Le dernier soupir de l’Autorité Palestinienne ?

Joseph Massad, 23 février 2023. Une grande excitation a entouré le récent vote du Conseil de sécurité de l’ONU sur un projet de résolution présenté par les Émirats arabes unis, avec la coopération de l’Autorité palestinienne (AP), contre les plans de colonisation en cours d’Israël dans les territoires palestiniens occupés.

Des jeunes Palestiniens du camp de réfugiés de Shuafat gardent les barrages routiers qu’ils ont établis pour empêcher l’entrée des forces israéliennes dans le camp, 19 février 2023. [Crédit : Azza Jamjom]

Lundi, cependant, les Émirats arabes unis, le représentant de la Ligue arabe au Conseil de sécurité de l’ONU, et l’Autorité palestinienne ont retiré la résolution sur ordre des États-Unis émis par l’administration Biden.

Les États-Unis avaient exhorté les membres du Conseil de sécurité à ne pas soumettre la résolution à un vote, et proposé à la place qu’ils adoptent une déclaration conjointe symbolique « que Washington pourrait soutenir ».

La résolution aurait condamné la décision du cabinet israélien de la semaine dernière de légaliser neuf colonies juives en Cisjordanie et de construire 10.000 nouvelles colonies juives à Jérusalem-Est.

Deux jours avant le vote prévu, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a personnellement appelé le président palestinien Mahmoud Abbas et lui a ordonné de retirer la résolution.

L’AP a dûment obéi aux ordres. Les Émirats arabes unis, avec le soutien de l’AP, ont remplacé la résolution par une déclaration présidentielle non contraignante, conformément aux ordres américains.

Une tentative désespérée

Il s’agit de la toute dernière manœuvre de l’Autorité palestinienne pour éviter sa disparition, que les observateurs israéliens et arabes prédisent depuis longtemps.

En effet, l’AP a eu beau émettre des protestations de façade contre le gouvernement Netanyahu, les dirigeants de l’Autorité se sont conformés aux ordres de leurs maîtres à la Maison Blanche et ont supplié Netanyahu, avant même qu’il n’entre en fonction, d’ouvrir un canal secret de pourparlers et ont offert encore plus de services aux Israéliens, dans l’espoir d’assurer la survie de la structure.

Netanyahu, qui a ignoré l’AP pendant près d’une décennie en suspendant le soi-disant « processus de paix », a facilement accepté l’offre sous la pression américaine.

C’est le ministre palestinien des Affaires civiles Hussein al-Sheikh qui a transmis le message au bureau de Netanyahu par l’intermédiaire de l’administration Biden, un message qui a été envoyé une deuxième fois après que le gouvernement de Netanyahu a prêté serment.

Sheikh, qui est également secrétaire général du comité exécutif de l’OLP, est « la personne ressource pour les relations palestiniennes avec les États-Unis et Israël ».

Netanyahu a nommé le conseiller à la sécurité nationale Tzachi Hanegbi pour mener les pourparlers secrets.

C’est au cours de ces pourparlers, tenus en personne et par téléphone, que Hanegby et Sheikh sont parvenus à l’accord qui a conduit l’AP et les Émirats arabes unis à retirer la résolution du Conseil de sécurité.

Les Israéliens ont exigé que l’Autorité Palestinienne mette fin aux procédures judiciaires devant la Cour Pénale Internationale et la Cour Internationale de Justice.

Pour leur part, « les Palestiniens ont demandé à Israël d’arrêter les mesures unilatérales telles que les incursions dans les villes palestiniennes », a déclaré Hangeby à la Conférence des présidents des organisations juives d’Amérique du Nord.

Il a ajouté avoir dit aux Palestiniens qu’Israël « ne veut pas envoyer l’armée israélienne dans les villes cisjordaniennes de Jénine et de Naplouse mais le fait parce que les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne “ne le font pas elles-mêmes” ».

Israël a généreusement offert de fournir une « aide » aux forces de l’AP pour écraser la résistance dans les villes de Cisjordanie.

Le dernier massacre israélien de 11 palestiniens à Naplouse, qui a également blessé au moins 102 personnes, indique que malgré l’aide israélienne, les forces de l’AP se sont révélées incapables de contenir elles-mêmes la vague montante de la résistance palestinienne.

Le secrétaire Blinken, qui a rendu visite à Abbas il y a quelques semaines, lui a ordonné de mettre en œuvre « un plan de sécurité américain visant à rétablir le contrôle de l’Autorité palestinienne sur les villes de Jénine et de Naplouse, qui sont devenues des centres de troubles ».

Le plan de sécurité a été rédigé par le coordinateur de la sécurité des États-Unis, le lieutenant-général Michael Fenzel.

Le plan « inclut la formation d’une force palestinienne spéciale qui serait déployée dans cette zone pour contrer » la résistance palestinienne. Fenzel est le coordinateur américain de la sécurité de l’Autorité israélo-palestinienne depuis novembre 2021.

Fenzel n’est pas une figure mineure et est assez expérimenté dans les stratégies visant à réprimer la résistance des Arabes et des musulmans à l’occupation militaire américaine.

Naplouse salue ses résistants tombés en martyrs sous les balles de l’occupation israélienne hier (photo Ayman Noubani/Wafa)

Il a déjà servi dans la guerre du Golfe de 1990-1991, lors de l’invasion américaine de l’Afghanistan en 2001, ainsi que lors de l’invasion américaine de l’Irak en 2003.

Il était général de brigade dans l’armée américaine et a été membre militaire principal du Conseil des Relations étrangères et est le fondateur du Conseil des affaires émergentes de sécurité nationale (Council for Emerging National Security Affairs -CENSA).

Fenzel est membre à vie du Conseil des Relations étrangères et ancien directeur du personnel du Conseil de sécurité nationale à la Maison Blanche.

Il a été conseiller militaire principal du Représentant spécial pour la réconciliation en Afghanistan au Département d’État des États-Unis et est l’auteur d’un livre sur la stratégie militaire soviétique en Afghanistan.

Avant la visite de Blinken, et sur ordre des États-Unis, les chefs des services de renseignement égyptiens et jordaniens ont également rendu visite à Abbas pour faire pression sur l’AP afin qu’elle intensifie sa répression de la résistance palestinienne.

Selon des fuites récemment signalées, les États-Unis sous-traitent la formation de 12.000 forces de sécurité de l’AP sur la manière de mieux écraser la résistance palestinienne à ses alliés égyptiens et jordaniens.

Ce n’est pas la première fois que les deux pays sont sous-traités pour cette tâche.

Ils ont été impliqués dans la formation des agents de sécurité de l’AP au cours des deux dernières décennies, en particulier lors de la préparation du coup d’État de l’AP de 2006-2007 contre le gouvernement élu du Hamas.

Manque d’options

Au cours de sa visite, Blinken a également ordonné à Abbas de reprendre la coordination de la sécurité avec les Israéliens.

Le mois dernier, après le massacre israélien de Palestiniens à Jénine, Abbas avait affirmé avoir arrêté la « coordination » de la sécurité de l’AP avec Israël. Il a assuré, au directeur de la CIA, William Burns, en visite, que « des parties » de la coordination, y compris le « partage de renseignements », continuent sans être entravées par les massacres israéliens en cours.

En fait, Abbas a assuré à Burns que : « les forces de sécurité de l’AP continueront d’arrêter les terroristes présumés et que la coordination de la sécurité sera pleinement restaurée une fois le calme rétabli ».

L’inquiétude de l’AP continue d’être motivée par le point de vue américain et israélien selon lequel elle est de moins en moins pertinente, en particulier en raison de son incapacité à éliminer la résistance palestinienne à l’occupation militaire israélienne – la raison d’être même de sa création – et elle n’a pas été aussi efficace que l’un ou l’autre État l’avait espéré.

Un ancien général israélien du renseignement militaire a récemment mis en garde contre l’effondrement imminent de l’AP.

Que la plupart des membres de droite du gouvernement de coalition Netanyahu aient également appelé à plusieurs reprises à la dissolution de l’AP n’est pas une nouvelle réconfortante.

Fait intéressant, il semble que Netanyahu n’ait pas informé ses partenaires de la coalition des récents pourparlers secrets, de peur qu’ils ne s’y opposent.

Ce regain de confiance des États-Unis, et de celui des alliés arabes d’Israël, dans le rôle de l’AP en tant que principale force chargée de la répression des Palestiniens sous occupation israélienne n’est pas basé sur les performances médiocres de l’AP, mais plutôt sur le manque d’options disponibles pour les États-Unis pour maintenir le statu quo.

Les États-Unis, comme Israël et ses alliés arabes, sont investis du maintien du statu quo depuis au moins la dernière décennie et craignent que le nouveau gouvernement israélien ne procède à des changements, ce qui constituerait un risque incalculable pour la survie future d’Israël et de son occupation militaire.

Alors que l’AP a été créée en 1993 pour assurer la survie continue d’Israël en tant que colonie juive de peuplement et occupant permanent de la terre des Palestiniens sous différentes formes, les États-Unis et leurs alliés ne savent pas vers qui se tourner.

C’est ce manque d’options qui a ravivé l’intérêt pour le rôle de l’AP défaillante.

Cependant, la confiance renouvelée des États-Unis dans les capacités de l’AP à soumettre les Palestiniens résistants est sans doute mal venue.

La marée montante de la résistance palestinienne à travers la Cisjordanie et la volonté constante de la résistance basée à Gaza, sans parler de celle des citoyens palestiniens d’Israël, promettent de décevoir les attentes des États-Unis et celles de ses alliés arabes.

Malgré leur volonté d’utiliser l’AP et de négocier avec elle, les Israéliens semblent être la seule partie qui se rend compte de la force de la résistance et du danger qu’elle représente, et ils continuent d’agir et de planifier leurs stratégies militaires en conséquence.

 

Article original en anglais sur Middle East Monitor / Traduction MR

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