qui n’étaient pas des attaques aléatoires, mais plutôt des attaques préméditées.

L’annonce par le gouvernement israélien de la construction de 1.000 logements dans la colonie illégale d’Eli – à la suite de l’opération armée palestinienne là-bas – met davantage en évidence ses objectifs coloniaux en Cisjordanie.

Affaiblissement de l’AP

Il y a trois mois, alors que la discorde au sein des rangs militaires s’intensifiait au sujet de leur opposition au coup d’État judiciaire potentiel, des voix clés de l’armée israélienne ont émergé. Parmi eux se trouvait le commandant militaire et ancien chef du Shin Bet, Nadav Argaman. Leur position était sans ambiguïté : si les politiques gouvernementales entrent en conflit avec l’État de droit, l’allégeance de l’armée ira à ce dernier.

Cependant, les actions de l’armée semblent maintenant être en contradiction avec sa position antérieure. Plutôt que de se conformer à la lettre de la loi, l’armée semble agir en accord avec les décrets du gouvernement.

Ce changement a été particulièrement évident dans le cas de l’avant-poste illégal d’Evyatar en Cisjordanie, qui a été évacué sur ordre du tribunal israélien. Au mépris de cet ordre, les colons sont revenus et se sont réinstallés, apparemment sans être empêchés par l’armée malgré le statut de la région en tant que zone militaire.

Progression annuelle des créations d’unités de logement dans les colonies de Jérusalem-Est

Cette évolution contredit la position et les évaluations de l’armée. L’armée a exprimé sa réticence à envahir les villes palestiniennes, comprenant que cela l’obligerait à jouer un plus grand rôle de maintien de l’ordre après l’invasion.

De plus, elle a ajouté qu’une telle décision épuiserait les ressources actuellement mobilisées contre l’Iran, la Syrie et le Hezbollah.

C’est pour ces raisons que presque tous les anciens chefs militaires, rejoints par toutes les anciennes agences de sécurité, s’opposent à l’affaiblissement (ou à l’effondrement total) de l’Autorité palestinienne. Au contraire, ils perçoivent cet affaiblissement comme une perte stratégique pour Israël, qui ne propose aucune solution tangible pour la paix.

Pourtant, on peut observer un changement de position significatif dans les rangs du Shin Bet, même si ce changement ne représente pas un consensus au sein de l’organisation.

Le directeur du Shin Bet reconnaît qu’une invasion du nord de la Cisjordanie pourrait potentiellement déstabiliser l’AP, mais il plaide pour une invasion à court terme qui ne prévoit pas ce qui se passerait par la suite. Reconnaissant l’incertitude inhérente à la guerre, il reconnaît qu’il ne peut pas imposer la durée d’une invasion.

Bar a en outre reconnu que l’incendie criminel de Turmus Ayya était un coup dur porté à la crédibilité de l’AP – un avantage pour le Shin Bet. Les communautés palestiniennes ont critiqué la « négligence » de l’AP et son incapacité à les protéger des attaques des colons, en particulier dans la zone C, qui est entièrement contrôlée par Israël.

Dans une rare dérogation à la norme, le Shin Bet a envoyé un représentant à la commission de la Knesset responsable des projets d’implantation. Le représentant, s’exprimant derrière un rideau, a exprimé le soutien de l’agence à un projet de loi qui développerait la présence juive dans les villes à majorité palestinienne en Israël, comme la Galilée.

Ce représentant a affirmé que la « judaïsation » de la Galilée est, en fait, une question de sécurité nationale. Il a ajouté : « Le niveau de peuplement dans la région apporte avec lui plus de forces de police et d’application de la loi, l’éducation, le développement des routes, et plus encore. »

Il a en outre suggéré que le Shin Bet s’efforcerait de protéger les communautés juives des menaces potentielles considérées comme opposées à l’État. Cette politique comprend des stratégies visant à diluer l’importante présence arabe en ‘Galilée’ et à perturber sa continuité.

Les objectifs du projet de loi soutenu par l’agent du Shin Bet sont décrits comme des principes de l’accord du gouvernement de coalition, concernant la « judaïsation » non seulement de la ‘Galilée’, mais aussi du Naqab, de la zone C en Cisjordanie et de Jérusalem.

Enfin, le représentant du Shin Bet, choisissant de rester anonyme, a corroboré cela comme le point de vue de Bar, le chef de l’agence. Cette révélation pourrait signaler l’inclinaison potentielle de l’organisation du renseignement vers les politiques ministérielles, ou à tout le moins, suggérer une congruence croissante dans leurs évaluations stratégiques.

Divergence

À la suite de l’incendie criminel de Turmus Ayya le 21 juin, les forces israéliennes ont affirmé qu’elles n’avaient pas été préalablement informées des intentions des colons d’envahir la ville. Habituellement, ces renseignements proviennent du Shin Bet.

Cependant, certaines sections au sein de l’armée, notamment le bataillon de Cisjordanie (officiellement reconnu comme « la division Judée et Samarie »), sont fortement influencés par l’idéologie du sionisme religieux. Ces soldats et officiers ne respectent pas strictement les ordres de l’état-major général et perçoivent plutôt eux-mêmes et les colons comme un corps unifié – comme leur commandant, le colonel Roi Zweig, l’a déclaré l’année dernière.

Le chaos interne s’est manifesté lorsque des gangs de colons terroristes ont perpétré l’incendie criminel sous le parapluie protecteur de l’armée et sous son œil vigilant. Cela s’est produit après que la ville a été assiégée, tous les points d’accès entrant et sortant étant effectivement bloqués. Cette tactique rappelle une tactique sioniste historique qui a été associée à d’autres massacres tragiques.

La divergence entre l’armée israélienne et le Shin Bet menace de bouleverser un vieil équilibre entre les principales institutions de sécurité d’Israël – l’armée, le Shin Bet et le Mossad – et le gouvernement. Qu’il s’agisse de questions concernant l’Iran ou la Palestine, le consensus entre ces trois agences de sécurité a toujours été un facteur décisif.

Fait intéressant, le Shin Bet semble se rapprocher de la position d’extrême-droite du gouvernement en s’alignant spécifiquement sur Smotrich. Smotrich est apparemment convaincu que saper l’AP est une étape nécessaire pour faciliter les projets du parti au pouvoir qu’il dirige (le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, est devenu une voix que personne n’écoute en matière de sécurité).

Le débat au sein de l’appareil sécuritaire de l’État occupant sur la question de savoir s’il doit déstabiliser l’AP n’est pas encore réglé. Malgré des années de siège de l’AP, le désir d’Israël de provoquer son effondrement total est incertain.

Cependant, un soutien distinct à cette stratégie semble se développer sur la base de nombreuses évaluations sur l’ère qui suivra le président Mahmoud Abbas, âgé de 87 ans. La question du paysage post-Abbas est une préoccupation fondamentale de tous les composants de la machinerie de l’État occupant.

Au fur et à mesure que la situation évolue, il devient de plus en plus évident que le Shin Bet se concentre non seulement sur la rupture des liens et des attentes qui existent entre les Palestiniens vivant dans la zone C et l’AP, mais aussi sur l’exacerbation des plaintes des résidents locaux contre l’organe directeur.

L’AP, inhibée par les restrictions israéliennes, est incapable de fournir une quelconque forme de protection ou d’action dans la région. Ces réalités feront probablement pencher la balance en faveur de ceux en Israël qui souhaitent affaiblir – ou détruire – l’AP.

Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR
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