Susana Khalil, 18 janvier 2023. Ce sont les trois grandes tragédies qui marquent la lutte du peuple palestinien autochtone, arabe et sémite, face au colonialisme euro-sioniste.
La Nakba 1948. Un mouvement européen, le sionisme, réussit à imposer un régime colonial sur 71% du territoire de la Palestine historique, sur la base d’une falsification de l’histoire et d’un nettoyage ethnique contre le peuple palestinien autochtone, et l’appelle Israël ».
La Naksa 1967. Le régime colonial et expansionniste d' »Israël » colonise le reste de la Palestine historique, en lançant une guerre contre cinq armées arabes qui s’efforçaient de libérer la Palestine. La Palestine « disparaît de la carte », selon l’Occident, mais reste vivante dans la mémoire et le présent de la jeune génération palestinienne.
Oslo, 1993 : Un glorieux soulèvement populaire autochtone, l’Intifada, est stoppé par la mise en place d’un groupe politique palestinien qui reconnaît le régime colonial d' »Israël » comme un État sur sa terre natale en échange de 22% du territoire du peuple autochtone palestinien. Aujourd’hui, la Palestine n’en « possède » que 7%, et les colonies de peuplement ont été multipliées par cinq. Le mur de la honte a été construit, séparant non seulement les Palestiniens des colons, mais aussi les Palestiniens entre eux, comme une méthode d’extermination. Le mur est tracé à l’intérieur du territoire palestinien indigène afin qu' »Israël » puisse s’emparer de toutes les sources d’eau. Le droit de retour des réfugiés palestiniens n’a pas été inclus dans ces accords, preuve de l’équation d’extermination. À Oslo, la direction palestinienne a signé son arrêt de mort en renonçant à la lutte armée. Aujourd’hui, l’Autorité palestinienne est un instrument traître de la colonisation.
Mais au-delà de la condamnation des accords d’Oslo, nous nous condamnons, car après Oslo nous sommes devenus les porte-parole de cet obscurantisme colonial. Nous sommes devenus sionistes, progressistes et de gauche. La peur a réussi à s’insinuer dans le rôle sacré des intellectuels, des universitaires et des militants. L’intelligentsia ne devrait pas être la néo-religion, l’opium du peuple.
Beaucoup parlent de décoloniser les esprits mais ils se contredisent, il y a un sanctuaire utile et opérant de la démagogie intellectuelle.
Après cette farce et cette humiliation connues sous le nom d’accords d’Oslo, les Palestiniens et les pro-palestiniens ont cessé de parler de la libération de la Palestine. Ils nous ont mis dans une chambre noire et nous avons cru que nous étions éclairés pour parler de la solution d’un État ou de deux États. On nous conduit à l’abattoir et nous sommes les fossoyeurs de nos propres cadavres.
Ils exigent de nous une lutte pacifique, qui n’existe pas, et qui n’est pas autorisée non plus car les mesures répressives interdisent toute résistance. On impose l’agenda occidental à nos esprits colonisés. Par exemple, nous ne pouvons pas plaider en faveur de la fin du régime colonial d' »Israël ». Il ne s’agit pas seulement de soulever la question de la fin de l’apartheid israélien, car l’apartheid est déjà un des nombreux instruments du colonialisme. Il s’agit donc plutôt d’une tentative de mettre un terme à cet anachronisme colonial génocidaire. C’est un sujet tabou, très craint, et dans cette crainte, il y a un talent imposteur et lugubre.
En tant que Palestinienne de souche de la diaspora, je ne dois accepter aucun anachronisme colonial aujourd’hui, au XXIe siècle.
En outre, le monde et la culture arabo-persans-kurdes sont en danger à cause de ce colonialisme expansionniste qui invente des droits historiques, en Palestine, au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Égypte, en Irak, en Iran, en Arabie Saoudite, au Yémen, etc. Il s’agit de créer le « Grand Israël ». Le monde arabo-persan est obligé de se libérer. Le monde en soi doit combattre cette obscénité coloniale.
Face à cette tentative coloniale inhumaine de faire disparaître le peuple palestinien sémite autochtone, il y a trois aspects qu’il faut – je crois – sauver pour la libération du peuple palestinien indigène : mettre fin à l’anachronisme colonial israélien, réincorporer la lutte armée et donner naissance à notre propre lexique et agenda.
La fin de l’anachronisme colonial israélien
Avant Oslo, il y avait de l’honnêteté, de la spontanéité et de la sincérité dans la lutte. Les autochtones et les militants pro-palestiniens ont pu exprimer leur souhait de mettre fin au régime colonial d' »Israël ». Soyons honnêtes et courageux, et revenons aux racines de notre Cause palestinienne. Le colonialisme n’est pas une garantie de paix. La paix est basée sur la justice. La fin de l’anachronisme colonial d' »Israël » est une contribution aux droits de l’homme, un coup porté au fascisme le plus puissant de notre époque.
La lutte armée. En renonçant à la lutte armée, on a perdu une partie d’un imaginaire, Il Fidaí (Combattant de la liberté). La raison d’être de la cause de la libération de la Palestine a été défigurée. Ce renoncement a défiguré le sentiment sacré, éteint le feu brûlant de la résistance, gâché la douceur de la dignité, effacé la poésie et la mémoire. Nous sommes devenus objectifs, alors que l’objectivité n’existe pas vraiment, et nous sommes devenus des objets élégants de marketing. Nous avons perdu notre esprit de rébellion. La lutte armée n’est pas une garantie de libération, mais la lutte pacifique non plus. Les deux doivent fonctionner comme une trame, l’une et l’autre sont une seule et même chose. Personne n’a le droit d’imposer à l’indigène palestinien sa façon de lutter.
Donner naissance à notre propre lexique et à notre propre agenda. Plutôt que de parler de la société palestinienne, notre lexique devrait parler de la cause palestinienne, il y a beaucoup de diversion dans ce refoulement sophistiqué. Il y a de l’autocensure dans le « vous devez être objectif » ; la stratégie et les choses finissent dans le vide en ne positionnant pas notre raison d’être : la lutte d’un peuple autochtone contre un anachronisme colonial appelé « Israël ». Dans le cadre du débat sur les droits de l’homme, le racisme, le féminisme (ces trois-là, malheureusement, sont abordés sans la notion de lutte des classes), l’apartheid, l’impérialisme, le fascisme (terrorisme), l’Islam etc., la lutte consiste à signaler que le colonialisme classique est aujourd’hui ancré dans notre 21ème siècle.
On nous demande d’inclure le « droit » d' »Israël » à exister dans le débat et il y a des personnalités pro-palestiniennes honnêtes en Occident, comme Chris Hedges, qui soutiennent le droit d' »Israël » à exister. Toutes ces personnes devraient se voir accorder ce droit dans leur propre pays. Mais au-delà de cela, il est inacceptable et indigne qu’elles imposent leurs opinions sur la lutte des Palestiniens de souche pour accepter l’existence du colonialisme d' »Israël » dans la patrie des Palestiniens. Ce n’est pas un débat, c’est du despotisme.
Il y a ceux qui expriment leur solidarité avec le peuple palestinien, et en même temps expriment le droit à l’existence du colonialisme israélien. Cette position est naïve et rassurante. Elle adoucit ou déguise la réalité coloniale et génocidaire, et profite ainsi au fascisme sioniste.
Pour clarifier un point, je crois profondément et farouchement que lors de la libération de la Palestine, la population dite israélienne devra obtenir le démonyme palestinien. N’ayant jamais été expulsés, le racisme fera que beaucoup d’entre eux retourneront dans leur Europe aryenne, et les idéologues sionistes le savent.
…Pour ces Arabes qui ne sont pas encore nés, qu’ils puissent vivre dans un monde sans sionisme, et cet avenir dépend de nous. Qu’ils vivent et/ou meurent dans la lutte de leur temps inspirée par la lutte antisioniste.
…Et pour me protéger de l’atrophie coloniale et/ou de l’agenda occidental, je me réfugie dans l’histoire et la mémoire. Honneur et gloire à mes frères d’Algérie. Cinq millions de martyrs, leur sang versé contre le colonialisme, que nous, Palestiniens, ne devons pas laisser tomber.
Article original en anglais sur Al-Mayadeen / Traduction MR