Noelle Mafarjeh, 30 octobre 2022. Tous les regards étaient – une fois de plus – tournés vers la ville de Naplouse mardi matin dernier, alors qu’une nouvelle invasion militaire israélienne à grande échelle de la ville assiégée a tué trois résistants palestiniens et deux hommes non armés rentrant chez eux après le travail.
Naplouse a payé un lourd tribut pour la recrudescence des actions armées dans la ville ces derniers mois. Sur les 135 victimes des tirs de l’armée israélienne en Cisjordanie cette année, 29 étaient originaires de Naplouse.Pendant que la ville enterrait ses morts, une autre communauté, beaucoup plus petite, située à 25 km au sud-ouest, pleurait également un des siens.
Les habitants palestiniens du village de Nabi Saleh, au nord-ouest de Ramallah, ont été réveillés dans la nuit par des nouvelles de l’invasion de Naplouse. Alors que les informations faisant état de morts commençaient à affluer vers 1 heure du matin, et que le groupe armé populaire de l’Antre des Lions appelait les Palestiniens à aller affronter l’armée israélienne, les jeunes de Nabi Saleh ont répondu à l’appel et se sont dirigés vers le poste militaire israélien positionné à l’entrée du village.
Ils ont commencé à jeter des pierres, comme il est d’usage pour les jeunes non armés lors de confrontations avec l’armée israélienne. Et, comme cela est devenu de plus en plus courant ces dernières années, comme en témoigne le nombre croissant de Palestiniens abattus lors de confrontations non armées (22 manifestants palestiniens non armés ont été abattus en 2022), les soldats israéliens ont tiré à balles réelles, touchant Qusai Tamimi, 19 ans, à la poitrine.
« Très concerné par les récents événements »
Selon le chef du conseil local, les affrontements ont éclaté vers 2 heures du matin. Qusai a été abattu peu après – sa mère se souvient avoir entendu trois ou quatre coups de feu – et est mort presque immédiatement. Le ministère de la Santé a annoncé sa mort à 2 h 42 du matin.
Malak, la sœur de Qusai, a déclaré au New Arab le lendemain que son jeune frère était passionné de technologie et d’informatique, bien qu’il ait abandonné l’école il y a deux ans, et qu’il était toujours affectueux avec ses sœurs.
Il s’était senti très concerné par les récents événements de Naplouse et de Jénine, a-t-elle dit, étant donné son expérience de la vie sous le harcèlement constant de l’armée, comme la vivent les 600 habitants du petit village de Nabi Saleh.
Qusai est le sixième Tamimi à être tué par des tirs israéliens dans sa communauté et dans le village voisin de Deir Nidham en un peu plus de dix ans. Un bilan très lourd et un traumatisme permanent pour une petite communauté très soudée, dont la plupart des habitants sont des membres de la famille Tamimi élargie.
Alors, comment le petit village s’est-il retrouvé à la fois le sujet de l’attention des médias internationaux et une cible constante de l’armée israélienne ?
« Nous voulons être ceux qui ont commencé »
En 1977, des membres du groupe extrémiste Gush Emunim ont fondé la colonie israélienne illégale de Halamish sur les terres de Nabi Saleh et du village voisin de Deir Nidham. Une base militaire israélienne se trouve à l’entrée de la colonie, juste à côté de l’entrée de Nabi Saleh.
En 2008, des colons de Halamish ont commencé à construire des bassins pour recueillir l’eau de Ein Al-Qaws, une source d’eau douce située entre les villages de Nabi Saleh et de Deir Nidham et appartenant à la famille de Bashir Tamimi. Selon les habitants, les colons attaquaient tous les Palestiniens qui venaient s’occuper de leurs cultures à proximité.Un peu plus d’un an plus tard, le 9 décembre 2009, les habitants de Nabi Saleh ont commencé à manifester contre l’empiètement continu d’Israël sur leurs terres et contre l’étouffement militaire du village.
À travers la répression militaire qui s’est ensuivie, une famille en particulier s’est hissée (ou a été poussée) au premier plan de la lutte pour Nabi Saleh : la famille de Bassem et Nareman Tamimi, qui ont tous deux été incarcérés pour leur activisme politique (13 fois au total pour Bassem) et dont la fille de 21 ans, Ahed, est devenue une figure internationale après que des vidéos où on la voit affronter des soldats israéliens depuis son plus jeune âge soient devenues virales sur les réseaux sociaux ces dernières années.
Ahed a été emprisonnée pendant huit mois en 2018 pour avoir giflé un soldat, le jour même où son cousin Mohammad Tamimi, âgé de 15 ans, a reçu une balle en caoutchouc dans la tête et a été gravement blessé (il est resté dans le coma pendant quatre jours, et une partie de son crâne a ensuite dû être retirée – photo ci-dessus). Deux mois après avoir été abattu, Mohammad a été arrêté par l’armée israélienne, qui l’a obligé à signer des aveux indiquant qu’il s’était blessé en tombant de son vélo.
Ces incidents, ainsi que d’autres, ont suscité une attention internationale considérable, des médias tels que le Washington Post et même le New York Times consacrant des articles détaillés à l’activisme des Tamimis et à l’histoire de Nabi Saleh : « S’il y a une troisième Intifada, nous voulons être ceux qui l’ont commencée ».
En guise de contrecoup à toute l’attention internationale qu’ils ont recueillie, les Tamimis ont été vilipendés dans la presse israélienne et même par le gouvernement, le vice-ministre de l’époque, Michael Oren, suggérant en 2018 que la famille pourrait en fait être composée d’ « acteurs » étant donné les cheveux blonds et les vêtements « occidentalisés » de leurs enfants.Une longue liste d’adieux
Bien que son militantisme politique n’ait jamais cessé, la communauté de Nabi Saleh a décidé de suspendre les marches hebdomadaires en 2016 après que l’armée israélienne a commencé à utiliser régulièrement des snipers et des balles réelles contre les manifestants, ce qui a fait plus de 300 blessés sur les 600 habitants du village, tandis que plus de 400 ont été arrêtés.
La suspension des marches hebdomadaires n’a cependant pas entraîné une diminution des raids militaires israéliens ou des violences contre le village, et Nabi Saleh – et les Tamimis – ont enregistré plus de victimes au cours des six années qui ont suivi la fin des manifestations que pendant les sept années précédentes, dont Qusai n’est que la dernière en date.
Mohammad Tamimi, 17 ans, a été abattu par l’armée israélienne le 23 juillet 2021, lorsque les militaires israéliens sont entrés dans le village « sans raison apparente », selon l’article du Haaretz de l’époque.
Lorsque la jeep militaire est entrée dans le village, les jeunes et les enfants de la région ont commencé à lui jeter des pierres et les soldats ont tiré des gaz lacrymogènes. La mère de Mohammad lui a demandé d’aller chercher son frère Mahmoud, 13 ans, chez un voisin pour qu’il ne soit pas affecté par le gaz, car il se remettait d’une opération des yeux.
Selon des témoignages et des images vidéo, la jeep militaire s’est alors arrêtée à proximité de Mohammad, sa porte s’est ouverte pendant une fraction de seconde et un soldat a tiré un coup de feu sur l’adolescent. Mohammad a tenté de fuir vers une maison voisine, mais des balles l’ont touché deux fois de plus, ne laissant « pas un seul organe interne intact », selon les médecins qui ont tenté de lui sauver la vie.
Mohammad a quatre frères et sœurs survivants, et est un cousin d’Ahed. Le frère d’Ahed, Mohammad, était avec lui lorsqu’il a été tué ; les deux garçons étaient proches.
Ezz Al-Din
Ezz Al-Din Abd Al-Hafeezh Tamimi, 21 ans, a été tué par balle le 6 juin 2018 lors d’affrontements entre l’armée israélienne tirant à balles réelles sur des résidents palestiniens répondant à coup de pierres. Un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré à Middle East Eye à l’époque qu’Ezz Al-Din avait été abattu après avoir jeté une pierre.
Des témoins oculaires ont déclaré qu’Ezz Al-Din avait été touché au moins deux fois, notamment par une balle qui l’a touché à la nuque, et qu’il se trouvait à au moins 45 mètres des soldats.
Selon Bilal Tamimi, l’armée avait fait une descente chez lui et menacé de le tuer à de nombreuses reprises au cours des mois précédents.
Musaab Tamimi, 16 ans, a été tué par balle le 3 janvier 2018 – c’est le premier Palestinien à être tué par les forces israéliennes cette année-là. Musaab était issu d’une branche de la famille Tamimi vivant à Deir Nidham, le village séparé de Nabi Saleh par la colonie de Halamish.
Musaab a reçu une balle dans le cou lors d’affrontements au cours desquels des jeunes du quartier ont jeté des pierres et l’armée israélienne a tiré à balles réelles.
L’armée israélienne a affirmé que Musaab était armé lorsqu’il a été abattu, mais sa famille nie cette affirmation et souligne que s’il avait été armé, les militaires auraient saisi son arme à feu et l’auraient arrêté après l’avoir abattu.
Sa famille affirme que les soldats « voulaient du sang » ce jour-là, car ils ont renoncé aux traditionnels gaz lacrymogènes, bombes sonores et balles en caoutchouc et n’ont tiré qu’à balles réelles lors des affrontements. La veille, les militaires avaient également pris des photos de Musaab et menacé ses parents dans le cadre d’une répression annoncée des jets de pierres par les enfants du quartier.
Firas, le père de Musaab, a déclaré à Middle East Eye en janvier 2018 qu’il pensait que son fils était devenu le dernier Tamimi à payer le prix de la longue histoire d’activisme de la famille. « Les Tamimis de Nabi Saleh sont nos parents, par le sang et par le mariage », a déclaré Firas. « Nous sommes des villages jumeaux. Nos garçons vont à Nabi Saleh pour protester, et leurs garçons viennent ici. Nous sommes une seule et même famille. Donc ce qui leur arrive, nous arrive aussi ».
Selon les membres de la famille, peu de temps avant le meurtre de Musaab, un capitaine israélien a menacé un groupe d’habitants en leur disant : « Le jour viendra où vous souhaiterez ne pas être un Tamimi. »
Rushdi Tamimi, 28 ans (l’oncle d’Ahed Tamimi), a été blessé par balle à l’estomac et à la cuisse le 17 novembre 2012 lors de manifestations à Nabi Saleh contre les attaques d’Israël sur Gaza.
Il est mort à l’hôpital deux jours plus tard.
Une vidéo enregistrée par sa sœur Nareman (la mère d’Ahed) montre des soldats israéliens l’empêchant, elle et d’autres personnes, d’atteindre Rushdi alors qu’il gisait blessé sur le sol, un soldat pointant son arme sur Nareman.
Rushdi était officier de police, et des photos prises avant ses funérailles le montrent vêtu de son uniforme alors qu’on le prépare pour l’enterrement.
Mustafa Tamimi, 28 ans (cousin de Mohammad, 17 ans, abattu en 2021, et dont Mustafa porte le nom), est le premier Tamimi tué à Nabi Saleh depuis le début des manifestations hebdomadaires, deux ans auparavant, jour pour jour. Il a été tué le 9 décembre 2011 lorsqu’un soldat israélien a tiré une grenade lacrymogène qui l’a atteint au visage à quelques mètres de distance.
Le récit émouvant d’un témoin oculaire, un militant, rappelle le choc des manifestants devant la gravité de la blessure de Mustafa, et leur colère d’être empêchés par les soldats à accéder au taxi où gisait le corps inconscient de Mustafa.
Mustafa a été opéré, les médecins espérant au départ pouvoir lui sauver la vue, mais il a été déclaré mort peu après.
La mort de Mustafa a fait la une des journaux internationaux. La mort d’un manifestant palestinien était un événement plus rare à l’époque qu’aujourd’hui (en 2022, en Cisjordanie, 22 manifestants palestiniens, dont 12 enfants, ont été abattus par les forces israéliennes lors d’affrontements, selon la documentation recueillie par Jerusalem24).
Manal Tamimi, la cousine de Mustafa, a déclaré dans un entretien au Guardian à l’époque : « Nous savions que quelqu’un serait tué tôt ou tard, mais nous ne savions pas qui ni quand ».
Article original en anglais sur Jerusalem24 / Traduction MR